France

Le rêve bobo

Temps de lecture : 3 min

Le bobo serait un vrai bourgeois et un faux bohème. Rien de bien dramatique si, derrière cette critique en règle, ne se profilait le rejet d’une idéologie très postmoderne.

La place des Vosges, dans le Marais à Paris. Charles Platiau / Reuters
La place des Vosges, dans le Marais à Paris. Charles Platiau / Reuters

Peu de figures sociales suscitent autant de sarcasmes et de détestation. Livre après livre, article après article, le bobo est invariablement ridiculisé, accusé de tous les travers et copieusement injurié. Sur le ton de l’humour ou du premier degré, on lui reproche d’être hypocrite, tiède, faussement généreux… En un mot, le bobo serait un vrai bourgeois et un faux bohème. Rien de bien dramatique si, derrière cette critique en règle, ne se profilait le rejet d’une idéologie très postmoderne.

Né de l’union entre le «bourgeois» et la «bohème», le bobo semble très actuel. Contrairement à l’intellectuel et à l’enseignant, qui auront marqué les deux derniers siècles, le bobo maîtrise un savoir utile et opérationnel. A l’inverse des chefs d’entreprise, il fait partie de l’immense masse du salariat. A la différence de l’ouvrier, doublement victime de la désindustrialisation et de la chute du mur, mais aussi moins fréquentable depuis qu’on le soupçonne de voter FN, il incarne la domination du secteur tertiaire sur les économies modernes.

Pour toutes ces raisons, on pourrait percevoir le bobo comme une figure de plus. Mais en y regardant de plus près, cette figure tente surtout de concilier des caractéristiques sociales jusque-là considérés comme antinomiques.

Le rêve de la minorité représentative

Peut-on symboliser une société et faire partie d’une minorité privilégiée? Sans être une catégorie dument répertoriée par l’Insee ni un bourgeois tout à fait comme un autre, le bobo fait partie des CSP+ et cette appartenance suffit à le différencier de l’immense majorité de la population active. Plus encore, le bobo exerce un métier valorisant et entretient avec son travail une relation passionnée qui, là encore, le distingue de la masse laborieuse. Or ce double privilège du revenu et du statut ne l’empêche pas de résumer à lui seul la société de communication, en lieu et place des ouvriers et de la classe moyenne. Pour l’immense majorité, la pilule a logiquement du mal à passer.

Le rêve de l’argent solidaire

Peut-on avoir de l’argent et être de gauche? A droite, et moyennant quelques réserves traditionnellement liées à la religion catholique, l’argent est considéré comme la juste récompense du travail. A gauche, les plus modestes considèrent que la droite c’est l’argent. Et inversement.

Ceux qui disposent d’un bon revenu et votent à gauche ne partagent évidemment pas cet avis. L’argent est vécu comme un moyen et non comme un signe de reconnaissance. Le bobo met ainsi un point d’honneur à entretenir un rapport distancé à la réussite et à déclarer normal de payer des impôts. En est-il réellement convaincu? A la limite peu importe. C’est une différence suffisamment notable avec la droite pour être soulignée.

Le rêve de la gauche de centre droite

Peut-on être de gauche et envisager de voter à droite? A la fois privilégié et progressiste, le bobo se sait à la croisée d’intérêts contradictoires mais milite en faveur d’une vision pacifiée des rapports sociaux. Le bobo peut parfois verser dans des discours d’extrême gauche et adhérer à la cause environnementale, il n’en est pas pour autant un adepte du grand soir, ni un militant de la décroissance.

Sa conviction néanmoins: la croissance ne résorbe pas les inégalités. Elle les accroît. Son rêve n’est que la conséquence de ce constat: concilier une société solidaire et tolérante avec une économie libérale. Rien d’étonnant dans ces conditions que le bobo ait voté Lionel Jospin en 1995 et 2002 mais fortement hésité entre Nicolas Sarkozy, François Bayrou et Ségolène Royal avant de s’enthousiasmer pour Dominique Strauss-Kahn. A gauche, donc. Mais pas systématiquement.

Un rêve de paix dans un monde de brute

Certains diront que le bobo n’existe pas. D’autres aimeront l’idée qu’un bobo sommeille en chacun (quoi que plus ou moins selon le revenu). Et tous auront raison. Avant d’être une remise en cause du bourgeois arrogant, rétrograde ou réactionnaire, le bobo incarne une nouvelle idéologie: celle d’une société pacifiée. Une société se donnant pour objectif de concilier les intérêts contraires. Une société où le vote de classe n’aurait plus lieu d’être et où l’affirmation d’un centre politique regroupant les meilleures volontés reléguerait le clivage droite gauche et ses oppositions traditionnelles au rang d’archaïsmes. Une société où la notion de différence l’emporterait sur celle d’inégalité, où la notion de lutte et de rapport de force céderait la place à celle de la tolérance et de respect.

Utopie pour les uns, provocation pour les autres

Que cette vision très postmoderne (il n’y aura plus de révolution, l’histoire est finie) puisse susciter l’adhésion ou le rejet n’a rien de très étonnant. Qu’elle soit adoptée par une classe plutôt jeune, privilégiée et branchée sur le monde, va de soi. Qu’elle suscite largement la critique en ce qu’elle paraît ignorer les difficultés sociales et les divergences d’intérêt des groupes sociaux, non plus. Pour beaucoup, le bobo est une imposture. Une pure provocation face à la dureté des réalités sociales.

A chacun de se déterminer. Une chose semble ne pas devoir faire de doute: la figure du bobo est bien moins superficielle, beaucoup plus complexe –et somme toute moins innocente– qu’on ne pourrait l’imaginer a priori…

Franck Gintrand

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