France

Les hommes politiques veulent être cool (et les magazines cool veulent être sérieux)

Temps de lecture : 8 min

De François Hollande à Alain Juppé ou François Fillon, ils ont multiplié ces derniers mois les apparitions en couverture de magazines «décalés», qui y trouvent eux une nouvelle crédibilité.

Détail de la couverture du numéro 2 du magazine Society.
Détail de la couverture du numéro 2 du magazine Society.

L'homme est debout sur fond jaune pétant, le regard légèrement en biais, son bras droit courant le long de son corps et se terminant par une main qui ressemble à s’y méprendre à un pistolet qu’il viendrait de baisser. Encore chaude, l’arme dégaine un nuage de fumée sous forme de nuage de tags: «la guerre», «la gauche», «Twitter», «le FN», «la mort», comme autant de thèmes abordés dans l’interview.

Pas tous les jours que la silhouette de François Hollande se donne à voir dans un décor empruntant aux codes de la culture populaire. Comme une affiche de James Bond à la sauce Tarantino –mais sans la vaillance: le Président a comme les paupières lourdes et le sourire figé. Cette image, c’est la couverture de Society, nouveau magazine dont le deuxième numéro sort en kiosque ce vendredi 20 mars.

«Je ne suis ni insensible aux bassesses ni indifférent aux outrances. Mais je ne montre rien car le chef de l’État doit mettre ses sentiments personnels de côté. Nul ne m’a forcé à devenir président. Je vis donc avec le lot de critiques qui s’attache à toute action politique, et je prends sur moi», peut-on lire dans cet entretien «confession» avec le chef de l'Etat, qui revient –entre autres– sur ce que veut dire gouverner un pays, sa relation avec Poutine, l’épisode du discours sous la pluie sur l’île de Sein et le défilé du 11 janvier.

A son lancement, Society se faisait déjà remarquer avec un premier numéro comprenant l’interview d’un autre François: «Je n'ai pas l'intention de rester dans la vie politique si je ne réussissais pas à me faire élire en 2017.» La phrase est de Fillon, achève de confirmer les ambitions présidentielles de l’ancien Premier ministre et, pour une fois, n’est pas issue du Figaro, du Monde ou de Libération. «François Fillon enlève ses pompes», titrait en une le magazine, qui publiait alors des photos du député UMP plutôt décontracté.

«On ne fait pas des interviews de spécialiste. On est un peu comme Monsieur et Madame Tout-le-monde, c’est-à-dire qu’on se pose des questions qui peuvent paraître basiques mais appellent à des réponses qui éclairent sur la société dans laquelle on vit», explique Franck Annese, qui vient de lancer son «quinzomadaire en liberté» à destination des jeunes adultes et revendique une autre façon de parler de politique, «loin du jeu stérile des contradictions et des petites phrases». Concernant la couv’ avec Hollande, «on voulait titrer à un moment: "Le Président dégaine". Mais finalement, on trouvait ça ringard comme titre et on a préféré "La Grande Confession", parce que ça correspond mieux à l'entretien, assez humain encore une fois», explique le fondateur de So Press, pour qui l’intention «pop» est un vrai choix iconographique.

Juppémania des couvertures

Ces exemples de couverture médiatique d’un homme politique par un média «tendance» sont loin d’être isolés. Les vertus d’une apparition dans ces magazines générationnels n’ont échappé à personne –et surtout pas à l’équipe de communication de François Hollande. Déjà, en janvier, le Président acceptait de revenir sur «la relation particulière qu’il entretient depuis plus de trente ans avec Jacques Chirac» dans les colonnes de Charles, le «mook» politique dirigé par Arnaud Viviant, ancien de Libé, Nova et des Inrocks, qui entend bien «parler de la profession politique [loin] des éléments de langage [habituels]».


Le même mois, François Hollande s’était une nouvelle fois prêté au jeu de l’interview thématique, cette fois-ci dans la revue Desports, un bel objet éditorial qui propose une approche littéraire du sport: «J'ai joué au football avec mes enfants pendant des années et des années. Le plus dur a été de passer de la période où j'étais beaucoup plus fort qu'eux au moment où ils sont devenus bien meilleurs que moi», pouvait-on ainsi lire, amusés (ou attendris, pour les plus sensibles) par cette confidence.

