Économie

La France et ses entrepreneurs: à pigeon, pigeon et demi

Temps de lecture : 2 min

Il y a certainement des patrons qui ne créent que pour la beauté du geste ou le sens de l'harmonie collective et méprisent l'argent. Faut-il vraiment se débarrasser de tous les autres?

Tir au pigeon Pro adventure via FlickrCC License by
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L’affaire est entendue: les pigeons qui roucoulent avec tant de véhémence contre les dernières innovations fiscales du Robin des Bois de l’Elysée et de ses joyeux compagnons nous prennent salement pour des dindons. Mettre dans le même sac, pour mieux le «défendre», paraît-il, un auto-entrepreneur à 1.000 euros par mois et le boss d’une étoile du Web à 1.000 euros de l’heure, c’est un peu comme prétendre que le patron d’un chalutier et un thon rouge peuvent faire cause commune contre Greenpeace au nom du petit peuple de l’océan.

Mais ce n’est pas parce qu’un lobby opportuniste et disparate se constitue pour exiger moins d’impôts qu’il n’a rien à dire d’intéressant. La France a un vrai problème avec ses entrepreneurs, petits ou grands, auxquels elle reproche de ne pas servir l’intérêt commun mais les leurs propres, et son inclination naturelle est de les en empêcher par la loi et l’impôt.

Grands groupes et petits commerçants

Plus étato-poujadiste que véritablement socialiste, elle rêve d’un tissu économique divisé entre une poignée de grands groupes industriels dirigés par des inspecteurs des Finances et une tripotée de petits commerçants aux échoppes «à taille humaine», pratiquant des prix raisonnables et harmonisés...

Quant aux types qui créent des entreprises pour gagner des fortunes et ancrer de gros bateaux dans le port de Saint-Tropez, qu’ils aillent voir en Anglo-Saxonnie si on y est. On n’a pas besoin d’eux.

Le problème, c’est que les grandes entreprises pilotées par des énarques ont eu leur heure de gloire et se cassent désormais la figure à la vitesse d’un TGV au galop. Quant aux petits commerçants, ils ont un peu de mal avec ces hypermarchés cassant les prix de T-shirts chinois dans leur zone de chalandise. Le problème, c’est que pour continuer à financer des retraites, des écoles, des hôpitaux, des autoroutes et des logements sociaux, tâches légitimes du gouvernement d’un grand pays moderne et civilisé, c’est de plus en plus fréquemment sur les amateurs de navires de plaisance un peu innovants qu’il va falloir compter.

Tondre juste ce qu'il fallait

C’est sûr, de gentils patrons qui ne montent des boîtes que pour le bonheur de l’aventure collective et le partage d’un cassoulet a-hiérarchique le midi à la cantoche, il y en a. Ils viennent même de signer un manifeste dans Libération pour nous rappeler que tout ne va pas si mal dans ce vieux monde (ils en profitent pour glisser qu’ils ont un faible pour la loi Tepa de triste mémoire sarkozyste, mais qui n’a pas ses petites contradictions...) et qu’altruisme se conjugue encore avec pharisaïsme.

C’est sûr, les méchants dirigeants qui font semblant de croire qu’il leur faudra vraiment verser 60% de leur patrimoine lorsqu’ils le réaliseront afin de s’installer à Genève ou à Bruxelles exagèrent un poil, emportés qu’ils le sont dans leur élan colombophile.

Mais que l’on ait ou pas du mal avec Gordon Gekko, philosophe américain de la dernière partie du XXe siècle, et sa théorie du «Greed is good» («la cupidité est bonne»), qui n’est jamais qu’une relecture cartoonesque des grands textes du libéralisme classique, ne pas se rendre compte qu’il existe vraisemblablement un optimum consensuel entre pigeons (auto-proclamés) et Robins de bois (idem) est le plus court chemin vers la fin des haricots.

Oh, pas pour les vilains yachtmen, qui pourront toujours se laisser flotter jusqu'à Nassau ou Monaco, mais bien pour les brigands au grand coeur qui n’auront plus personne à tondre juste ce qu’il fallait [1].

Hugues Serraf

[1] Interrogé ce jeudi matin sur France Inter, Pierre Moscovici semblait justement avoir été ému par tous ces roucoulements et parle désormais de «corriger» les mesures les plus pigeonicides de la loi de Finances 2013.

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