La redevance, le fameux impôt qui finance le service public de l’audiovisuel, sera augmentée de 4 euros l’an prochain, passant de 125 à 129 euros [1]. Quatre euros, ce n’est pas grand-chose: même pas de quoi s’offrir un James Bond à l’UGC ou un jambon-beurre dans une boulangerie Paul. Il faudrait vraiment avoir des oursins dans les poches (ou être pauvre, bien entendu) pour refuser de les verser dans la marmite qui nourrit Patrick Sébastien (ou les programmateurs d’opéra sur Arte, ça va de soi)!
D’ailleurs, et les gens de la télé n’arrêtent pas de le répéter sur tous les tons, elle est l’une «des plus faibles d’Europe» (180 euros en Grande-Bretagne, 215 en Allemagne, 346 en Suisse, etc.) et il ne serait que justice qu’elle rattrape enfin le peloton de tête. Justice? Mais quelle justice en fait? Dans ces pays où la redevance est plus élevée, les revenus moyens le sont aussi et peut-être devrait-on s’amuser à refaire ces comparaisons en parité de pouvoir d’achat. L’on découvrirait alors que les Français, ayant les salaires directs parmi les plus bas des nations de l’OCDE, méritent bien un petit discount sur cette gabelle spécifique…
Dans les contrées à TV licence dispendieuse, en outre, la télé publique ne diffuse pas de pub. Ça lui donne un poil plus de légitimité que dans un pays où l’on s’est contenté de rebaptiser la réclame nocturne «sponsoring», et où l’on continue à céder le temps de cerveau disponible diurne des ménagères d’âge divers aux fabricants de lessive.
Mais surtout, à l’heure où le gouvernement part à la chasse au gaspi budgétaire, on comprend mal qu’il soit demandé au téléspectateur, dont l’intérêt pour les chaînes publiques décline au même rythme que l’arrivée de nouveaux canaux privés (et gratuits) sur le «triple play», de faire des efforts à la place des saltimbanques fonctionnarisés de France Télévisions. Plus l’offre télévisuelle globale s’accroît, en effet, et plus le service public se disperse dans un bouquet toujours plus dense dont on peine à saisir la pertinence.
Voyons voir: il y avait déjà France 2 et France 3 –la nationale et la régionale historiques–, le réseau France Première pour les départements outre-mer, il y a désormais France Ô, France 4, France 5, Euronews, Mezzo, Gulli et Planète. Et ça, c’est juste pour ce navire amiral qu'est la nouvelle ORTF, puisque la culture avec un grand K est sur Arte, l’international sur TV5 et France 24 et que Radio France gère son propre (large) éventail de stations dans son coin…
Que la France souhaite préserver un pôle de radio-télé plus ou moins débarrassé des contraintes d’audience de masse, en alternative ou en complément à l’offre privée, c’est quelque chose qui se défend (des contre-arguments existent, mais c’est un autre débat). Mais qu’elle n’ait pas pour stratégie de consolider sur deux ou trois canaux les rares programmes qui la distinguent effectivement de ses concurrentes commerciales et de rationaliser son fonctionnement en fusionnant, par exemple, ses rédactions, est extrêmement déconcertant (il n’est pas rare de voir trois ou quatre équipes de journalistes du service public couvrir le même événement).
La redevance française est l’une des moins élevées d’Europe, donc? Tant mieux. Qu’elle le reste. Ça nous change de notre ordinaire.
Hugues Serraf
[1] David Assouline, sénateur PS, tente d'y ajouter encore 2 euros de rab mais sa victoire est incertaine. Revenir à l'article