France

Lettre du Bon Dieu à Frigide Barjot

Temps de lecture : 4 min

Virginie Merle alias Frigide Barjot. REUTERS/Charles Platiau
Virginie Merle alias Frigide Barjot. REUTERS/Charles Platiau

Ma chère enfant,

Bien avant que tu susses rien de moi, je t’ai aimée. De toute éternité, j’ai ton prénom –le vrai, pas l’autre– gravé sur la paume de ma main. Alors ce n’est pas maintenant que je vais te jeter comme un vieux linceul. Au contraire: je suis prêt à lancer pour toi une opération «Psaume 18». Ça te dit quelque chose, j’espère. Non? Comment ça, non? Allô! T’es catholique et tu connais pas le psaume 18? Non mais allo! Ah! ces convertis... Ça se traîne en cortège au premier faux pli dans les nappes d’autels, mais ça ne connaît point son Ecriture Sainte! Voici, pour ta gouverne:

«Dans ma détresse, j’invoquai l’Eternel, et je criai vers mon Dieu; de son temple, il entendit ma voix, et mon cri parvint à ses oreilles. La terre fut ébranlée, les fondements des montagnes s’agitèrent, parce qu’il était courroucé.»

Je te la fais courte, ma jolie, car j’ai les chevilles qui enflent:

«Il étendit sa main d’en haut et me saisit, il me retira des grandes eaux. Il me délivra de mon ennemi puissant, de ceux qui me haïssaient, alors qu’ils étaient plus forts que moi. Ils m’avaient surpris au jour de mon malheur, mais l’Eternel fut mon appui.»

Donc ça y est. Dis à Xavier Bongibault d’arrêter le krav maga et aux policiers de rentrer chez eux: tu es délivrée. Plus besoin de pleurer chez Laurence Ferrari. Au cas où la théologie t’intéresserait autant que l’agit-prop, on appelle ça une parole performatrice: il suffit que je parle, et pouf! ce que je dis se réalise. J’ai inventé ça il y a quelques milliers d’années. C’est très pratique.

Voilà pour l’opération «Psaume 18». Enfin... pour le premier épisode. Car il y a une suite. Ecoute bien:

«Il m’a mis au large, il m’a sauvé.»

Relis bien ces mots; ne t’y trompe pas. L’exégèse, ce n’est pas comme le sexe: la position compte. Et là, comme tu l’as remarqué, «il m’a sauvé» est positionné après «il m’a mis au large». En bref, ton sauvetage –et je ne parle même pas de ton salut– ne sera pleinement accompli qu’après une petite mise au large. Mets-toi un peu au large, ma beauté. Ça reposera les journalistes. Et suis-moi, j’ai deux ou trois petites choses à te dire.

D’abord, ma cocotte, tu t’es fait avoir comme un bleu –et là je ne suis vraiment pas content. C’est bien la peine que je vous envoie mon Fiston, la prunelle de mes yeux, l’esprit de mon esprit, ma petite biscotte du matin, mon joyau du Faubourg, ma Rihanna céleste, mon compte en Suisse, pour que vous retombiez si vite, et si souvent, dans le panneau tendu par ceux-là mêmes qu’Il a pointés du doigt sur la Croix. Qui? Comment ça, qui? Les pharisiens, bien sûr! Les fanatiques du cube dans la case, les obsédés du noir-et-blanc, les marteaux du grand-Un-petit-A, les parpaillots de la certitude, les Cassandre de la décadence à la demande, les dingos du déterminisme animal, les idolâtres de la loi.

Ah oui, bien sûr, aujourd’hui, ce n’est plus la Loi de Moïse qu’ils idolâtrent –à l’époque, vos devanciers prétendaient la connaître mieux que moi, qui en suis l’auteur! Quelle poilade! Aujourd’hui, ils idolâtrent la Loi naturelle. Un truc qui ne sort même pas de mes ateliers. Une compilation de camelote mentale qui n’a jamais reçu l’agrément du Patron. Je ne leur en ai jamais parlé, de cette «loi naturelle». Jamais. Pas un mot. Où l’ont-ils dénichée, nom de Moi! Ce que je leur ai demandé d’idolâtrer? Tu poses encore la question? Pas compliqué: MOI. Point barre. Rien ni personne d’autre.

Et eux, ils n’ont plus que ces mots à la bouche: «loi naturelle». Et les plus savants en sont fiers: ça les rapprocherait des païens et des mécréants... Moi, là-dedans, le vieux Bon Dieu, le bon vieux Bon Dieu, qui n’ai jamais eu qu’un seul programme, un seul slogan, un seul dessein, l’Amour et la Vérité, la Justice et la Paix? Out. Pas assez excitant. Pas de quoi bander les muscles, sortir les bannières, hurler sur les Champs-Elysées. Je ne leur suffis plus. C’est un comble.

Et toi, toi qui as l’expérience du mystère, de la complexité, de l’ambiguïté, de l’entre-deux-eaux, des chemins de traverse, du paradoxe et du tiraillement, des lieux interlopes où la vérité –la vérité de chacune de ces personnes qui sont mes enfants– se dévoile parfois aussi crûment, aussi brutalement, aussi miraculeusement que mon Fils, sur l’autel, en Son Saint Sacrement –toi, tu es tombée dans le panneau.

Ceux qui te l’ont tendu, tu ne les connaissais pas encore assez. Tu aurais dû suivre l’exemple de mon Fils et rester cachée quelques années à Nazareth-sur-Marne avant de plonger dans le grand bain. Ça t’aurait tanné le cuir. Tu les aurais vite repérés, ceux qui, sous couvert de servir les pauvres et les petits, servent ce qu’il y a en eux-mêmes de plus pauvre et de plus petit. Ils se prétendent les barons de mon Royaume, mais quand ils parlent en mon nom, je les entends me dire: «Qui t’a fait Roi?» Ils façonnent leur vérité comme une pièce de monnaie, car la mienne ne tient pas dans leur main.

Mais, mon enfant, je n’ai pas besoin de militants; je n’ai pas besoin de miliciens. Et à chaque fois que toi et tes (faux) amis prétendrez susciter des printemps de telle couleur, édifier des sociétés inspirées par tel principe, construire des empires de mille ans, fussent-ils «d’amour», et que vous vous en prévaudrez devant moi, je vomirai votre orgueil.

Car je suis plus puissant que vos prévisions, vos conjectures, vos oracles. Plus puissant que votre «loi naturelle». La liberté dont j’ai couronné l’être humain, ma créature, crois-tu que c’est une liberté au rabais, en franchise, sous condition? Crois-tu qu’elle est soumise au code civil et au livret familial? Prenez garde, ma douce: si vous continuez à m’échauffer les oreilles avec «papa-maman-y-a-pas-mieux-pour-les-enfants», moi qui suis le maître de l’évolution, je fais pousser aux hommes des utérus et des testicules aux femmes!

Et si vous ne vous repentez pas, je pourrais même vous infliger une punition abominable: le bonheur de tous ces enfants à qui vous avez prédit le plus funeste des destins parce qu’ils ne sont pas nés dans les choux, ni dans les roses. Et je m’y connais, en la matière: mon Fils n’est-il pas né dans le foin et la crotte de bique?

Allez, va en paix. Et tiens-toi tranquille.

Je t’aime.

Ton Père qui est aux Cieux.

Dieu

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