Mais à l'heure actuelle, le plus «cool» des hommes politiques français selon les médias, c’est sans conteste Alain Juppé. En novembre dernier, le maire de Bordeaux apparaissait en une des Inrockuptibles, sur une photo dont le choix n’a vraisemblablement pas été laissé au hasard: réajustant son col avec un sourire en coin, Juppé (que personne n’a l’habitude de voir sous cet angle) ressemblerait presque au Jacques Chirac des belles années –une ressemblance plutôt flatteuse quand on sait que, filtre de la nostalgie aidant, Jacques Chirac est aujourd’hui l’homme politique le plus apprécié des Français. «Le moins pire d’entre eux?» (presque un compliment), se demandait l’hebdomadaire en titrant sur la «Juppémania». Le même mois, GQ le désignait «homme politique de l’année».


S’il était autrefois de bon ton de n’apparaître que dans des journaux «sérieux», les hommes politiques ont désormais compris que face à la grandissante défiance des Français envers la politique, s’adresser à un public jeune et dynamique devient une façon efficace de dépoussiérer son image. Mieux: cette stratégie de communication fait office de preuve que l’élite politique n’est pas une caste monolithique de sexagénaires interchangeables, mais bien un ensemble de personnalités accessibles, pourvus de traits de caractères singuliers et même parfois d’humour. Avant d'atteindre l'élite des déjà présidentiables, cette tendance avait déjà touché Arnaud Montebourg, en costume de président en une de Technikart en 2005, Manuel Valls, «socialiste en plein buzz» et en polo, lui aussi en couverture du mensuel en 2009, Charles Pasqua dans Snatch en 2011 et Roselyne Bachelot dans le même magazine en 2013 ou encore Christiane Taubira dans les Inrockuptibles en 2014.

«Un peu moins policé, un peu plus personnel»

Pour Gilles Boyer, conseiller d’Alain Juppé, il est important que les politiques s’adressent à tout le monde:

«Si on ne s’exprime que dans les médias traditionnels, on rate une partie des gens qui ne les lisent pas. Ces gens qui ne mettent peut-être jamais les pieds dans un meeting politique, mais qui lisent une presse différente. Parler à tout le monde est un impératif», explique-t-il. «Dans les Inrocks, le discours de Juppé était peut-être un peu moins policé, un peu plus personnel. Mais ça comporte bien sûr une part de risque: on ne sait jamais comment les gens vont recevoir ce genre de couverture. C’est pour ça qu’on le fait avec parcimonie».

C'est cette même volonté de parler «à tout le monde» qui a présidé à la stratégie de Barack Obama aux Etats-Unis, champion du mélange des genres «politique» et «cool» dans un pays où la bataille du style est un enjeu essentiel depuis le duel Kennedy-Nixon de 1960.

Daniel Pfeiffer, conseiller en communication du président américain de janvier 2013 au 6 mars 2015, et précédemment directeur de la communication de la Maison Blanche, a expliqué au lendemain de son départ, dans une interview à Medium, que la «morcellement des médias» avait été un défi énorme dans son travail: «une intervention télévisée ne touche plus 150 millions de personnes désormais. Il faut donc travailler 15, 20, 30 fois plus dur que les présidents précédents pour obtenir le même impact. Mais le point positif, c'est que vous pouvez toucher les gens [directement].»

C'est ainsi que récemment Obama, dont le capital sympathie est une des meilleures armes de communication, s’est même prêté au jeu de la vidéo parodique sur Buzzfeed.

Dans Medium, Pfeiffer expliquait encore:

«Après l'élection de 2012, le rythme auquel les choses changeaient accélérait tellement, que même [les nouveaux modes de communication que nous avions adopté depuis 2008] ne suffisaient plus pour atteindre les gens comme nous voulions les atteindre. La pénétration de la presse traditionnelle avait diminué de manière significative. (...) Au fur et à mesure, nous avons pris conscience que nous devions aller là où les choses se passaient. (...) Nous avons finalement décidé de prendre davantage de risques. Buzzfeed en est le parfait exemple.»

