Culture / Société

Biennale de Saint-Etienne: la forme de l'information

Temps de lecture : 4 min

A Saint-Etienne, la Biennale de design se tient jusqu'au 12 avril, sur le thème «Les sens du beau»

Bob Photographie «Burnouts» serie Simon Davidson. 2012 ©Simon Davidson
Bob Photographie «Burnouts» serie Simon Davidson. 2012 ©Simon Davidson

A Saint-Etienne, l'ouverture de la Biennale de design (jusqu'au 12 avril) s'est accompagnée d'une cohorte de soupirs soulagés: devant le choix du thème général, «Les sens du beau», d'aucuns craignaient que l'événement ne ressasse l'équation éculée de «design = arts décoratifs», explorant l'aspect purement esthétique et cantonné à l'étude de surface.

Form Follows Information

Soulagement, donc: pour leurs expositions, les designers-commissaires ont préféré se concentrer sur la première partie du thème, donnant ainsi quelque sens à cette Biennale 2015 –et matière à cogiter.

C'est le cas de Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard (designers et enseignants à l'ESAD de Reims et à l'ENSCI-Les Ateliers), qui invitent les visiteurs dans un voyage avant l'objet, aux sources de l'information. L'exposition «Form follows information» rappelle qu'avant la réflexion du designer, il en existe parfois une autre, celle d'économistes ou de sociologues, qui s'exprime en courbes, graphiques et pourcentages. Qu'aux sources du design, il y a souvent une conclusion –et un flot d'informations. On appréciera la démarche peu commune d'exposer «l'invisible» à travers «des objets dont les contours s'établissent à partir de données sociologiques, de faits scientifiques ou encore de considérations spirituelles.»

Données pures et rébarbatives, passées par la science et le talent du designer, prennent ici forme, esthétique, vie et sens. Car l'une des fonctions du design, expliquent les deux commissaires, est de produire «des représentations qui permettent de voir autrement le connu ou d'apercevoir l'imperceptible. Certaines pièces sont figuratives, d'autres, aux mécaniques plus élaborées, se défont des apparences trompeuses pour révéler d'autres formes de réalités.»

Madeleine Montaigne totem MAKE IT , BREAK IT©colombe clier

Objets de recherche, objets de contemplation, objets de mémoire, objets de camouflage cohabitent et intriguent. La scénographie ne se prend pas au sérieux; elle met en lumière, avec habileté et évidence, les aspects les plus surprenants et fascinants.

On croise la fameuse «pyramide des âges» de Mathieu Lehanneur (Carpenters Workshop Gallery), on observe un phénomène de dédoublement simultané à travers la toupie «Tutti Quanta» de Marianne Cardon, un Rubik's Cube (Konstantin Datz) gravé d'inscriptions en braille pour amateurs aveugles.

Mathieu Lehanneur «L'âge Du Monde» Russie ©Carpenters Workshop Gallery

L'horloge des designers Boaz Cohen et Sayaka Yamamoto ( BCXSY) évoque un coquillage très graphique, dont chaque côté effleure, au fil de sa rotation, un chiffre sur le pied gravé de chiffres pour indiquer l'heure.

BCXSY Linear Cycle wall-clock ©BCXSY

Tous sont supports de connaissance, mais certains de ces objets cachent parfois leur jeu. Une maquette de bateau surprend par sa présence. C'est celle du HMT Olympic arrivant au Pier 59 de New York en 1918, à l'échelle 1/570 (Christophe Martinez). L'indice se trouve sur sa coque, striée de larges bandes noires, blanches et bleues: vers la fin de la Première Guerre mondiale, les armées britannique et américaine embauchaient des artistes pour transformer des centaines de bateaux en gigantesques oeuvres d'Op-art. Les zigzags du décor «Razzle dazzle» ne camouflaient rien mais venaient troubler la perception et les sens de l'ennemi: la forme, le mouvement, les proportions devenaient floues. La technique a disparu avec l'avènement du radar, mais l'expression «Razzle dazzle» est restée dans le vocabulaire courant.

La sélection, surprenante, laisse un écho dans l'esprit des visiteurs –un effet recherché, que les commissaires revendiquent: «Sans quitter sa vocation décorative ou utilitaire , le design façonne ici des reliefs esthétiques pour la pensée et l'imaginaire».

Tuning, fiancé tricoté et drôles de petites bestioles

A la Cité du design, on savourera également «Tu nais, tuning, tu meurs», un improbable road-movie entre design et tuning «que la force des clichés voudrait d'abord nous faire opposer», dénoncent ses commissaires Marc Monjou, Rodolphe Dogniaux et Nadine Besse, assistés de Yann Alary, Léa Barbier, Timothée Deloire, Julie Gayral & Romain Le Liboux (post-diplôme design & recherche ESADSE).

«Il s'agit ici de reconsidérer la question du beau et de pointer certaines limites de la culture matérielle, à commencer par celle qui vise à la segmenter en compartiments étanches. Entre design et art contemporain, et par le recours à l'objet "tuné", à la vidéo, à l'installation, à la photographie, au graphisme, à la mode, etc., l'exposition inclut certaines formes de design, comme autant d'espèces vivantes de la culture matérielle contemporaine.»

«Soft Serve Boat» Maxime Lamarche. 2013 © Camille Ayme et Maxime Lamarche

Bob Photographie «Burnouts» serie Simon Davidson. 2012 © Simon Davidson

Avec «Vous avez dit bizarre?», l'artiste néerlandais Bart Hess et l'historienne d'art Alexandra Jaffré épinglent les implications sociales de nos comportements parfois excessifs autour d'objets et projets «qui jouent sur les codes du style grotesque. Le grotesque est communément considéré comme un caractère ridicule et exagéré. Cependant, son champ sémantique, généreux, mouvant et évolutif, permet de couvrir le territoire du ridicule à l'absurde sous les traits de l'humour.»

Photo Booth Mask The mask in use in public Mark Pernice. 2010 © Mark Pernice, Douglas Lyle Thompson

Bizarre, le fiancé tricoté de Noortje de Keijzer («My Knitted Boyfriend brushing teeth»)? Peut-être pas plus que ça.

©Noortjedekeijzer «My knitted boyfriend»

​©Noortjedekeijzer «My knitted boyfriend»

Enfin, il serait absurde de se priver du «Bestiaire», de la formidable Ionna Vautrin. La designer française a fait ses armes chez Camper en Espagne ou chez les Bouroullec en France. Depuis l'ouverture de son studio en 2011, elle collabore avec nombre de marques dont Foscarini, Moustache, Kvadrat et Christian Dior.

Le Coq, Perrine Vigneron & Gilles belley La Panda, Twice Photo - Ionna Vautrin

Avec son adorable «Bestiaire», Ionna Vautrin vient chatouiller l'enfant qui sommeille en nous: ses délicieuses bestioles sont des costumes de papier dans lesquels on se glisse pour devenir «malin comme un singe, rusé comme un renard, fier comme un paon, têtu comme une mule ou doux comme un agneau... Comment de simples costumes en papier peuvent-ils transporter l'imaginaire le temps d'une parenthèse enchantée? Au delà de leur plasticité, c'est la métamorphose comique qu'ils produisent chez les enfants qui donnent sens à cette grande ménagerie.»

Aux enfants? Comment ça, aux enfants?

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