Il n’est pas de secteur d’activité qui ne trouve salon à son pied. Dans les parcs-exposition de toutes les grandes agglomérations, les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Des thèmes les plus classiques aux plus exotiques, les périphéries urbaines accueillent des populations aux intérêts variés qui, le temps d’un salon, viennent dénicher les dernières innovations. Qu’il s’agisse des modèles de voiture dernier cri, de clubs de golfs, d’orientation scolaire, de godemichés ou d’animaux de compagnie, chacun peut arpenter les allées de ces salles gigantesques, passer de stand en stand et céder à ses envies.
Produits publicitaires, installation de stands temporaires, brochures en tous genres, un salon est par définition (par essence, c’est encore pire) écologiquement désastreux. Il faudrait faire le décompte des salons consacrés au développement durable pour mesurer l’importance de la communication qui a semble-t-il envahi cette «belle idée». Combien de dizaines d’associations, machines à produire des guides du savoir-vivre nouvelle génération, combien d’événements, de rencontres, de réunions, d’assises, de remises de prix, de labels?
A défaut de les citer tous, il suffit d’entrer «salons développement durable» sur votre moteur de recherche. L’indignation est facile mais le syndrome McCartney a toujours quelque chose d’intéressant (le boy s’était, à son insu, fait livrer en avion depuis le Japon une voiture écolo). Après tout, un communiste a le droit de manger aux deux arches dorées, on ne lui reprocherait pas. Un «éco-citoyen» peut donc bien aller dans des «salons durables», et pas nécessairement à dos d’âne.
La société civile, la réunionnite et l’avenir de la planète
La multiplication des salons dédiés au développement durable n’est-elle pas un symptôme du dévoiement de ce «nouveau» mode de perception sociale, économique et environnementale? De son abandon à la communication pure et simple? Si l’éco-blanchiment, omniprésent dans le monde de l’entreprise, ne laisse pas grand monde dupe (les plus grands pollueurs se parant bien volontiers de «vitrines» développement durable, de chartes et replantant des arbres après avoir décimé des forêts), l’action publique n’a semble-t-il hélas pas pu éviter cet écueil.
Ainsi que nous le soulignions dans une tribune précédente, la prééminence de la société civile dans certains domaines, allant de pair avec un retrait du politique, ne donne-t-elle pas prise en dernier ressort à la seule com? La porte laissée grande ouverte aux voix de la société civile pourrait ainsi expliquer, à certains égards, la dérive du développement durable dans la communication.
Parce que le développement durable, dans les faits, ce sont des réunions qui appellent d’autres réunions, des débats insignifiants sur la délivrance de labels eux-mêmes insignifiants, le tout le plus souvent dans les beaux quartiers de la capitale –ce qui est des plus agréable, convenons-en. Les ONG occupent une place de choix dans ce paysage «politique» du développement durable. Elles ont participé activement au Grenelle de l’Environnement, avec les résultats nuancés que l’on connaît, et sont associées au suivi et à la mise en œuvre de nombreux programmes ministériels.
La place de ces ONG est telle qu’on en oublierait presque qu’un ministère est dédié à cette thématique et pourrait faire avancer les choses plus rapidement s’il ne s’encombrait pas des intérêts des uns et des autres et surtout, des critiques récurrentes autour d’une virgule placée au mauvais endroit. Parce que le développement durable, peut-être plus que nulle autre thématique, c’est aussi un verbiage. Florilège des mots à employer: têtes de réseaux, porteurs de projets, sensibiliser les habitants, retours d’expérience, échanges de bonnes pratiques, focus, fédérer, mobiliser…
Politique de projets vs projets politiques
Au nom de la transparence et de la démocratisation, l'action en faveur du développement durable se fait en effet quasi-exclusivement sur le mode de la conduite de projets portés par la «société civile», au détriment de la cohérence des politiques publiques. On en vient à se demander si derrière l'écran de fumée des réunions de partenaires, des rapports d'activités et de l'évaluation permanente, il ne s'agit pas davantage de démontrer que l'on tente de se saisir du problème de l'environnement, plutôt que d'agir véritablement. Comme si la politique des projets avait supplanté les projets politiques.
Si seulement le politique cantonnait la société civile à des fonctions d’alerte, de conseil, d’aide à la décision, sans lui donner de responsabilités dans la mise en œuvre des politiques publiques, peut-être le temps d’«application» des politiques durables serait-il moins long. Peut-être que de la sorte, la seule vraie question, celle de la fiscalité verte, pourrait un jour être posée sérieusement. A condition bien sûr de trouver du courage politique pour se traduire par des mesures concrètes. Au vu des enjeux considérables en la matière, tergiverser sur l’opportunité de retenir tel ou tel critère dans l’attribution à une collectivité d’un label n’est finalement pas très sérieux.
Aller à Rio en planche à voile
Enfin, comment ne pas faire un sort aux sommets mondiaux, qui montrent à quel point la communauté internationale peine à se fixer des objectifs sérieux et ambitieux pour l’avenir de la planète? De Copenhague à Durban, les derniers en date ont été qualifiés d’échecs, ne parvenant pas à mettre d’accord les uns et les autres sur les efforts à mener pour limiter nos empreintes écologiques.
Du 20 au 22 juin, des délégations du monde entier se rendront à Rio pour les 20 ans du Sommet de la Terre. Les compagnies aériennes font le plein. Les associatifs préparent déjà leur crème solaire et leurs sandales –tout en laissant dans leurs bagages une petite place pour l’un ou l’autre objet d’artisanat local. Qu’en sortira-t-il de sérieux? Le cynisme n’est pas encore une qualité, alors laissons-les partir. Regrettons simplement que le vent ne soit pas assez fort pour les y conduire en planche à voile.
Xavier Schmitt et Emilien Matter