Santé

«Pour lui, le repos, c'est l'échec, c'est la fainéantise»

Temps de lecture : 11 min

Cette semaine dans sa chronique «C'est compliqué», Lucile conseille une jeune femme que le compagnon force à faire du sport en permanence, pour mincir, et qui n'en peut plus.

Détail de la plantureuse Vénus au miroir de Rubens, License CC via Wikipedia License CC via Wikipedia
Détail de la plantureuse Vénus au miroir de Rubens, License CC via Wikipedia License CC via Wikipedia

«C'est compliqué» est une sorte de courrier du coeur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes.

Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]

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Bonjour Lucile, «C'est compliqué» correspond tout à fait à mon était d'esprit du moment, et je ne crois pas pouvoir trouver autour de moi d'oreille plus neutre et franche que la tienne pour me confier et tenter d'y voir plus clair.

J'ai 25 ans, je suis en couple depuis 3 ans avec Luc. Quand je l'ai rencontré, je n'étais plus en couple depuis plusieurs années et je multipliais les histoires sans lendemain avec des garçons auxquels je m'attachais, et qui ne souhaitaient jamais avoir de relation sérieuse avec moi. Ils aimaient profiter de ma silhouette pulpeuse dans l'intimité, mais ne l'assumaient pas aux yeux de tous.

Avec Luc c'est allé assez vite. J'ai rencontré ses soeurs, ses parents, et lui les miens. Il m'a introduite dans son cercle d'amis et dans ses sorties. J'ai commencé à faire du sport avec lui, contente de trouver quelqu'un qui ait la patience de m'apprendre sans juger de mes faibles capacités. Malgré mon surpoids, j'ai vite progressé, et vite maigri. Notre pratique sportive est devenue très régulière voire quotidienne, et les exigences de Luc ont commencé à augmenter aussi. J'allais à la salle de sport tous les jours, et tous les jours je faisais le compte rendu de ce que j'avais mangé et de l'entraînement que j'avais fait. Ce n'était jamais fait correctement, et je ne m'étais jamais assez bien entraînée.

J'ai continué à faire des efforts, mais mon vrai problème depuis l'adolescence c'est que je mange beaucoup. Beaucoup trop. Et plus il tentait de «m'éduquer», plus les crises de boulimies étaient intenses. Je m'entraînais tous les jours, mais je mangeais énormément sans qu'il ne le sache. Evidemment je ne maigrissais plus, et ça le dérangeait beaucoup. Nous avons emménagé ensemble dans le sud de la France, loin de nos familles et des amis. Nous étions donc en huit clos quasi total malgré les quelques amis que nous nous étions faits sur place. Chaque repas était un calvaire. Il faisait à manger car ce que je faisais moi n'était jamais bon, toujours trop gras et en trop grande quantité. Donc je mangeais ce qu'il me préparait, et dès qu'il avait le dos tourné j'allais acheter des paquets de gâteaux que je mangeais rapidement, en une fois, en prenant soin de le faire toujours à l'extérieur de l'appartement.

Pendant ce séjour, notre emploi du temps était ponctué du travail pour ma part, car les derniers mois il ne travaillait plus, de sport quotidien, et de quelques sorties. Les week-end j'avais à peine le temps de faire le ménage ou de faire les courses, il fallait toujours aller faire du sport. On ne pouvait jamais se poser. Pour lui, le repos, c'est l'échec, c'est la fainéantise. Donc à ses yeux je suis fainéante, et il se fait un point d'honneur d'y remédier.

Nous sommes, depuis, repartis dans notre région natale car j'ai eu une opportunité de travail. Il habitait chez sa mère à une heure de route de mon appartement, j'allais travailler tous les jours, et je devais rentrer tous les week-end le voir car la ville où j'habite n'est pas suffisamment attractive à son goût. Les week-ends sont maintenant ponctués de sorties vtt, vélo de route et course à pieds. Nous ne sommes pas chez nous, donc nous n'avons pas beaucoup de place pour l'intimité ni le repos.

