France

Un an après le Sofitel: les enseignements féministes pour la lutte contre le viol

Temps de lecture : 6 min

De l'arrestation de DSK à l'initiative #jenaipasportéplainte, une année vue par Sandrine Goldschmidt et Muriel Salmona.

DSK et Nafissatou Diallo, montage REUTERS.
DSK et Nafissatou Diallo, montage REUTERS.

Il y a un an, le 14 mai 2011, la nouvelle faisait l'effet d'une bombe. Dominique Strauss-Kahn, président du Fonds monétaire international, le FMI, était arrêté à New York pour crime sexuel et tentative de viol à l'hôtel Sofitel (où il résidait) sur la personne de Nafissatou Diallo, employée de ménage dans ledit hôtel.

Il était placé en garde à vue, menotté, et le procureur Cyrus Vance estimait le témoignage de la victime et les faits suffisamment sérieux pour justifier qu'il soit placé en détention. Une bombe, parce que l'homme était un des plus puissants de la planète, et, pour notre microcosme français, le favori de l'élection présidentielle à venir, dont les sondages le désignaient vainqueur face au Président alors en place, Nicolas Sarkozy.

Pourtant, les premières réactions à cette nouvelle qui n'aurait rien dû avoir de surprenante, pour les pairs de l'homme politique et les médias, où les rumeurs sur l'agressivité sexuelle de l'hyperactif DSK en la matière étaient secret de polichinelle, furent celles des ami-e-s bien placés: l'incrédulité feinte.

De l'incrédulité feinte à l'accusation de la victime

Réaction typique des castes dominantes, la victime n'était citée que pour les motifs qui justifieraient soit l'impossibilité qu'un homme comme lui eût pu «s'intéresser» à une femme comme elle d'une part (certains disant qu'elle était trop laide, trop grosse, trop insignifiante pour un homme tel que lui), soit l'hypothèse d'un complot contre un homme qui après tout, aurait un penchant un peu forcé vers la séduction, mais pas de quoi s'effaroucher. Il s'agissait d'un simple «troussage de domestique», il n'y avait pas «mort d'homme», et d'ailleurs, y avait-il même une femme?

On n'en entendait pas parler. Les faits qu'elle avait rapportés n'existaient pas. Seul le grand homme, le «maître du monde», existait. Jusqu'à ce que les féministes réagissent vivement à ce sexisme ordinaire, qui ignorait la victime et en profitait pour se livrer à un déferlement de propos sexistes, désignés à notre sidération face au crime.

Quelques semaines plus tard, la situation allait se retourner. Tout d'un coup, la victime présumée devenait le centre des préoccupations. Il apparaissait qu'elle avait menti. Dès lors, celui qui avait lui aussi menti dans la procédure en niant d'abord le rapport sexuel avant d'être obligé de le reconnaître par la présence de sperme, n'avait même plus besoin de se défendre. Libre, on ne lui demanderait jamais de s'expliquer sur ce qui s'était passé. Il se contentait de parler de rapport consenti: entre un homme nu dans une chambre d'hôtel et une femme de ménage qui y rentre, comment l'homme pouvait-il s'assurer du consentement à une fellation de la femme face à laquelle il se trouvait, pour un rapport de quelques minutes? Comment imaginer qu'une femme qui est en train de travailler, puisse, à la vue d'un homme qu'elle ne connaît pas et d'une trentaine d'années de plus que lui, d'un coup lui «lancer une oeillade significative»? Quelle méconnaissance cet homme qui dit «avoir toujours respecté les femmes» pouvait-il avoir de la réalité de rapports partagés et désirés?

Mais voilà, d'un coup, toutes ces évidences à charge, sans compter les rapports médicaux et témoignages, tombaient parce que le discours de la victime présumée semblait incohérent, parce qu'elle avait menti dans le passé? Alors même que la justice devrait –les mouvements féministes et les victimologues leur diffusant sans cesse ces informations– savoir que le traumatisme et le déni des violences sexuelles dans notre société, sont une cause récurrente de difficulté à témoigner liée à des troubles de la mémoire (mémoire traumatique, amnésies), des pertes de repères temporo-spatiaux, des doutes et incohérences (dissociation péri-traumatique).

La victime, c'est la coupable

D'un coup, en plus de la violence de l'agresseur qui voudrait nous faire croire qu'il existe un présumé consentement, alors qu'il n'a que faire du consentement de l'autre, sans parler de son désir, c'est la violence de l'institution judiciaire et de la société patriarcales qui se font jour: la victime c'est la coupable, puisque c'est sur elle qu'on enquête. Chacun de ses faits et gestes, de ses dires, chacune de ses caractéristiques physiques est scrutée, décortiquée, même si de toute évidence il n'y a aucun lien avec les faits. Alors qu'une enquête judiciaire doit d'abord se faire sur des faits. Chercher des preuves de ces faits. Or s'il y a des preuves, quelle nécessité de savoir si oui ou non, la personne a menti lors de son entrée dans le pays?

