Jean-François Copé est incontestablement le plus fidèle héritier de Nicolas Sarkozy en termes de méthodes de combat politique. Il avait déjà montré lors de la dernière campagne présidentielle qu’il avait fait siennes les techniques rhétoriques de l’ancien président, manifestement tirées de L’Art d’avoir toujours raison d’Arthur Schopenhauer.
En évoquant le «racisme anti-blanc» dans son livre Manifeste pour une droite décomplexée (Fayard), dont des extraits ont été publiés par Le Figaro, il reproduit à présent une technique sarkozyenne que nous pourrions qualifier de valse à quatre temps: provocation, requalification, victimisation, accaparement.
1. Provocation
Dans toute société, le débat public est encadré par un certain nombre de tabous qui varient selon la culture politique et le vécu collectif du pays. Briser ces tabous est par définition l’apanage des partis anti-système, dont la clientèle électorale est justement composée de personnes qui, rejetant la société telle qu’elle est organisée, rejettent par la même occasion ses tabous.
En bonne logique, nul n’est donc surpris lorsque Marine Le Pen stigmatise les immigrés ou lorsque Jean-Luc Mélenchon donne pour titre à son livre sur les élites Qu’ils s’en aillent tous!: chefs de file de partis anti-système, ils sont ce faisant parfaitement cohérents dans leurs rôles respectifs.
La situation est tout autre lorsqu’une personnalité nationale d’un parti de gouvernement brise à son tour un tabou. Il s’agit alors d’une provocation destinée tout à la fois à maximiser l’attention des médias et de l’opinion publique sur son discours, à attirer pour l’avenir la clientèle électorale de l’un ou l’autre parti anti-système et à fidéliser davantage la part de clientèle de son propre parti dont les vues sont proches de celles du parti anti-système.
Hier, Nicolas Sarkozy décidait d’employer le terme «racaille» pour stigmatiser les populations jeunes des banlieues. Aujourd’hui, Jean-François Copé évoque le «racisme anti-blanc» en sachant que c’est une expression qui appartient à la culture politique de l’extrême droite.
2. Requalification
En l’état, la provocation initiale n’est pas durablement soutenable dans le débat public, sauf à choisir, pour son auteur, de prendre le risque de se marginaliser.
Intervient donc, sitôt obtenue la maximisation de l’attention des médias et de l’opinion publique, la requalification du problème politique abordé. Face aux réactions envers l’expression employée, donc envers le tabou brisé, la personnalité produit une explication de «ce qu’il avait voulu dire», qui est en fait une requalification de la provocation en message politique acceptable dans le système.
Hier, Nicolas Sarkozy expliquait ainsi que ce qu’il entendait en fait par «racaille» était simplement le problème récurrent de délinquance d’une partie des populations jeunes dans une partie des banlieues, à ne pas amalgamer avec l’entièreté de ces populations, et contre lesquelles il fallait beaucoup plus de fermeté.
Aujourd’hui, Jean-François Copé explique de même que ce qu’il entendait par «racisme anti-blanc» est simplement l’existence de tensions interethniques dans un certain nombre de quartiers sensibles, qui ne doivent pas être ignorées ni réduites au problème du racisme envers les minorités visibles.
La requalification permet de fait de désamorcer la provocation en en conservant le bénéfice politique, tout en accroissant ce bénéfice. Les électeurs qui se reconnaissent dans la stigmatisation de telle ou telle catégorie de la population s’en tiennent à la provocation initiale, à laquelle ils adhèrent. L’opinion publique, au moins pour sa partie politiquement proche du parti de la personnalité, admet le problème tel qu’il est posé une fois requalifié.
Les adversaires de la personnalité, internes ou externes au parti, peuvent eux difficilement riposter, puisque s’ils attaquent sur la provocation la requalification est déjà prête, et s’ils attaquent sur la provocation ils renforcent leur propre marginalité de briseur de tabous, à l’instar de Marine Le Pen réclamant une sorte de droit d’auteur sur la provocation de Jean-François Copé.
3. Victimisation
Sitôt exprimée la requalification, la personnalité politique revient sur les condamnations dont sa provocation initiale a pu faire l’objet et les assimile à un rejet de sa requalification.
Hier, Nicolas Sarkozy répondait ainsi aux condamnations de l’emploi du mot «racaille» que leurs auteurs refusaient de voir le problème récurrent de délinquance d’une partie des populations jeunes dans une partie des banlieues. Aujourd’hui, Jean-François Copé répond aux condamnations de l’emploi de l’expression «racisme anti-blanc» que leurs auteurs refusent de voir le danger des tensions interethniques dans un certain nombre de quartiers sensibles.
Cette évolution du message permet à la personnalité de prendre progressivement la posture d’une victime, qui a le courage d’évoquer les vrais problèmes se posant concrètement à telle ou telle catégorie de son électorat fidélisé ou potentiel, par opposition à ceux qui refusent de voir ces problèmes, et donc ne se soucient pas autant que lui de cette catégorie de l'électorat.
Significativement, François Fillon, pour ne pas être victime de cette prise de judo, a de fait immédiatement choisi de déclarer que l’expression «racisme anti-blanc» ne le choquait d’aucune manière.
4. Accaparement
Dès lors qu’au prix du bris maîtrisé d’un tabou du débat public, la personnalité a pu prendre position sur un thème électoralement porteur mais jusqu’alors réservé aux partis anti-système, elle peut, dans le périmètre des partis de gouvernement, déployer ses propositions sur ce thème en position de monopole.
Hier, Nicolas Sarkozy était de fait seul en scène pour plusieurs années sur le thème de l’immigration associé à celui de l’insécurité. Aujourd’hui, Jean-François Copé a tenté le même accaparement sur le thème des tensions interethniques mais, on l’a vu, François Fillon a préféré prendre le risque de le suivre immédiatement sur ce terrain plutôt que de lui en laisser le monopole.
Reste que la course à la droitisation demeure, d’un strict point de vue électoraliste, une impasse. Voir dans les scores du FN une dynamique de progression est un effet d’optique: en part des électeurs et non des suffrages exprimés, Jean-Marie Le Pen était en baisse le 21 avril 2002 par rapport à son score de 1995, et en 2012, toujours en pourcentage du total des électeurs, Marine Le Pen n’a fait que retrouver le niveau maximal atteint par son père dix-sept ans auparavant.
En d’autres termes, le vote FN est globalement stable, hormis la contre-performance de 2007, sans doute due à l’âge du capitaine. En outre, si la droite a systématiquement perdu les élections intermédiaires sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, c’est du fait de l’abstention croissante de l’électorat de centre-droit, en déshérence au fur et à mesure de l’affirmation de la droitisation de l’UMP.
Thomas Guénolé