L'activisme du couple franco-allemand suscite quelques moqueries depuis quelques mois. Après le fameux Merkozy, la toile nous offre une hilarante parodie de «dinner for one», un petit film ritualisé diffusé par la télévision allemande tous les 1er janvier. L'original montre une vieille lady esseulée qui, le soir du réveillon, fait revivre la table animée de ses amis disparus.
Son majordome - James- joue à tour de rôle les quatre convives et, comme il trinque à chaque plat, finit le repas ivre mort. La parodie de cette année reprend le film en incrustant les visages de Mme Merkel dans le rôle de la lady et de M. Sarkozy dans le rôle du majordome, claudiquant et ridicule évoquant les disparus européens, Papandréou, Berlusconi...
Cela amuse beaucoup les Allemands. Dans la même veine joyeuse -quand il en est encore temps, demain sans doute, on rira moins-, osons le crocolion budgétaire. Car notre couple vedette a conçu en décembre un projet de traité européen budgétaire, ou plutôt une sorte d'hybride juridico budgétaire bien curieux.
Premier sujet: quelle est la nature juridique du produit?
On parle de traité, mais est-ce bien un traité? La déclaration adoptée par les chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro le 9 décembre fixe des objectifs pour « une architecture renforcée de l’Union économique européenne ». Les travaux qui ont aussitôt débuté s’orientent vers «un accord international sur une union économique renforcée».
Le mécanisme européen de stabilité résulte pourtant d'un traité «classique» signé en juillet par les Etats de la zone euro-. Pourquoi cette différence? Sans doute parce qu'un traité n'entre en vigueur qu'à l'issue d'un processus de ratification qui implique les parlements des Etats signataires tandis que l'accord précise qu'il entrera en vigueur après avoir été ratifié par 9 des 17 Etats membres de la zone euro. Signalons juste que c'est une première.
Deuxième sujet: est-ce un traité européen?
En dépit de la claire volonté d'associer les institutions européennes —le parlement européen, la Commission, la BCE sont associés au groupe de négociation chargé d'élaborer un texte précis, l'accord est non moins clairement un accord intergouvernemental. Le choix solitaire du Royaume-Uni oblige à des contorsions juridiques.
L'accord est donc dit à «17 plus» —les 17 de la zone euro plus les 9 volontaires, ou à «27 moin ». Mais c'est une chose de signer un traité à 27 et de prévoir des dérogations pour les Etats qui le demandent, comme cela se fait couramment, c'est autre chose de signer un traité sans tout le monde!
Des complications en perspective puisque la convergence et la gouvernance relèvent du droit communautaire (le «six pack» est un ensemble de règlements adoptés en codécision par le Parlement européen et le Conseil) tandis que la nouvelle discipline budgétaire relève de l'intergouvernemental. Le cas s'est déjà produit mais signalons juste les difficultés.
Troisième sujet: les conséquences budgétaires de l'accord et la trop fameuse règle d'or
Que de confusion sur ce terme! La règle est comprise comme s'il s'agissait d'un retour à l'équilibre budgétaire. C'est la lecture allemande qui voit le déficit budgétaire comme l'origine de la crise. Mais il y a d'autres lectures: dans son acceptation plus classique, la règle d'or signifie l'équilibre budgétaire hors dépenses d'investissement. On évoque aussi l'équilibre structurel, c'est à corrigé des effets de cycle économique.
Autant d'interprétations qui prêtent à confusion. Et ce serait cette règle là qu'il faudrait inscrire dans la constitution !? Les grands constituants de la révolution française et de 1958 doivent se réveiller dans leur tombe ! Une loi organique serait d'ailleurs suffisante pour un résultat identique. Signalons simplement qu’une réforme constitutionnelle ne s’impose pas et que l’objectif peut être atteint par des voies législatives plus courantes.
Quatrième sujet: la hiérarchie des pouvoirs
Trois institutions sont dans la boucle du prochain traité: les parlements nationaux, les cours ou conseils constitutionnels nationaux et la Cour de justice européenne, chargée, après une longue tractation entre Français et Allemands, de veiller à la transposition des engagements budgétaires dans l'ordre juridique interne.
Il est stupéfiant que les réformes constitutionnelles imposées par ce traité -qui, en France, seront approuvées, en toute légitimité, par la voie parlementaire, mais qui ne seront vraisemblablement pas soumises au référendum, de peur de mauvaises surprises-, soient examinées par un tribunal international!
D'ailleurs, une fois la transposition vérifiée, la Cour européenne va-t-elle aussi s'assurer que les cours constitutionnelles nationales sont suffisamment compétentes pour vérifier l'application des engagements budgétaires? Il y a là matière à interrogation!
Si au moins, ce traité était un signe, une preuve plutôt, de solidarité! Mais sitôt l'accord signé, la France a indiqué qu'elle partait seule à l 'abordage des marchés financiers en présentant son projet de taxe sur les transactions financières.
Le traité, pareil au retptilomammifère qui a d'un côté, la tête du lion et de l'autre, celle du crocodile, tient des espoirs et des fourberies de chacun. Tout le monde sait sûrement pourquoi l'animal est méchant. Disons ici qu'il est difficile d'avancer quand chacun marche à son rythme et regarde de son côté. Même avec un bec d'aigle, un canard boiteux continue de boiter. Mais – et c'est là toute l'ironie de la construction européenne-... mais il avance.
Nicolas-Jean Brehon