En décembre dernier, je suis arrivée à saturation. Nous devions partir au ski avec des amis et sa soeur, et j'étais à deux doigts d'annuler à cause de comportement odieux. Comme toujours après le repas de Noël j'ai eu droit au «tu as vu tout ce que tu as bu et mangé, tu pourrais faire attention». A ce moment là, j'ai repris contact avec un de mes ex, Maxime. C'est un homme avec qui j'ai partagé une relation très courte mais passionnelle avant d'être avec Luc. Il habitait malheureusement à 900km de chez moi, c'est pourquoi notre histoire ne s'est jamais concrétisée. Quand je lui ai dis que je me mettais en couple il y a 3 ans, il m'a dit qu'il regrettait et qu'il me voulait moi malgré la distance. Mais je venais de m'engager dans une nouvelle relation alors j'ai dû couper les ponts avec lui.

En décembre je le recontacte donc, par sms. Et sa réponse est immédiate: il pense toujours à moi, il a envie de me voir. On se débrouille pour partager deux après-midi ensemble pendant les vacances de Noël, à boire des verres et se balader dans des parcs. Je lui raconte mes déboires avec Luc et il s'énerve, il me trouve magnifique comme je suis (même trop mince maintenant), et se demande bien pourquoi j'accepte de me faire traiter de grosse et de fainéante, d'autant plus que je réussis professionnellement contrairement à mon petit ami.

Je pars au ski avec Luc et ses amis quelques jours plus tard. Arrivés à l'hôtel, Luc me lance «t'es sûre que tu vas rentrer dans ton pantalon de ski, vu comme t'as grossi depuis l'année dernière?», «et sinon ça va pas te faire tout drôle de reprendre le vrai sport pendant une semaine?». Les hostilités sont lancées. Je vais supporter cette semaine et prends la décision de mettre mes distances dès janvier.

En janvier 2015 nous reprenons notre vie. Je suis dans mon appartement la semaine, et les week-ends je décide de ne pas rentrer voir Luc. Je prends mes distances, je réponds peu aux messages, et je prévois des week-ends avec mes copines que je n'ai pas vues depuis des lustres.

Il fulmine, d'abord. Me traite de folle, me demande ce que j'ai «encore». Et puis il comprend qu'il est sur la sellette. Alors il fait tout pour me récupérer. Il pleure, vient chez moi à l'improviste avec des fleurs etc. Et je finis par craquer.

Aujourd'hui, il a trouvé du travail à 10 min en voiture de chez moi et il habite désormais dans mon appartement. Et je dis bien mon appartement car étant donné que je gagne plus que lui, il refuse de payer la stricte moitié des factures, acceptant juste d’en payer une toute petite partie. Et surtout ce n'est pas son appartement car je lui ai demandé de s'en trouver un autre, trop traumatisée par mon expérience passée à vivre avec lui. Il me dit qu'il va se calmer et que ça va bien se passer, et emménage doucement mais sûrement, sans m'écouter.

Notre quotidien est que je dois aller faire du sport tous les soirs sous peine de me faire traiter de fainéante

Ludivine

Notre quotidien est donc que je dois aller faire du sport tous les soirs sous peine de me faire traiter de fainéante. Je suis obligée de me justifier pendant une heure lorsque je souhaite faire une journée de shopping au lieu d'aller faire du vtt, «de toute façon tu n'achètes jamais rien». Et surtout, on rentre tous les week-ends chez sa mère pour profiter de son bain à remous et des vélos, au lieu de tenter de connaître du monde dans le coin. Et surtout de vivre une vie de couple indépendante.

