France

Notre santé a besoin d'un atlas et de données publiques

Temps de lecture : 5 min

Les Français ont droit à des atlas de leur santé dignes du XXIe siècle.

Carte d'un exercice militaire en Ukraine, en 2008. REUTERS/Gleb Garanich
Carte d'un exercice militaire en Ukraine, en 2008. REUTERS/Gleb Garanich

Les systèmes de santé de nos pays développés? Ils apparaissent bien souvent comme de lourds cargos qui naviguent à vue. Pire: ceux qui tentent de les manœuvrer ne disposent, dans le brouillard, que de vieilles cartes plus qu’imprécises. Or les récifs et les hauts fonds sont pourtant innombrables. Comment pouvons-nous raisonnablement avancer si ces obstacles mortels ne sont ni visibles ni cartographiés?

Les soins de santé coûtent cher. Ils peuvent certes rendre de grands bénéfices aux patients, mais aussi provoquer des effets indésirables parfois sévères. Plus de soins ne signifie pas toujours une meilleure santé. Des traitements sont parfois prodigués en excès du fait d’une offre de plus en plus abondante, sans que cela soit nécessairement l’expression d’une demande médicalement justifiée.

Peut-on voir plus clair depuis le pont du cargo? Mais oui! Aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, des chercheurs ont, grâce aux techniques de l’information, mis au point des atlas permettant d’étudier canton par canton les variations géographiques et l’évolution des pratiques médicales.

On est alors stupéfait de découvrir que pour des populations similaires, certains territoires connaissent cinq fois plus de pose de prothèse de hanche que d’autres. Cela est également vrai des opérations de la cataracte, ou encore des interventions chirurgicales pour douleurs lombaires …

C’est un fait: les pratiques médicales ne sont pas également distribuées sur le territoire. Parfois, c’est le fait d’inégalités sociales: un manque d’accès aux soins ou, aux Etats-Unis, des insuffisances de couverture santé. Mais c’est aussi le fait d’inégalités de l’offre ou d’inégalités de pratiques au sein même de l’offre; conséquence d’une absence d’harmonisation entre les médecins vis-à-vis de telle ou telle pratique.

Parfois, c’est l’offre qui crée la demande: la présence d’une nouvelle imagerie médicale, l’installation d’un spécialiste pratiquant des actes de haute technologie (car nous sommes ainsi fait que nous sommes toujours attirés par les nouvelles technologies…) se traduisent par une augmentation des recours à ces actes. C’est alors un effet de «pression de l’offre», très bien connu dans d’autres secteurs du marketing.

Attention, une bonne cartographie des inégalités de santé n’a pas pour objectif premier la réduction des dépenses de santé d’un pays. Ce n’est pas le remède contre la dette que ces équipes de cartographes nous proposent.

Parfois c’est même le contraire. Un exemple: alors que tous les experts convergent pour recommander sur la bases d’études indépendantes une prise en charge adaptée de l’hypertension artérielle (depuis son dépistage jusqu’à son traitement efficace), une cartographie précise de la situation permettra d’identifier les territoires où ces recommandations ne sont pas suffisamment suivies. Situation à corriger.

Parfois, il faudra mieux informer les patients et leurs médecins qu’il convient de mieux prescrire. Et le résultat, alors, ne sera pas toujours une économie nette pour nos finances publiques. Les agences de veille et de sécurité sanitaires, les équipes de recherche, mais aussi depuis peu de temps les associations de patients publient désormais des cartes à partir de données de plus en plus précises et récentes sur les maladies les plus fréquentes, les plus graves, ou celles les concernant au premier chef.

Ces cartes permettent de mieux cibler la prévention, de renforcer les messages de promotion de santé, de corriger des inégalités d’accès aux traitements, de contrôler d’éventuels excès; bref de vérifier l’usage optimal des dépenses de santé.

Mais elles permettent aussi de poser des questions sur les déterminants de ces inégalités de santé : pourquoi le taux de suicide est-il le plus élevé en Bretagne comme vient de le publier le rapport de la DREES (la direction du ministère de la santé en charge des analyses statistiques)?

