Monde

Les inégalités au cœur du développement (non) durable

Temps de lecture : 3 min

La question des inégalités occupe aujourd’hui une place centrale dans les débats sur le développement durable et ce que l’on nomme l’agenda de développement «post-2015». L’ignorer au nom du réalisme (réduire les inégalités est complexe...) serait se priver d’une de ses vertus essentielles.

Une manifestation contre la déforestation à Rio en juin 2011. REUTERS/Ricardo Moraes
Une manifestation contre la déforestation à Rio en juin 2011. REUTERS/Ricardo Moraes

Dans un peu plus de deux ans, les gouvernements de la planète devront définir des objectifs de développement durable «orientés vers l’action, concrets, concis et faciles à comprendre, en nombre limité, “aspirationnels”, d’envergure mondiale et susceptibles d’être appliqués universellement dans tous les pays», selon l’engagement pris au sommet de Rio en juin 2012. Le délai est extraordinairement serré au regard de l’ampleur de la tâche et de l’acuité des enjeux.

Quels objectifs de développement durable seraient susceptibles de rallier tous les suffrages dans un délai si court?

Un problème commun à tous les pays émerge depuis dix ans, avec des conséquences néfastes sur la soutenabilité des modèles de développement: le creusement des inégalités. D’une manière ou d’une autre, le développement durable devra intégrer la réduction des inégalités dans son agenda. Non comme une fin en soi, mais comme un moyen de rendre nos trajectoires de développement plus durables.

Les effets du creusement contemporain des inégalités font l’objet d’un intérêt croissant des économistes. L’édition 2013 de Regards sur la Terre rassemble quelques contributions saillantes sur la question.

D’abord, l’évolution des inégalités de revenus dans le monde connaît un grand retournement depuis un peu plus de dix ans. Pendant deux siècles, les inégalités entre nations se sont accrues, tandis qu’elles se stabilisaient, voire déclinaient à l’intérieur des pays. Cette histoire pluriséculaire a pris fin au tournant du siècle: désormais, les inégalités de revenus entre pays se résorbent et les inégalités internes s’accroissent.

Ce renversement sans précédent a des conséquences considérables sur l’état de notre planète et de nos sociétés. Le rattrapage économique s’accompagne d’une hausse des revenus et des salaires moyens, ce qui considéré sans plus de détails est évidemment une très bonne nouvelle; mais il exerce également une pression accrue sur nos écosystèmes.

La planète a ses limites qu’ignorent encore nos instruments de mesure tels que le PIB. A modes de consommation et de production inchangés, la course à la croissance –peu importe ici qui la gagne– est une course à l’épuisement.

Ce renversement modifie également les rapports de force entre pays et les modalités des négociations multilatérales.

On ne négocie plus entre quelques puissantes nations de l’OCDE, mais entre coalitions de pays du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest, à revenus convergents. Maintenant que les rapports de force s’équilibrent, négocie-t-on mieux ou moins bien l’infléchissement de nos trajectoires de développement? Voici l’une des questions ouvertes par ce «grand retournement», qui reste sans réponse claire pour l’instant.

Une chose est certaine, ce rééquilibrage favorise des modes de coordination faibles, où l’autonomie des choix nationaux l’emporte sur la recherche de normes globales.

Les conséquences des inégalités internes sont d’un autre ordre. Les modèles de croissance très inégalitaires semblent bel et bien les moins résilients, dans la mesure où ils affaiblissent le consensus des citoyens autour des biens communs au profit de l’appropriation privée.

A l’opposé, les modes de consommation des derniers déciles de revenus ont un effet d’entraînement mimétique sur les classes moyennes, la plupart du temps défavorable à l’environnement.

La consommation accrue d’eau, d’énergie, d’aliments ou de biens matériels, quel qu’en soit le bénéfice réel, est perçue comme positive, tandis que la recherche d’efficacité, de découplage entre la croissance économique et la consommation de ressources, apparaît comme potentiellement régressive.

Enfin, les inégalités et le sentiment d’injustice freinent ou rendent illégitimes les politiques environnementales, perçues comme un fardeau supplémentaire par les oubliés de la croissance.

La question des inégalités occupe aujourd’hui une place centrale dans les débats sur le développement durable et ce que l’on nomme l’agenda de développement «post-2015». L’ignorer au nom du réalisme (réduire les inégalités est complexe...) serait se priver d’une de ses vertus essentielles: elle offre une clé au développement durable. Car elle n’est pas qu’une question sociale, elle a des conséquences sur la résilience de nos modèles de croissance, sur notre capacité à protéger la biodiversité ou à mettre en place une transition énergétique et écologique. En bref, sur notre capacité à tenir nos engagements.

Rémi Genevey et Laurence Tubiana

Regards sur la Terre 2013, de Rémi Genevey, Rajendra Kumar Pachauri et Laurence Tubiana, éditions Armand Colin, paru le 10 avril 2013, 384 pages.

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