Économie

Une seconde banque publique d'investissement, pour quoi faire?

Temps de lecture : 4 min

La France a déjà OSéO, qu fonctionne bien.

Arnaud Montebourg et Pierre Moscovici, le 25 juin 2012 à Matignon. REUTERS/Philippe Wojazer
Arnaud Montebourg et Pierre Moscovici, le 25 juin 2012 à Matignon. REUTERS/Philippe Wojazer

La création d'une «banque publique d'investissement» (BPI), destinée aux PME, fait partie des 60 engagements du candidat Hollande. C'est même le tout premier d'entre eux. C'est dire son importance. Mais, les premières décisions prises en conseil des ministres laissent un peu rêveur.

Il existe déjà en France une banque publique d'investissement; elle s'appelle OséO. Fruit d'une longue histoire, elle a intégré progressivement la Banque pour le développement des PME (ex-Caisse des marchés de l'Etat), l'Anvar (Agence pour la valorisation de la recherche), la Sofaris (garantie de prêts bancaires).

Au lieu de proposer les produits existant sur ses étagères, elle répond aux demandes de ses clients, de manière personnalisée. Elle est désormais complètement intégrée et très présente dans toutes les régions. La région «Bretagne» en est actionnaire.

Le montant de ses interventions atteint 29 milliards d'euros en 2011. Connue et appréciée des PME et des banques, elle garantit un crédit bancaire sur deux.

Les petites entreprises ayant moins de trois ans d'existence étaient pratiquement exclues d'un financement bancaire normal; 86% d'entre elles restent dépendantes d'une seule banque. La garantie «OSéO» débloque beaucoup de situations difficiles.

OSéO est le médicament contre la frilosité bancaire. Le ministre du Redressement productif lui-même pense, à juste titre, qu'Oséo donne largement satisfaction.

Alors pourquoi créer une seconde banque publique au lieu de perfectionner celle qui existe? Mystère. A un moment où la profitabilité des entreprises s'est fortement réduite (98% d'autofinancement en 1998, 60% aujourd'hui) et où, du fait de la mise en place de nouvelles normes financières internationales (Bâle III) qui devraient contribuer à raréfier et à renchérir le crédit, les entreprises françaises sont plus dépendantes que jamais des financements bancaires à tous les stades de leur développement: création, innovation, accès à l'international, croissance externe, transmission.

Au lieu de créer une seconde banque publique d'investissement, dont le financement reste dans les limbes ou proviendrait d'une réduction des moyens d'OSéO, ce qui serait ubuesque, quatre actions pratiques pourraient être envisagées dans ce domaine:

  • 1. Nommer un nouveau patron d'OSéO, avec une feuille de route claire, pour marquer une nouvelle étape; des noms intéressants circulent;
  • 2. Mettre à la disposition d'OSéO des moyens financiers accrus (en provenance du doublement du plafond du livret A, par exemple);
  • 3. Faire en sorte que les chargés de clientèle des banques «normales», qui doivent continuer à financer à titre principal l'économie, connaissent bien les dispositifs publics et les pratiquent sans complexe; paradoxalement ce n'est le cas partout.
  • 4. Pérenniser le rôle du médiateur du crédit confié initialement à René Ricol: les relations banques /PME ne sont pas complètement apaisées.

Améliorer l'accès des PME au crédit, c'est bien mais pas suffisant; il faut traiter en même temps la question des fonds propres en partant de la situation actuelle, qui présente quatre caractéristiques.

Traditionnellement les PME françaises ne disposent pas de capitaux propres à la hauteur de leurs projets et des aléas de la vie économique. Le quart des sociétés se créent avec moins de 2.000 euros de capital, ce qui les renvoient vite à la bonne volonté des banques ou au tribunal de commerce pour cause de dépôt de bilan; l'épargne française reste abondante: 90 milliards d'excédent en 2010, contre 65 en 2004 car le taux d'épargne des ménages français demeure très élevé: 16% environ; mais plus de 80% de cette épargne va vers l'assurance-vie ou des placements sur livret, c'est-à-dire en définitive vers le financement du déficit budgétaire de l'Etat ou le logement social; l'épargne liquide est largement défiscalisée alors que l'épargne investie dans l'économie n'est pas clairement et durablement encouragée.

Il importe donc de réorienter de façon durable l'épargne nationale, celle des ménages, mais aussi celle des entreprises vers le financement de l'économie, que l'on peut qualifier de «redressement productif».

Trois moyens peuvent y contribuer:

  • 1. La réduction puis la suppression du déficit budgétaire de l'Etat, qui «libérera» à terme 100 milliards d'épargne pour les entreprises;
  • 2. Une modulation des taux d'imposition des entreprises sur les bénéfices, suivant qu'ils seraient distribués aux actionnaires ou réinvestis dans l'entreprise ou dans des fonds communs d'investissement, et notamment des fonds d'amorçage; l'Allemagne pratique déjà cette distinction. L'engagement n°3 du président Hollande prévoit de descendre jusqu'à 15% de taux d'imposition pour les «très petites entreprises»: c'est le taux irlandais, dont l'efficacité n'est plus à démontrer.
  • 3. Une fiscalité des ménages délibérément favorable à l'investissement productif; les dispositifs existants (ISF/PME, Madelin, Régimes d'épargne salariale: participation et intéressement ) sont devenus opaques et mériteraient d'être évalués et clarifiés; l'affectation annoncée du produit du doublement du plafond du livret A à l'investissement productif va dans le bon sens:la réduction de la «fiscalité sociale sur l'assurance-vie» pour les contrats investis dans les sociétés non cotées également; la pérennisation du dispositif de réduction de l'ISF en cas d'investissement direct et assez long dans des PME serait efficace; il est clair que la surtaxation des hauts revenus réduirait les vocations de «Business angels»; à un moment il faudra bien choisir entre l'idéologie et l'efficacité.

La nouvelle règle du jeu devrait être concertée, compréhensible et durable.

Diversité des solutions, simplicité des procédures, lisibilité par les intéressés, stabilité dans le temps, telles sont, bien sûr, les composantes du cahier des charges à établir puis à respecter.

Mais est-on vraiment capable en France de ne pas changer de régime fiscal tous les ans?

Ce serait une bonne idée de réunir un «Grenelle de la croissance» pour discuter de tout cela, avec en perspective l'adoption à l'occasion de la loi de finances pour 2013 d'une «Charte de financement de la croissance» pour les cinq ans qui viennent.

Le 28 juin, Planète-PME, en liaison avec la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) a tenu son dixième congrès à la porte Maillot. Quatre ministres dont le Premier d'entre eux, Jean-Marc Ayrault, y ont pris la parole et fait des annonces sympathiques concernant notamment la fiscalité applicable aux PME et à l'épargne, la réduction des formalités administratives, l'accès aux marchés publics, etc.

Les sujets qui fâchent ont été évités: le coup de pouce au Smic le 1er juillet notamment. Il faut avoir en tête que le coût horaire de la main d'oeuvre a augmenté de 37,4% entre 2000 et 2010 en France contre 14,9% en Allemagne, soit plus du double. Le nouveau ministre de l'Economie, Pierre Moscovici qui «co-pilote» avec Arnaud Montebourg, chargé du redressement productif, la mise en place de la Nouvelle Banque publique d'investissement a annoncé sa préfiguration dès septembre 2012.

L'occasion d'esquisser un compromis historique entre une gauche ayant du temps devant elle et des entreprises réalistes est-elle à portée de main? Ce qui est bon pour la croissance l'est aussi pour l'emploi.

Michel Cotten

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