Monde

J'ai peur de l'avion (et je ne me soigne pas)

Temps de lecture : 4 min

Les arguments «rationnels» en faveur de l’avion, et les réponses d’un phobique plus ou moins rationnel.

Captain Mitty, in the 737 / Bill Abbott via Flickr CC License By
Captain Mitty, in the 737 / Bill Abbott via Flickr CC License By

Avec le crash du vol 4U9525 de la compagnie allemande Germanwings dans les Alpes de Haute Provence, l'éternel débat sur les dangers de l'avion est relancé. Comme dans le sketch de Gad Elmaleh, il oppose en général un interlocuteur rationnel qui a suivi des études scientifiques et est sûr de son fait –le blond– à un anxieux du transport aérien qui n'arrive pas à prendre du recul vis-à-vis de sa phobie –moi. Ce dernier a toujours du mal à expliquer pourquoi sa peur est quelque part bien fondée, ou du moins qu'elle est dotée d'une forme de logique interne. Voici quoi répondre à un prosélyte de l'aviation civile qui tente de vous convaincre que vous êtes fou et que l'avion est le-moyen-de-transport-le-plus-sûr-du-monde.

Remarque: Mais voyons, tu sais bien que les accidents sont rarissimes. C’est bien plus dangereux de prendre la voiture pour aller à l’aéroport.

Réponse: Oui, certes, mais c'est oublier qu'il y a autant de chiffres sur la probabilité de mourir en avion que de religions sur le sujet. Ces chiffres varient beaucoup d'une année sur l'autre, ce qui facilite le travail d'auto-conviction pour qui souhaite se voir confirmer que l'avion est décidément le mode de transport le plus dangereux au monde (ce qu'il n'est pas, affirment les «blonds»).

Alors oui, vous allez lire et relire que si on s’en tient aux morts par nombre de kilomètres parcourus, l'avion est moins dangereux que la voiture. Ces statistiques ramènent en général le nombre de morts au nombre de passagers par mode de transport et au nombre de kilomètres qu'ils ont parcourus. Selon des statistiques publiées il y a une décennie par l’European Transport Safety Council, le taux de morts pour 100 millions de personnes/kilomètres était à l'époque de 0,035 en avion et 0,7 en voiture, vingt fois plus. Mais si on compte en millions de personnes/heures de trajet (une heure de trajet permettant de parcourir une distance bien plus grande en avion), on déplorait alors 16 morts en avion contre 25 en voiture. Le rapport n'est plus de 1 à 20, mais de 1 à 1,5: on est donc loin de l'énorme différence en général avancée entre les deux moyens de locomotion... En comparaison, le rail et le bus avaient un taux de 2.

Mais ce qui nous importe n’est pas le nombre d’accidents par utilisateur du mode de transport, ni par kilomètres parcourus ou par heures de trajet, mais le nombre de morts par nombre de fois où on choisit d'emprunter ce mode de transport. Parce qu’en avion, les accidents surviennent en majorité lors des phases critiques de décollage et d’atterrissage (tout les phobiques de l'avion le savent), alors qu'en voiture, c'est l'augmentation du kilométrage qui augmente la probabilité de mourir. Prendre un avion supplémentaire, c’est à chaque fois se rapprocher de l’infime minorité statistique qui a la malchance de se retrouver dans le vol condamné.

Le décollage et l'atterrissage, phases critiques du vol.

Or, comme l’explique ce post de blog que je relis scrupuleusement après chaque crash aérien, «si on considère le nombre d’accidents mortels par utilisation d’un moyen de locomotion (quelle que soit la distance parcourue), l’avion devient 18 fois plus dangereux que la voiture». 18 fois. L'auteur a pris comme référence des données 2005 mondiales pour l'aviation et nationales (américaines) pour la sécurité routière. On prend plus souvent dans sa vie la voiture que l’avion, et donc, on a plus de chances de mourir en voiture. Reste que, comme l’écrit le blogueur, «l’avion est le moyen de transport de plus sûr, c’est aussi le plus sûr moyen de se tuer».

Prenons d'autres chiffres pour redonner ses chances à l'avion et montrer que nous sommes disposés à envisager le problèmes sous tous les angles. Si on choisit comme point de comparaison les chiffres de la sécurité routière française, à savoir 81,9 millions de trajets réalisés par jour et 160 accidents, on obtient une probabilité de 2 accidents par million de trajets. Selon les chiffres les plus récents de la sécurité aérienne, il y avait, selon le magazine Quartz, 2,1 crashs par million de vols. On voit que la rengaine de l'avion tellement plus sûr que la voiture ne tient plus tant que cela...

Remarque: Mais pourquoi tu ne fais pas de stage dans le simulateur d’Air France?

Réponse: Le stage «apprivoiser l’avion» est proposé par Air France au sein de son centre de formation technique des pilotes, et dure une journée pour un coût de 650 euros. C’est un peu cher mais, quand on a peur, on ne compte pas. Et puis, les entreprises le financent parfois pour leurs salariés. Il y a un entretien avec un psychologue, des cours théoriques avant notamment «un spécialiste du stress aéronautique, [...] un cours sur les mécanismes physiologiques et psychologiques du stress, et la présentation d'exercices de détente respiratoire, musculaire et mentale». Et enfin, le passage dans le fameux simulateur d’un cockpit d’Airbus 320, où le phobique est invité à «vivre toutes les conditions de vol (turbulences, procédures d'urgence…) et constater que tout est prévu».

Deux remarques de bon sens:

1/ non, tout n’y est pas prévu. Sinon, il n’y aurait pas de crash.

2/ Je veux bien apprendre à mieux gérer ma respiration ou à pratiquer la méditation pleine conscience pour juguler une inquiétude comme le stress avant de prendre la parole en public. Pas pour me préparer à une dépressurisation de la cabine, une chute de 1.000 mètres par seconde et une explosion en haute mer, après avoir eu bien trop le temps de me rappeler que j’aurais pu mieux employer mes 650 euros…

Remarque: Mais pourquoi tu regardes tous les documentaires et films de catastrophes aériennes si tu as tellement peur?

Réponse: C’est un classique de la peur de l'avion: il y a un certain plaisir malsain à l'entretenir. Comme de nombreux phobiques aériens, l’un de mes plus grands plaisirs coupables est de regarder des documentaires sur les plus grands crashs aériens de l’histoire et des films catastrophes –je vous conseille en particulier la série documentaire «Mayday, Alerte maximum», diffusée en France sur France 5 sous le titre «Danger dans le ciel». Les noms donnés à chaque épisode nous plongent déjà dans l'ambiance: «Panne de moteur», «Disparition troublante», «Drame en Arctique», etc.

Une attitude rationnelle consisterait à éviter à tout prix ce genre de loisir. Mais le bien-être que procure le sentiment d'être au chaud et au sol en revivant les drames de l'aviation civile sur une chaîne du câble est difficilement communicable à un individu plus rationnel. Et puis, c'est comme ça. Comme le chantait Francis Cabrel: «J'ai peur de l'avion».

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