Pourquoi être resté avec lui aussi longtemps si c'est pour vivre ce calvaire me direz-vous? Parce que malgré ce contrôle extrême qu'il réussi à exercer sur moi, qui m'insupporte d'autant plus que je suis une fille de nature solitaire et indépendante, il est arrivé dans ma vie à un moment où j'en avais extrêmement besoin. Il m'a révélé des facettes de ma personnalité que je ne connaissais pas, et malgré que je me plaigne que l'on fasse trop d'activités, j'ai peur de me retrouver démunie si tout s'arrête. Il me prête ses vélos pour faire des sorties, il m'encourage quand je panique en triathlon, il a pris des heures pour m'apprendre à skier, et je me sens redevable. Et puis nos vies sont tellement imbriquées, nos familles tellement impliquées, que je me sens coincée. Et j'ai le sentiment que je vais me retrouver extrêmement seule et déprimée s'il n'est plus là.

Mais la différence c'est que Maxime est à nouveau dans ma vie, par messages évidemment, puisqu'il est reparti dans le sud où il habite et travaille. Nous souhaitons nous retrouver pour quelques jours et voir ce qu'il en est vraiment. Je ressens un profond désir, une attirance très forte à son égard. Et je rêve à des jours meilleurs en sa compagnie, malgré la distance.

Luc est tellement borné, tellement aveugle de mon état qu'il ne se rend pas compte à quel point il est sur la sellette. J'ai beau lui hurler «casse-toi» quand on s'énerve, il ne me croit pas. Il dit que je suis bipolaire et changeante. Folle.

J'ai l'impression que le seul moyen pour qu'il réalise que ce n'est pas à moi de changer mais à cette relation qui n'est peut-être pas faite pour moi, c'est de lui dire que je ne l'aime plus et que je le trompe.

En toute honnêteté j'ai aussi peur de faire confiance à Maxime, et que cette relation se retourne contre moi à tel point que je n'aurais ni lui, ni Luc, ni plus personne. Oui car la différence entre Luc et moi c'est qu'il a des amis de longue date sur qui il peut compter. J'ai toujours eu du mal de me faire des amis, et encore plus de les garder sur le long terme. Ceux qui me restent sont éparpillés en Europe et je ne peux compter sur eux pour m'aider en cas de rupture.

La question que je me pose, Lucile, c'est, est-ce rationnel de vouloir tout casser avec Luc, le quitter lui et sa famille pour aller vers l'inconnu? Ou dois-je prendre sur moi?

Honnêtement j'ai l'impression de perdre mon temps et que malgré notre bonne entente, nous avons des visions divergentes qui rendront très difficile un avenir commun. Un homme qui vous engueule car vous roulez à 114 au lieu de 113 km/h, comment réagira-t-il avec un enfant à charge?

Chère Ludivine,

Je ne serai jamais celle qui vous reprochera d’être restée avec un homme abusif par aveuglement, par besoin, par envie ou par respect du temps qu’il a passé à s’occuper de vous. La différence avec celle que vous étiez au début de cette histoire c’est que vous avez mûri et pris conscience de la gravité de la situation. Il y a 3 ans, alors que vous n’aviez pas confiance en vous, vous vous êtes mise en couple avec quelqu’un qui vous a façonnée. Dans un sens, vous l’avez laissé vous rendre conforme à un idéal de perfection que vous pensiez partager. Vous êtes devenue une autre femme, mince et sportive. Pour lui plaire autant que vous plaire. Mais vous dites vous-même que vous étiez alors fragile, que c'était un moment de votre vie où vous aviez besoin de quelqu'un, et vous vous connaissiez sans doute moins bien qu'aujourd'hui.

J’ai également été avec un homme pendant des années, pour lequel, sans qu’il ne m’insulte ou m’agresse pour cela, j’ai essayé d’être une autre femme. Je me suis vieillie, j’ai tentée d’arriver à une perfection ridicule, d’être la jolie épouse qui prépare de bons repas, qui organise les meilleures soirées, qui ne lui faisait jamais honte en public. Il m’a fallu quelques années avant d’arriver à saturation. Et c’est avec violence que je me suis reconquise, puis que j’ai repris ma liberté. Avant ça, j’étais un fantôme, le miroir des désirs des autres. Comme je crois que vous l’êtes aujourd’hui.

