La diffusion de la troisième saison de Banshee vient de se terminer, sur HBO-Cinemax aux Etats-Unis et Canal+ en France.
A première vue, la série est anecdotique et on ne peut plus bourrine, si ce n’est beauf. Un braqueur qui vient de purger une peine de quinze ans de prison retrouve son ex, remariée et mère de famille. Par un malheureux concours de circonstances, l’homme au cœur broyé va rapidement se faire passer pour le shérif de la ville et s’y établir durablement. La vie de tous les habitants va rapidement être transformée, le plus souvent pour le pire.
Sur les dix épisodes que compte la première saison, il n’y en a pas un sans scène de sexe crue, agrémentée de filtres blanchâtres, son saturé voire flashbacks de mauvais goût. Tous les personnages féminins, presque sans exception, y ont droit.
Des personnages féminins modèles d'écriture
La violence démesurée est elle aussi au rendez-vous: les combats de rue sont légion, d’une durée improbable et étonnamment gores pour une série grand public. En clair, le show capitalise très vite sur un cocktail baigné d’excès, cartoonesque et forcément efficace, mais que l’on pourrait somme toute trouver limité, cliché et régressif, surtout sur la durée.
Or, Banshee est bien plus fine que ce que l’on pourrait supposer de prime abord. La série de Jonathan Tropper et David Schickler est même peut-être, à y regarder de plus près, la plus féministe du moment, terriblement maline dans son rapport au genre.
Les trois personnages féminins principaux, avant tout, sont des modèles d’écriture.
Carrie Hopewell, ex-compagne et complice du braqueur devenu shérif interprétée par Ivana Miličević, est certainement le personnage plus fort du show, rétif à toute forme de domination ou d’appropriation et farouchement indépendant.
Siobhan Kelly (Trieste Kelly Dunn), jeune femme frêle, s’impose en tant que policière dans un univers ultra-masculin et possède une sorte d’aura qui lui permet, d’emblée, d’être acceptée par ses collègues sans même que la question de son statut soit posée.
Rebecca Bowman (Lili Simmons) enfin, est le personnage le plus nuancé et représentatif de ce qui fait le sel de la série: d’abord inféodée à la communauté amish, soumise à une multitude de codes et d’interdits, elle s’émancipe en trois saisons pour passer du rang d’adolescente soumise à celui de femme d’affaires sans scrupule qui finira probablement par prendre la place de son oncle, l’impitoyable Kai Proctor (Ulrich Thomsen).
Ces trois femmes-là, comme une poignée d’autres plus secondaires, tiennent tête aux hommes aussi bien mentalement et stratégiquement que physiquement, les combats étant souvent mixtes et ne laissant jamais la place aux stéréotypes genrés. Carrie Hopewell humilie des bikers à mains nues, Rebecca Bowman assoit son autorité face à un gang de Salvadoriens quand Siobhan Kelly crible de balles le corps d’un néo-nazi.
Mieux: sans jamais l’expliciter ouvertement, elles sont l’horizon ultime vers lequel tendent les hommes du show, ne servent jamais de faire-valoir mais semblent au contraire actionner les fils des marionnettes.
Le shérif Hood reconstruit sa vie en fonction de celle qu’il n’est jamais parvenu à oublier, Kai Proctor accepte pour la première fois de partager son pouvoir avec sa nièce, etc. Le nom même de la série, Banshee, peut être perçu comme une référence à cette créature féminine et surnaturelle de la mythologie celtique, planant au-dessus du monde terrestre, qui grâce à son cri, a droit de vie ou de mort sur les humains.
Ce n'est pas «Girls»
Ce rapport au genre, d’autant plus rare qu’il est développé par un show qui n’en fait pas son fond de commerce, n’a en réalité rien d’étonnant: le producteur de Banshee n’est autre qu’Alan Ball, showrunner de Six Feet Under, série qui en cinq saisons a entrepris de déconstruire la figure dominante de l’homme blanc hétérosexuel.
Banshee, d’ailleurs, ne se limite pas à l’édification de personnages féminins forts et passionnants, mais fracasse tous les clichés généralement accolés à la puissance physique: le travesti Job, très efféminé, soutient sans problème la comparaison avec les molosses qui peuplent le show tandis que l’homme de main de Kai Proctor, combattant le plus impressionnant de la série, est visiblement castré. Les parias sont ici remis sur le devant de la scène, au centre du village. Tout comme les communautés marginalisées, à l’image des Amish ou des Indiens, font bouger les lignes en déstabilisant l’ordre établi.
Cette mise à mal des stéréotypes et de la norme est d’autant plus remarquable que Banshee ne la brandit jamais comme un objectif, ou une identité qui distinguerait la série. L’enjeu est même passé sous silence, à peine évoqué au travers de scènes où Carrie Hopewell se défait sans difficulté de rednecks trop insistants.
C’est ce parti-pris qui démarque la série et la place au-dessus de la mêlée des autres productions actuelles: Banshee ne fait pas du féminisme une question de programme ou d’étendard, à l’inverse de Girls par exemple. La série procède simplement à un désossement des stéréotypes en représentant le genre autrement, en intégrant au sein même de la culture populaire des personnages qui changent la donne, et font du même coup évoluer les perceptions sans avoir l’air d’y toucher. Cette approche-là, subtile et insidieuse, vaut tous les manifestes du monde.