En France, le mot «réforme» est révolutionnaire. Formule subtile du général de Gaulle, car les avancées majeures de notre pays ont le plus souvent résulté de grandes agitations. A-coups, soubresauts, jacqueries, frondes, soulèvements, rébellions, notre modèle historique est éruptif. Le conflit est notre moteur, non le dialogue. Quand les Britanniques, les Suédois, les Allemands s’efforcent de discuter pour éviter de descendre dans la rue, nous commençons par défiler pour finir autour d’une table. César le constatait déjà dans la Guerre des Gaules, à propos de nos fameux ancêtres, dont il rappelle qu’ils se divisaient en deux grands clans, à l’intérieur desquels ils ne cessaient de se combattre.
Une logique comparative
L’Europe a tout changé. Entre le Marché commun et l’Union européenne, en une cinquantaine d’années, elle a opéré comme une espèce de levier introduit sous l’Hexagone. Elle exerce son influence avec plus ou moins d’intensité en fonction des sujets et plus ou moins de pression suivant les époques.
Sur le plan des relations économiques extérieures, bien sûr, cette vérité s’impose avec évidence: avant 1958, le pays effectuait plus de 80% de ses échanges avec l’Afrique francophone. Aujourd’hui, l’essentiel se réalise par des échanges intracommunautaires.
D’un point de vue juridique, chacun sait que les lois européennes s’imposent aux dispositions nationales qui viendraient à les contredire. Peut-être plus significatif encore, mais moins visible il est vrai, l’appartenance à l’Union a instillé dans les têtes l’impératif de compétitivité. Qui aujourd’hui conteste cette comparaison-là, qu’on se tourne vers le coût du travail, les prélèvements ou la bureaucratie? Alors que la France revendique encore le statut d’exception, la logique comparative au sein de l’Europe devient de plus en plus prégnante, qu’il s’agisse des résultats scolaires, du découpage territorial ou des déficits budgétaires. Sans compter que l’Europe elle-même entre de plus en plus en concurrence avec d’autres zones du monde, ce qui renforce l’analyse.
Un modèle devenu réformiste
En un mot, l’Europe est dans la France. Plus elle agit dans les profondeurs de notre pays, plus elle instille des transformations en son sein. Sans le clamer haut et fort. Au modèle chaotique évoqué plus haut, fait d’avancées brutales, de réactions, de retours en arrière, de crainte du changement, elle a substitué silencieusement un modèle de type réformiste, irréversible. Cela provoque de la peur chez certains, qui croient trouver dans le populisme un antidote au mouvement.
Pourtant, il ne s’agit pas d’un échange standard. Notre pays conserve sa culture. Il lui faut simplement accepter de la confronter au monde qui l’entoure. On ne changera pas la réactivité française –regardez la téléphonie, l’informatique, Internet, le numérique peut-être enfin–, ni son inaptitude à l’anticipation –voyez les retards accumulés dans la refonte du régime des retraites, la mutation du marché de l’emploi, le traitement du déficit budgétaire, le redécoupage territorial.
L’Union européenne ne peut pas remettre en cause le génie national, mais moduler le rythme des réformes indispensables et en accélérer la mise en œuvre. Dès lors, plus l’Europe est forte, plus elle invite la France à évoluer dans le bon sens, comme elle l’a toujours fait depuis sa création. Plus elle est faible, plus elle permet à notre pays de se relâcher, de revenir à ses vieilles lunes ou à ses vieilles querelles.
Le manque de tonus actuel de l’UE, dont nous sommes partiellement responsables, ne nous favorise pas. Raison de plus pour la France de travailler, pour son propre bien, à une relance de l’Europe. Dans la période pré-électorale que nous traversons, les candidats devraient se livrer à l’inventaire de tout ce que l’Europe apporte et peut apporter à la France et aux Français. Pas seulement aujourd’hui, mais aussi et surtout dans l’avenir. Il est temps d’expliquer pourquoi l’Union européenne est une solution historique pour notre pays, pas un problème.
François Rachline