Plusieurs opinions de juristes publiées dans la presse font valoir que le projet de loi instituant le «mariage pour tous» serait contraire à des principes constitutionnels. Qu’en est-il objectivement?
Ni la Constitution de 1958, ni la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ni le préambule de la Constitution de 1946 ne consacrent un quelconque principe qui protégerait la conception actuelle du mariage tel qu’il se présente dans le Code civil, et dont la Cour de cassation a énoncé, dans un arrêt du 13 mars 2007, qu’il s’agissait de «l’union d’un homme et d’une femme».
Le juge judiciaire ne pouvait interpréter différemment le Code civil. Ce faisant, il se contente d’une lecture notariale de la loi, qui mentionne «mari et femme», en posant un principe général de droit civil. Ni plus, ni moins.
Cela ne signifie pas pour autant que le mariage entre deux personnes de même sexe soit inconstitutionnel. L’argument est alors avancé de l’existence d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. De quoi s’agit-il au juste?
Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République constituent une catégorie de principes constitutionnels visée par le préambule de la Constitution de 1946. Aucune liste n’est fournie: il revient aux juges d’en déterminer le contenu.
Si le juge administratif a consacré plusieurs principes républicains fondamentaux comme la liberté d’association ou encore l’interdiction d’extrader un ressortissant étranger pour des motifs politiques, c’est au Conseil constitutionnel qu’il est revenu à titre principal d’en déterminer les principaux ingrédients. Si sa jurisprudence a été particulièrement active jusqu’au début des années 1980, depuis, il ne consacre qu’avec parcimonie de nouveaux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Trois principes à respecter
Aussi convient-il d’aborder la question des critères de reconnaissance de tels principes, qui sont au nombre de trois.
Primo, le principe doit trouver appui dans la législation antérieure à la Constitution de 1946. Secundo, l’ancrage législatif doit avoir été décidé par des régimes républicains. Tertio, le principe nécessairement fondamental, c’est-à-dire intéressant la vie de la nation et les droits et libertés, ne doit avoir connu aucune dérogation.
Ces trois conditions cumulatives peuvent (et non doivent) être de nature à constitutionnaliser un principe contenu dans une ou plusieurs lois et qui a fait l’objet d’une application continue. Est-ce le cas de la conception actuelle du mariage?
Incontestablement, le principe du mariage hétérosexué est antérieur à 1946. Il n’est pas contestable non plus que cette conception n’a connu aucune dérogation.
Quant au caractère républicain du principe, il ne semble pas non plus ici discutable, le code civil et donc son article 75 ayant été promulgué le 21 mars 1804, à quelques semaines de la fin de la première République, le 18 mai 1804. Les trois conditions sont donc réunies, même si la dernière est sujette à interrogation, le débat existant sur le terme de la Première République.
On ajoutera que le premier Code civil, celui de 1793, mentionnait que le mariage constituait un contrat entre un «homme et une femme». Le principe constitutionnel existe donc potentiellement. Dont acte.
Seulement, il convient de tenir compte, au-delà des critères de reconnaissance d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République, de la conception que s’en fait le juge constitutionnel. Or, jusqu’à présent, le Conseil constitutionnel a développé une conception positive de la catégorie, c’est-à-dire la reconnaissance de nouveaux droits et libertés et non leur interdiction ou restriction.
«Pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui…»
En l’occurrence, l’admission du mariage homosexuel ne prive pas les hétérosexuels de se marier. La liberté de mariage en sort même renforcée.
On pourrait dire qu’interprétant ainsi la nouvelle législation à venir, le Conseil donne corps à l’article 4 de la Déclaration des droits de 1789, qui énonce que «la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui…».
Par ailleurs, dans sa décision du 28 janvier 2011, le juge constitutionnel, alors qu’il était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité aux fins de faire reconnaître comme notamment contraire au principe d’égalité la disposition législative du code civil qui dispose que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, a considéré qu’il était à «tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions».
Le Conseil n’a jamais évoqué ni laissé entendre à cette occasion l’existence d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République posant que le mariage serait nécessairement l’union d’un homme et d’une femme. Tout au contraire.
Enfin, le juge refuse de statuer en opportunité sur des questions sociétales, estimant qu’il ne dispose pas d’un pouvoir identique à celui du Parlement. En conclusion, le mariage entre homosexuels est conforme à nos principes constitutionnels.
Pascal Jan