La difficulté de terminer ce genre de relation, c’est que mettre un point final est un constat d’échec. Et qu’après le lavage de cerveau, le conditionnement qu’il vous a fait subir, vous seriez tentée de croire que l’échec vient de vous. Mais il n’en est rien.

On oublie vite qu’une rupture c’est aussi quitter sa belle-famille et certains des amis partagés. Je l’ai vécu alors je ne vais pas vous mentir. Si vous quittez Luc, ce que j’avoue vous souhaiter, vous ne reverrez plus ses parents ni ses amis. Pendant un temps, vous serez «la méchante», celle qui a détruit 3 ans de relation sur un coup de tête. Certaines personnes que vous fréquentez aujourd’hui ne comprendront jamais. D'autres au contraire vous soutiendront peut-être, vous diront peut-être qu'elles trouvaient votre relation déséquilibrée et ne vous l'ont jamais dit.

Une relation de couple n’est pas une entreprise de coaching

Mais ce n'est pas la question: c'est votre décision. Et ces personnes ne sont pas toujours, pas forcément témoins de votre vie intime, des petites phrases qui blessent, de votre emploi du temps imposé, du jugement péremptoire sur votre physique et votre cuisine. D’expérience, je peux vous dire que vous n’avez pas à «prendre sur vous». Vous ne pouvez pas passer votre vie à jouer un rôle pour plaire à celui qui n’est jamais satisfait. Une relation de couple n’est pas une entreprise de coaching. Il peut y avoir des insatisfactions, des frustrations, des différends. Mais c'est censé être un choix fait pour votre plaisir, votre bonheur. Et si votre poids, qui ne regarde que vous, lui importe plus que votre bonheur, alors il y a un problème.

Je vous demande de vous poser deux questions. Êtes-vous heureuse? Êtes-vous prête à subir ça toute votre vie, y compris dans des périodes lors desquelles votre vie professionnelle sera peut-être difficile? Quand vous serez fragilisée par des aléas extérieurs à votre couple? Quans vous aurez des enfants? Êtes-vous prête à prendre le risque que cet homme juge et façonne vos enfants comme il l’a fait avec vous?

L’après-rupture, la reconstruction, le deuil de la relation et de toutes celles qui seront concernées (les beaux-parents et les amis): je ne peux pas vous mentir et vous dire que ce sera facile. Mais doucement, vous apprendrez à vivre sans avoir auprès de vous quelqu’un qui vous traite de folle, de fainéante et ne vous prend pas au sérieux. Vous apprendrez à vous nourrir comme vous en avez envie et besoin, sans ressentir de honte ou de sensation de privation. Vous apprendrez que vous n’avez besoin de personne pour faire des rencontres. Vous découvrirez que, adulte, personne n’a à vous envoyer faire du sport de force plutôt que de vous laisser faire ce que vous avez réellement envie de faire.

Peut-être, puisque vous dites que vous avez des troubles de comportements alimentaires depuis longtemps, pourriez-vous voir un nutritionniste. Si vous êtes boulimique, ce n'est pas un signe de faiblesse de votre part, de lâcheté: c'est une maladie. La bonne nouvelle est qu'elle se soigne.

Vous avez assez entendu que ces 3 ans de relation étaient à capitaliser et, qu’à vos âges, une suite logique serait un mariage et des enfants, moi je vous dis que la solution rationnelle à votre problème c’est d’apprendre déjà qui vous êtes par vous-même et de vivre ce dont vous avez envie sans qu’une petite voix cruelle ne vienne perpétuellement vous juger pour ça. Vous êtes libre, Ludivine. Et cet homme qui vous juge n’est pas votre sauveur: il est votre souffrance.

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