Toutes ces raisons d'indignation, qui ont fini par quand même mener à l'abandon des charges contre l'ancien directeur du FMI, nous ont fait écrire le manifeste «Pas de justice, pas de paix» fin août 2011. Nous en avons fait une pétition qui a recueilli 1.500 signatures.

C'était le premier acte. Depuis, un second s'est entamé qui semble avoir amorcé un changement de direction du vent médiatique. DSK a été rattrapé par d'autres affaires: malgré un non-lieu dans la plainte de tentative de viol qu'elle a déposée contre lui, Tristane Banon a vu des faits d'agression sexuelle reconnus par le parquet. Depuis, DSK a été mis en examen pour proxénétisme aggravé dans l'affaire du Carlton. Enfin, des procédures sont susceptibles de s'ouvrir à la demande des juges pour viols en réunion de personnes prostituées. Et on a l'impression qu'un an après, celui qui semble encore se croire un «maître du monde», et dit qu'il aurait pu sauver la France et l'Europe dans des entretiens avec la presse américaine, n'a plus que lui-même pour encore y croire.

Cette affaire exemplaire, où toutes les étapes de la violence sexuelle ont été évoquées –viols, tentatives de viol au travail, harcèlement sexuel, agressions sexuelles, clientélisme de la prostitution, proxénétisme et viol en réunion de personnes prostituées–, finit par faire émerger la réalité de ce que sont les violences sexuelles: le privilège d'une caste dominante, celle des hommes, dans une société patriarcale, où les plus puissants bénéficient de toute la complicité silencieuse de la société. De l'autre côté, la caste des femmes, qui est encouragée à subir et à se taire.

Les témoignages de femmes

Mais cette fois-ci, la riposte a été à la mesure de l'ampleur des faits. Outre les réactions aux propos sexistes, des initiatives se sont mises en place, comme l'AG féministe et lesbienne contre l'impunité des violences masculines. Le manifeste Pas de justice pas de paix a également lancé une campagne le 1er mars. Le hashtag #jenaipasportéplainte a permis à des centaines de femmes de mettre sur la place publique pourquoi aujourd'hui encore la société empêche les femmes de porter plainte. En n'enquêtant pas sur les faits mais sur les victimes, en faisant du viol des cas isolés de «folie amoureuse» au lieu de les reconnaître pour ce qu'ils sont: des crimes prémédités contre les femmes, pour maintenir leur infériorisation dans la société.

Cette évidence a paru si forte, alors qu'en parallèle les faits qui lui étaient reprochés étaient de plus en plus nombreux, que de nombreuses femmes, féministes ou non, ont manifesté que cela suffisait. Et alors même que les attaques continuent (avec l'abrogation de la loi sur le harcèlement sexuel sans laisser de délai pour préparer une nouvelle loi), on a l'impression que désormais les femmes sont prêtes à réagir. A dire non. Il est inadmissible qu'un individu, aussi «puissant», soit-il, mais aussi des milliers d'autres, et une société toute entière, continue à se construire sur la destruction systématique d'une moitié de sa population. Car de l'enfance au travail en passant par la famille, le couple, le handicap et la culture pornographique, fondée sur la négation des «femmes sans tête», mortes devenus objets de jouissance pour les hommes, les violences sexuelles sont destinées à maintenir les femmes à l'état de victimes dissociées, en déni permanent de leur humanité jusqu'à reproduire la violence sur elle-mêmes et parfois sur autrui à force d'être colonisées par celle de l'agresseur.

Ce que la justice peut faire

La société ne pourra pas continuer à «fonctionner» en continuant à imposer à toutes les femmes de la même façon, et à certaines avec en plus une stigmatisation raciste ou culturelle, cette violence institutionnelle et en n'entendant pas leurs plaintes légitimes.

Aujourd'hui, il est temps que la justice s'interdise la déqualification des violences sexuelles (viols correctionnalisés), s'attache à enquêter sur les faits pour tenter de réunir les preuves et des faisceaux d'indices graves et concordants, et s'impose une réflexion sur le retournement de la charge de la preuve: s'interdire tout idée de présumé consentement et se concentrer sur les moyens d'envisager la possibilité d'user de la notion de présomption de non-consentement.

Pour qu'enfin la caste des hommes en position dominante dépose les armes, et fasse à tout le moins le premier geste de l'apaisement: la démarche non contraignante, non perverse, non persuadante, de s'assurer du désir de l'autre et du partage possible. Et de s'interdire toute mise à disposition du corps de l'autre.

Pas de justice, pas de paix!

Sandrine Goldschmidt et Muriel Salmona

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