France

Bijoutier de Nice: un fait divers politique qui ne profite qu'au FN

Temps de lecture : 3 min

Le parti de Marine Le Pen est d’autant plus à l’aise qu’il n’y a pas ici d’amalgame possible entre délinquance et immigration. A droite, la récupération tourne à vide, tandis que la gauche a maladroitement contesté la mobilisation.

Manifestation de soutien au bijoutier dans le centre de Nice, le 16 septembre 2013. Reuters/Eric Gaillard
Manifestation de soutien au bijoutier dans le centre de Nice, le 16 septembre 2013. Reuters/Eric Gaillard

Dans l’affaire du bijoutier niçois, la mobilisation sur les réseaux sociaux, inédite par son ampleur, transforme un fait divers tragique en fait politique. Et ce avant même que la justice n’ait pu établir clairement ce qui s’est passé.

Cette affaire témoigne, a minima, d’un malaise social et, au-delà, comme on peut le lire dans nombre des commentaires postés sur la page Facebook créée pour soutenir le bijoutier comme sur Twitter, d’un sentiment aigu d’abandon d’une partie de la population vis-à-vis des institutions. Il s’agit en effet d’un témoignage inquiétant sur l’état de la société française. Un tel soutien public –et souvent nominatif sur Facebook– à un homme qui s’est fait justice lui-même alors même que les conditions de la légitime défense ne peuvent être établies pose ouvertement la question du rapport des citoyens à l’Etat de droit et à la justice.

Face à cela, les discours opposés aux soutiens virtuels du bijoutier, en forme de rappel à l’ordre sur l’Etat de droit, le respect des principes fondamentaux dans une société civilisée, etc., ont peu de chance d’être entendus, même s’ils sont indispensables. En revanche, les discours appelant à la contestation de l’efficacité de l’action de l’Etat et à sa «reprise en mains» musclée y trouveront un appui. Le Front national l’a bien compris, notamment en la «jouant» sobre face à un fait divers qui lui permettra à coup sûr de marquer encore des points à quelques mois des municipales, dont un des enjeux-clefs sera la sécurité.

Une mobilisation à front renversé

On risquera d’ailleurs l’hypothèse que l’ampleur de la mobilisation pourrait venir du fait qu’il n’y a pas dans cette affaire d’amalgame possible entre délinquance et immigration comme c’est souvent le cas –puisque la scène se joue en quelque sorte à front renversé avec un bijoutier «issu de l’immigration» alors que le cambrioleur abattu ne l’est pas–, ce qui a pu permettre à nombre de personnes de manifester une exaspération en soutenant le bijoutier sans risque de passer pour raciste.

A droite, la machine à récupération politique tourne à vide en revanche. Pris en tenailles entre le discours de soutien au bijoutier, «victime» lui aussi comme l’a qualifié le maire de Nice Christian Estrosi, et le nécessaire rappel du respect de l’état de droit qui sied aux élus responsables, la voie est étroite.

L’argument qui porte le plus loin ici est sans doute celui de la contestation du bien-fondé de la «loi Taubira» dans la mesure où le jeune cambrioleur abattu était un récidiviste.

A gauche, contestation maladroite

A gauche, pas de récupération mais beaucoup de dénégation. D’abord dans le parti-pris immédiat et quasi-automatique de certains en faveur du jeune délinquant abattu, sans un mot ni pour le bijoutier, ni pour l’insécurité toujours considérée comme sentiment plutôt que comme réalité.

Ensuite sous la forme, dérisoire, d’une contestation de la mobilisation sur la page Facebook de soutien au bijoutier. Comme si l’établissement d’une comptabilité exacte des «likes» de la page pouvait en changer la signification politique. Expression de la pensée magique par excellence!

Enfin, sur un mode encore plus caricatural mais tout autant révélateur, au travers des exhortations de certains sur les réseaux sociaux à «défriender» (i.e. sortir de la liste de leurs contacts) celles et ceux qui auraient cliqué «like» sur la page de soutien au bijoutier niçois.

Une attitude de repli sur soi

Une telle attitude témoigne d’un repli sur soi qui n’augure rien de bon politiquement tant il ne permet plus d’aller au-delà du cercle, par définition restreint en démocratie, de ceux avec lesquels on est en plein accord. Il implique aussi une certitude, celle de détenir la Vérité et de s’exprimer au nom du Bien, qui n’est pas loin du dogmatisme religieux.

Ce qui, au passage, est tout de même étrange pour des laïcs souvent bruyamment revendiqués. C’est le mal contemporain de toute une partie de la gauche: défendre le droit et la démocratie en niant à ceux qui ne sont pas d’accord avec elle le droit de le dire et de la contester.

Au-delà du paradoxe évident d’une telle posture, il n’est pas certain qu’elle soit d’une grande efficacité politique. Les mois qui viennent ne manqueront pas de le rappeler, durement, à ceux qui l’ont oublié.

Laurent Bouvet

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