L’Atlas de la Mortalité par Cancer en France décrit particulièrement bien les disparités territoriales à propos de ce qui représente la première cause de mortalité dans notre pays. Pourquoi l’obésité est-elle plus fréquente dans certains Etats des USA et —au sein même des Etats— dans certains comtés plutôt que dans d’autres? Faut-il saupoudrer les efforts ou bien les concentrer dans les zones particulièrement défavorisées du territoire?

carte cancer

RATIOS STANDARDISES DE MORTALITE PAR CANCERS DES FEMMES A L’ECHELLE DES ZONES D’EMPLOI EN FRANCE METROPOLITAINE (Atlas de la mortalité par cancer, par l'Institut national du cancer)

Il n’y a rien d’irréaliste dans l’idée de constituer de telles cartographies. C’est tout particulièrement vrai en France où le système d'Assurance Maladie couvre tout le territoire et quasiment toute la population. L'Institut des données de santé (IDS) a été créé pour coordonner la centralisation des données provenant de tous les systèmes assurantiels publics et mutualistes ainsi que celles des pourvoyeurs de soins publics et privés.

D’où cette question dérangeante: pourquoi ne disposons-nous toujours pas en France d'un atlas national opérationnel? Parce que nous ne savons pas assez investir en matière de recherche sur de telles questions. Parce que les autorités de santé et l'Assurance Maladie ne savent pas assez travailler avec les milieux académiques pour monter, comme l'a fait l'université Dartmouth aux USA, des systèmes performants, interactifs, high tech.

Parce que les unités de nos grands instituts nationaux de recherche expriment peu d'intérêts sur des sujets ne leur semblent pas assez fondamentaux, trop appliqués.

Ajoutons que les questions relatives aux secteurs sociaux et de santé mobilisent peu de géographes, d’économistes, d’épidémiologistes, de sociologues et d’informaticiens de talent. Et quand elles parviennent à les mobiliser, ils n'ont pas l'habitude de travailler ensemble, de grouper leurs compétences au service de tels projets fortement interdisciplinaires.

Ces hommes et ces femmes ne se rencontrent pas dans les mêmes congrès, ne publient pas dans les mêmes revues, n'enseignent pas dans les mêmes filières de formation. La situation est souvent différente chez nos voisins.

Aux Etats-Unis, les concepteurs du magnifique Dartmouth Atlas Project ont quant à eux dû contourner l'obstacle de la fragmentation de leur système de santé en n'utilisant que les données du système publique d'assurance maladie des personnes de plus de 65 ans (Medicare).

Le revers de la médaille est certes que leur atlas ne fournit des informations que sur cette tranche d'âge. Mais il existe.

A court terme, de telles cartes permettront de guider les efforts de recherche sur le terrain. Les associations de patients s’en serviront de plus en plus pour pointer du doigt des inégalités qu’elles jugeront inacceptables, et pour inciter les pouvoirs publics à corriger ces défaillances de solidarité nationale.

Les cartes de l’alcoolisme, du tabagisme, de l’obésité apparaissent ou apparaitront bientôt presque superposables (en France, aux USA, ou au Royaume-Uni) avec les cartes d’inégalités de revenus, d’éducation, de gradient socioculturel. Ces pathologies sont bel et bien devenues des maladies de la pauvreté.

Les actions intersectorielles (c’est-à-dire pas seulement les interventions ciblées sur la santé, mais aussi sur l’éducation, le chômage, l’environnement, le transport, l’alimentation, la culture, etc.) pourront être mieux guidées, et leurs résultats mieux suivis.

Désormais, les explorateurs du système de santé veulent piloter avec les instruments du XXIe siècle: atlas et cartes précises, mises à jour très régulières, identification des tendances, rapprochement à l’aide de systèmes d’information géographique (logiciels un peu sophistiqués) des données sanitaires, sociales, économiques, culturelles, environnementales; et éventuellement prévisions.

Ces «explorateurs» ne sont plus seulement des chercheurs, des experts et des spécialistes, mais ce sont aussi de simples usagers informés (ou parfois indignés) et bien sûr les pouvoirs publics qui veulent et voudront de plus en plus appuyer leurs analyses et leurs décisions sur des données fiables.

Mieux ces cartes seront bientôt désormais accessibles sur Internet, libres de droit, pour tous les usagers qui veulent partir bien équipés en exploration dans ce nouveau monde qui les concerne et les attend.

Antoine Flahault

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