France

Hollande: le flou des grands principes

Temps de lecture : 4 min

Le président se place à un niveau de généralité tel qu’il peut égrener une série d’objectifs avec lesquels, pris un par un, il est difficile d’être en désaccord mais qui sont potentiellement contradictoires deux à deux.

François Hollande, le 11 février 2013. REUTERS/Philippe Wojazer
François Hollande, le 11 février 2013. REUTERS/Philippe Wojazer

Il m’a fallu du temps pour percer le mystère de la rhétorique politique du président de la République et de son gouvernement, et c’est le sketch des Guignols de l’info décrivant un François Hollande flou (à partir de 4’25’’) qui a joué le rôle de la pierre de rosette.

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Et le président de la République de devenir physiquement de plus en plus flou en égrenant ses objectifs politiques:

«Prendre des mesures pour contenter la gauche et la droite, les syndicats et les patrons, les conservateurs et les gays, les écologistes et les pollueurs.»

Si la caricature porte –Martine Aubry s’en était d’ailleurs fait l’écho au moment de la primaire socialiste avec son célèbre «quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup»– c’est qu’elle s’appuie sur une pratique bien réelle du président de la République, qui consiste à se placer à un niveau de généralité tel qu’il peut égrener une série d’objectifs avec lesquels, pris un par un, il est difficile d’être en désaccord mais qui sont potentiellement contradictoires deux à deux.

Prenons l’exemple de la transition énergétique, annoncée par François Hollande dans une tribune du Monde dès le 28 novembre 2011, qui doit respecter les quatre principes suivants: l’indépendance énergétique, la sécurité énergétique, l’emploi et le pouvoir d’achat. Cela passe, selon le candidat socialiste de l’époque, par une réduction de la part du nucléaire de 75% à 50% mais qui doit conduire à ce que «l'industrie nucléaire, loin d'être affaiblie, [soit] à plusieurs titres sollicitée, et donc renforcée».

L'habileté

Si cette présentation est indéniablement habile, elle évacue les grandes questions et les contradictions qui peuvent naître de ces différents objectifs de politique énergétique: la réduction du nucléaire risque de rendre notre électricité plus carbonée, même en imaginant un développement massif des renouvelables qui se traduirait par une augmentation sensible du coût de l’énergie et donc à des pertes de pouvoir d’achat.

Quant au paradoxe de la baisse de la part du nucléaire qui pourrait être vue comme une opportunité pour cette industrie, nul autre n’y a apporté de meilleure réponse que l’ancien président de l’ASN André-Claude Lacoste:

«Demandez aux gens de Florange s'ils ont envie que leur site devienne un chantier pilote du démantèlement de la sidérurgie...»

La question de la flexi-sécurité, dont on peut se réjouir qu’elle ait donné lieu à un accord, fût-il modeste, entre le patronat et les syndicats, relève de la même logique: donner plus de sécurité aux employés tout en offrant plus de souplesse aux entreprises.

Le caractère minimaliste de l’accord illustre bien qu’au-delà de certains ajustements qui peuvent permettre d’optimiser le système, on ne saurait échapper à un vrai choix politique pour savoir si la priorité, étant donné la situation économique du pays, doit aller à la sécurisation des salariés ou à la flexibilisation du marché du travail afin de redonner de la compétitivité à nos entreprises.

Mais le maître a récemment été surpassé par l’une de ses élèves, en la personne de Najat Vallaud-Belkacem, qui a déclaré à propos de la réforme des retraites à venir:

«Le gouvernement français ne prévoit ni baisse des pensions, ni hausse des cotisations, ni augmentation de la durée de cotisation(...) Il y a d'autres solutions aujourd'hui qui existent. Regardez par exemple les propositions que fait la CFDT (...) Je ne dis pas qu'on va forcément s'inscrire exactement dans ce scénario-là, mais il y a des systèmes par exemple de retraite à la carte, ou par points.»

De tels propos constituent le summum du refus de tout choix politique. En effet, toute réforme rétablissant les comptes du système de retraite joue nécessairement et mathématiquement sur au moins l’un de ces trois paramètres, cela vaut pour les réformes paramétriques du système actuel comme pour une éventuelle réforme systémique qui devra bien, in fine, activer ces mêmes leviers.

Refus de choix politique

François Hollande et ses ministres, conscients de la difficulté d’arbitrer entre des demandes sociales contradictoires tout en étant légitimes, essayent en fait de se réfugier dans la pensée magique du gagnant/gagnant, pour reprendre la terminologie employée par Ségolène Royal pendant la campagne de 2007.

Pour être plus aimable vis-à-vis du président de la République, on peut dire qu’il est le nouveau chantre de l’économiste Vilfredo Pareto, bien connu pour ses optimums sociaux définis comme une situation où aucun acteur ne perd quoi que ce soit par rapport à la situation initiale.

Cette manière de considérer la politique est précisément viciée quand la situation initiale est profondément déséquilibrée. Pour reprendre l’exemple de la compétitivité des entreprises, la situation n’est pas la même selon que le pays se trouve en excédent, à l’équilibre ou en grave déficit commercial comme c’est notre cas actuellement. Il ne s’agit pas, dès lors, de faire un quelconque cadeau aux entreprises au détriment des salariés, mais de chercher à résorber un déséquilibre économique qui devra l’être, de toute façon, tôt ou tard.

On peut rétorquer que la majorité actuelle est bien consciente de ces choix politiques majeurs à effectuer (pour preuve elle a finalement fait passer la TVA sociale à travers le crédit d’impôt compétitivité emploi) et qu’elle choisit simplement d’agir avec habileté, à grand renfort de conférences pluripartites (conférence sociale, conférence environnementale) et de grands débats citoyens (débat sur la transition énergétique, refondation de l’école). Mais cette litanie des grands principes et cette indigestion de gouvernance ne doit pas faire oublier qu’à la fin il faudra bien que le pouvoir politique prenne ses responsabilités et fasse ses choix en toute transparence.

Il serait regrettable que par «habileté», on entende «infantilisation de l’opinion publique». Il est temps que la société affronte ses grands problèmes en face, qu’elle cesse de les contourner ou de s’en laisser divertir comme ce fût le cas pendant la campagne présidentielle. Le pouvoir actuel doit prendre garde à ce que l’habileté, qui est une qualité, ne laisse pas la place au cynisme, qui est le pire des défauts en politique.

Vincent Le Biez

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