Le débat sur le projet de loi des finances de 2013 a commencé, deux semaines après la tenue de la conférence environnementale. Le contexte actuel de crise économique renforce l’idée reçue d’une opposition entre politiques sociales et environnementales.
Dans le cadre des réflexions sur les finances de l’Etat et sur la transition écologique, l’exemple de la niche fiscale des frais réels est instructif sur cette supposée opposition. La mesure, largement ignorée jusqu’à présent, coûte chaque année 2,1 milliards d’euros à l’Etat. Elle s’avère anti-redistributive et anti-environnementale.
L’impôt sur le revenu n’est pas calculé sur la base de 100% du revenu des ménages. Les frais engagés par les salariés pour travailler (les frais kilométriques, de nourriture, d’habillement...) sont déduits du revenu imposable.
A première vue, cette mesure semble justifiée: il s’agit de soutenir les ménages contraints par leurs dépenses de fonctionnement. En pratique, l’administration retire automatiquement 10% au revenu imposable des ménages. Lorsque les frais professionnels dépassent 10% du revenu, les salariés peuvent déclarer les frais supplémentaires et bénéficier d’une déduction d’impôt plus importante –c’est le passage aux «frais réels».
La prime à l'énergivore
D’un point de vue environnemental, cette mesure est critiquable. Et ce à plusieurs égards. D’une part, les frais réels de transport sont calculés sur la base d’un barème qui augmente avec la puissance fiscale du véhicule. En d’autres termes, plus on a une voiture énergivore, plus on gagne en déduction d’impôt. Cela est paradoxal: d’un côté, l’Etat met en place le bonus-malus automobile, pour décourager l’achat de véhicules polluants et de l’autre, il «subventionne» davantage ces véhicules.
Par ailleurs, les frais kilométriques remboursés sont indexés sur le nombre de kilomètres parcourus. Les frais réels soutiennent donc, implicitement, les longs déplacements domicile-travail. Or les politiques d’urbanisme visent justement à réorienter le développement urbain afin de réduire ces distances, notamment en raison des émissions de CO2 liées au transport et des consommations excessives d’espace.
Mais d’aucuns argumenteront que la mesure n’a pas vocation à soutenir, ou même être cohérente, avec les politiques environnementales. Son objectif est la protection des salariés. Sur ce point, les choses se corsent: la mesure est anti-redistributive.
Les ménages les plus pauvres bénéficient le moins de la mesure, car ils ne payent pas l’impôt sur le revenu. En proportion de leur revenu, les ménages les plus riches gagnent davantage que les classes moyennes. Enfin, les 10% des ménages les plus aisés touchent à eux seuls un quart des deux milliards d’euros que coûtent les frais réels.
Comment rendre le système plus efficace?
Une piste de réforme pourrait être de modifier le barème kilométrique, qui favorise aujourd’hui les grosses cylindrées, en plafonnant à 7CV la puissance fiscale prise en compte. En parallèle, conditionner la mesure au niveau de revenu pourrait rétablir un certain niveau d’équité. Mais ne nous leurrons pas, ceci ne permettra pas de faire face à la vulnérabilité des ménages dans un contexte de prix croissants de l’énergie.
C’est dans le cadre d’une réforme globale de la fiscalité, articulée à une révision des politiques publiques territoriales, qu’il faut œuvrer. D’une part il faut repenser les modes de prélèvements et la progressivité du système dans son ensemble, d’autre part il faut agir pour réorienter le développement urbain en cause et développer des dispositifs de soutien plus ciblés. Cela ne peut être fait que dans une action coordonnée entre l’Etat et les collectivités locales, et les débats sur l’acte III de la décentralisation sont justement l’occasion de repenser cette coordination.
On pourra alors concilier plus largement justice sociale et objectifs environnementaux.
Lucas Chancel, Mathieu Saujot, Michel Colombier (Iddri)