A la fin du mois de février dernier, les étudiantes et étudiants québécois lançaient ce qui allait devenir le plus important mouvement de grève de l’histoire du Québec. Leur mouvement est né pour protester contre une hausse des frais de scolarité de 1.625$ (1.230€) sur cinq ans soit une augmentation de 75% qualifiée par le gouvernement libéral de Jean Charest de «juste part». Pourtant, cette mesure est à la fois injuste, illégitime et incohérente.
Le gouvernement avance deux arguments en faveur de la hausse des frais de scolarité: tout d’abord, elle permettrait de résoudre la crise du sous-financement des universités québécoises; ensuite, elle serait une mesure de justice sociale car une partie de la hausse des frais de scolarité servirait à financer une augmentation des bourses des plus défavorisés de sorte qu’ils ne ressentiraient pas les effets de la hausse. D’une pierre deux coups finalement.
Or, puisque l’objectif premier est de financer les universités, la part octroyée aux programmes d’aide aux étudiants défavorisés sera marginale. En outre, dans le meilleur des cas, les étudiants défavorisés n’y gagnent rien puisque l’augmentation de la bourse passe dans la hausse des frais de scolarité. On peut difficilement considérer qu’il s’agit d’une mesure qui promeut l’égalité sociale.
En avançant l’argument de l’équité sociale, certains universitaires confortent malgré eux un gouvernement qui souhaite le désengagement de l’Etat. Dans une récente tribune au Monde (édition du 15 mai 2012), le professeur Jocelyn Maclure admet, sans la discuter, la légitimité de la hausse et défend une option qui permet au mieux d'en amoindrir les effets.
La hausse uniforme des frais de scolarité est particulièrement inégalitaire
Il soutient d’un côté que les universités sont un bien public et affirme d’un autre qu’il revient aux étudiants de supporter une part substantielle de leur financement car ils sont censés recevoir des salaires plus élevés que les autres à la sortie de leurs études.
Il n’est pourtant pas difficile de voir que la hausse uniforme des frais de scolarité est particulièrement inégalitaire. Tous les diplômes ne se valent pas sur le marché du travail: ainsi les étudiants dans les disciplines moins valorisées actuellement (lettres, sciences sociales, etc.) paieront proportionnellement beaucoup plus que ceux dans les disciplines les plus valorisées (droit, commerce, médecine, etc.). Ce sont aussi ceux-là dont les départements bénéficieront d’un moindre investissement interne de l’université.
La réponse du gouvernement à ce problème est la mise en place d’un système de remboursement des prêts étudiants proportionnel aux revenus. Pourquoi pas? Mais si le gouvernement s’engage à faire cela, il doit accepter que ce soit finalement l’Etat qui paie la différence entre le montant des frais de scolarité et ce que pourront rembourser les diplômés les plus mal lotis.
On ne peut croire que le gouvernement veuille faire une chose (mettre à contribution les étudiants) et son contraire (les épargner du fardeau de la hausse). A moins de faire preuve d’une grande naïveté, on doit admettre que l’objectif du gouvernement n’est pas de promouvoir la justice sociale et que ses nouvelles propositions ne sont que l’enrobage doux d’une pilule bien amère.
Un appel exemplaire à la vigilance
Enfin, la hausse proposée est aussi brutale financièrement que politiquement: l’augmentation de 75% était présentée comme une simple mesure budgétaire. Or, cette proposition ne pouvait être justifiée que dans le cadre d’une réforme générale du financement des universités et requérait à ce titre la mise en œuvre de négociations ouvertes.
Le gouvernement n’a malheureusement jamais démontré sa volonté de négocier et a fait passer cette hausse essentiellement politique pour une simple décision technique. En faisant cela, le gouvernement a tenté de priver les citoyens de leurs droits de participation et de contrôle. Les conservateurs pensent que la démocratie se joue seulement lors des élections; il est urgent de leur rappeler que les élections ne sont pas un sceau de légitimité absolue qui protègerait toutes les décisions politiques de la contestation démocratique.
Incapable de résoudre par le dialogue social la crise, Jean Charest vient de franchir le Rubicon en faisant adopter un projet de loi spéciale, la loi 78, qui est un véritable déni de démocratie. Cette loi prévoit des sanctions ahurissantes pour les étudiants et leurs associations et impose un nouveau rapport de force qui menace davantage les libertés publiques.
Ainsi, en cas de participation à un rassemblement jugé illégal par la police, des amendes de 1.000 à 5.000$ (765 à 3.800 euros) seront infligées aux individus, et les amendes iront de 35 000 à 125 000 $ (26.800 à 96.000 euros) pour les associations en cas d’organisation d’un tel rassemblement ou d’incitation à la manifestation.
Dans ces circonstances particulièrement graves, le mouvement des étudiants québécois est un appel exemplaire à la vigilance dans nos démocraties où les citoyens n’ont plus de moyen de contrôle et où les élections engagent de moins en moins la parole des responsables politiques. Il nous rappelle aussi que la défense de la démocratie sociale est prioritaire sur toute autre considération et qu'elle concerne tous les citoyens.
Marc-Antoine Dilhac et Christian Nadeau