Pour le sociologue des médias Jean-Marie Charon, le curseur du cool bouge constamment et, stratégiquement, les politiques ont évidemment tout intérêt à se mettre à jour:

«Il y a une dizaine d’années, ce qui était sympathique en France, c’était de passer chez Thierry Ardisson, comme l’a fait Michel Rocard [la fameuse interview «Est-ce que sucer, c’est tromper?», ndlr]. Plus tard, être à la pointe voulait dire ouvrir un blog, et un peu plus tard encore, avoir un compte Twitter. Maintenant que tous les hommes politiques ont un blog et un compte Twitter, la stratégie est évidemment d’apparaître dans des médias tendance, là où le public ne les attend pas.»

Du fanzine à la multinationale

Et ces couvertures ne profitent pas qu’aux politiques: les médias tendance qui accueillent ces derniers dans leurs colonnes ne perdent pas au change. Au contraire, c’est un excellent moyen pour ces titres de presse de se crédibiliser en se saisissant des débats de société et de ce qui fait l’actualité du pays, d’opérer leur mue en traitant du «news». Symboliquement, une des premières couvertures des Inrockuptibles après leur passage au rythme hebdomadaire, au printemps 1995, fut d'ailleurs consacrée à Michel Rocard –mais pas dans une optique élyséenne: «Rocard ne sera jamais président», titrait le magazine.


Depuis, le magazine a consacré de plus en plus de place à l’actualité politique, un revirement éditorial qui avait pour but, comme l'expliquait le JDD en 2010, de «capter les trentenaires qui ne lisent pas les news magazines en apportant un regard différent sur l’actu : insoumission, impertinence, curiosité». Une stratégie qui lui a permis de séduire des annonceurs ciblant les CSP+.

Chez SoPress, c’est le défi de la «diversification de l’offre» qui explique la déclinaison des genres: après Doolittle pour les enfants, SoFoot pour le football et SoFilm pour le cinéma, Society est donc à envisager comme le dernier «produit» d’un groupe de presse bien décidé à consolider sa place sur le marché.

À ce titre, l’exemple de VICE –pour qui j'ai travaillé– est éloquent: autrefois fanzine de la contre-culture, le magazine est aujourd’hui une multinationale à la ligne éditoriale renouvelée, loin des années 90 où il vivait encore de subventions à Montréal, et a lancé sa plateforme Vice News, dont le nom parle pour lui-même. Et qui, cette semaine est allé répondre aux questions des jeunes dans une interview relayée par toute la presse internationale? Barack Obama, bien sûr.

Le cool n'est pas une science exacte

Mais que comprendre réellement de ces apparitions à répétition qui ont de quoi ringardiser le journalisme politique classique? Les plus optimistes se féliciteront que des médias générationnels tels que VICE, Les Inrockuptibles et Society soient reconnus comme légitimes à parler de politique auprès de leur lectorat: après tout, au nom de quoi la parole politique devrait-elle être réservée aux médias plus institutionnels?

Les pessimistes concluront à une opération de séduction mutuelle entre politique et médias, à une version plus décontractée de la peopolisation où le politique n'est plus un élu qui a des comptes à rendre aux citoyens qu'un acteur d’une saga politique à suivre épisode après épisode sans y participer, comme ces seconds rôles de l'Elysée récemment immortalisés par l'Obs dans un agaçant shooting. Un écueil auquel Slate, qui interroge régulièrement des hommes et femmes politiques sur leur conception du bonheur, ne prétend d'ailleurs pas toujours échapper...

Les réalistes, eux, se diront que cette nouvelle vogue peut être une façon intéressante d’exporter le débat sur la chose publique dans de nouveaux sentiers, et se souviendront de toute façon qu'«une image politique ne se façonne pas aussi facilement que ne le laissent penser les experts en marketing», pour reprendre les mots des chercheurs Annie Collovald et Guillaume Court dans leur livre Les grands problèmes politiques contemporains. Le cool, heureusement, n’est pas une science exacte.

Mais les uns comme les autres pourront s'interroger: pourquoi être audacieux, aller vers la nouveauté et les jeunes, pour les hommes politiques français, est-ce encore –du moins le plus souvent– aller sur le papier, tandis qu'outre-Atlantique, c'est aller sur le Web?

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