A chaque fois, c'est la même chose. Un élu ou candidat FN fait une sortie raciste/antisémite/homophobe... On est choqué, on demande une réaction. Les responsables FN l'excluent, disent que c'est un cas isolé, un «dérapage» qui ne représente ni le parti, ni ses électeurs... Jusqu'au suivant.
Pour rendre compte de l'ampleur du phénomène, le Huffington Post a publié une carte des dérapages des candidats FN aux élections départementales.
Le site L'Entente, qui explique «observer le FN», a lui aussi publié de nombreuses révélations sur des candidats FN aux élections départementales des 22 et 29 mars. L'Obs et Libération ont également publié de très long florilèges ainsi que, pour ce dernier, une carte.
Les déclarations de ces candidats représentent-ils les opinions des électeurs qu'ils visent? Le 15 mars, la ministre de la Justice Christiane Taubira estimait que «ceux qui dérapent ne dérapent pas, ils avouent». Interrogé par Métro, le politologue Thomas Guénolé avançait la même idée:
«Ce ne sont pas des dérapages, c'est du "lepénisme". C'est-à-dire un ensemble de convictions politiques, racistes, antisémites, homophobes, islamophobes ou encore réactionnaires en ce qui concerne le droit des femmes. Elles sont héritées de Jean-Marie Le Pen.»
Rapprocher les propos des candidats de différentes enquêtes d'opinion publiées ces dernières années permet effectivement de montrer qu'ils reflètent, de manière beaucoup plus violente et agressive, des opinions que les sympathisants du FN professent effectivement plus que ceux des autres partis. Mais pas systématiquement dans une proportion beaucoup plus grande, ce qui semble refléter une plus générale «"libération de la parole", [un] "racisme décomplexé"» que pointait dans son rapport pour l'année 2013 la Commission nationale consultative des droits de l'homme, «comme si l’idéologie raciste, antisémite et xénophobe était toujours là, habitant trop de Français, mais qu’elle avait enfin pu s’exprimer, se désenfouir».
La plupart des propos suivants ont été tenus sur Facebook et Twitter. L'orthographe a été conservée.
1.Antisémitisme
«Le probleme principale est dans les Juifs et Masons, les Juifs ne sont pas une race unique mais parasite, car dans leur religion y a marqué en noir sur blanc que tout les autres races en gros c’est des esclaves pour eux. Ils merittent d’etre tué comme ils ont tué Jesus. C’est des gros racistes qui merritent que la mort cruelle.» (Alexandre Larionov, candidat FN dans le canton de Causse-Comtal, dans l'Aveyron, depuis exclu du parti).[1]
«Les banques dirigent le monde, les juifs dirigent les banques, les juifs ont le permis d’assassiner! Que fait le monde arabe?» (Jérémy Aycart, candidat FN dans le canton de Limoges-6, en Haute-Vienne).
Selon une enquête de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) dont Le Monde détaillait les résultats en novembre dernier, «c’est chez les proches du Front national et, presque dans la même mesure, de Marine Le Pen, que "l’on trouve, et de très loin, le plus d’opinions antisémites et xénophobes". Plus d’un sur deux trouvent qu’il y a trop de juifs dans les médias et l’économie et éviterait d’élire un président juif, et 22 % préfère éviter "un voisin juif"».
En ce qui concerne les «Masons», selon une enquête menée pour Counterpoint par notre collaborateur Joël Gombin, 37% des électeurs de Marine Le Pen en 2012 considéraient que les francs-maçons «tirent les ficelles» dans l'ombre, dix points de plus que la moyenne nationale.
2.Racisme
«Les Noirs ont 2.000 ans de retard sur les Blancs d’Occident ! Les arabes n’en sont pas loin…» (Jean-François Gaspard-Angeli, candidat FN dans le canton de Gap-3, dans les Hautes-Alpes).
«Il y a des battues contre les sangliers… contre les loups… contre les lynx… contre les ours… Etc. Et si on organisait plutôt des battues contre les arabes, on sauverait peut-être la France.» (Elie Quisefit, candidat FN dans le canton de Narbonne-3, dans l'Aude, qui a ensuite dit regretter ces propos: «C’est un dérapage, mais ce n’était pas du racisme, plutôt une exaspération.»)
Selon l'enquête de Fondapol, pour deux proches du Front national sur trois, un Français musulman «n’est pas aussi français qu’un autre».
3.Homophobie
«La pute à PD LGBT soumise @najatvb à l’Education nationale, une provocation de plus faite aux familles par ce gouvernement pourri ! #Dissolution».
«Tous à Paris le 5 octobre #LMPT. L’homosexualité n’est pas une norme, C’EST UNE DEVIANCE ! ! #NoPasaran.» (Jean-Marc Buccafurri, candidat FN dans le neuvième canton de la Seine-Saint-Denis)
«Le mariage = un homme une femme. Ils en veulent toujours plus ses PD.» (Roger Dohen, candidat FN dans le canton de Marck, dans le Pas-de-Calais).
C'est l'un des thèmes sur lequel la différence d'opinion est la moins flagrante. Selon une enquête de l'Ifop publiée en janvier, on ne perçoit pas «de grandes différences entre l’opinion de l’ensemble des Français et celle des sympathisants FN» vis-à-vis de l'homosexualité. «L’électorat frontiste est juste un peu plus travaillé par des idées homophobes que le reste de la population mais la différence n’est que de l’ordre de sept points, ce qui est peu.»
Signalons en revanche que l'électorat frontiste est le plus opposé au mariage pour tous et à l'homoparentalité, avec une inversion de tendance par rapport à l'hiver 2013, date de l'examen de la loi Taubira, où il y était plus favorable que l'électorat UMP.
4.Anti-Roms
A propos de Darius, le jeune rom tabassé en juin 2014 par des jeunes de Pierrefitte-sur-Seine, et retrouvé agonisant dans un chariot à roulettes: «On pourrait aussi arrêter [son] traitement […], non ? D’autant plus que le parasite n’a jamais cotisé à la sécu ou même payé une assurance…» (Gilles Ferrière, candidat FN à Plélo, dans les Côtes d'Armor).
«et un romm de moin il n avait pas qua voler on en a marre de ces gent la et le gouvernement leurs donne le biberon a bas les guauchistes trosquiste» (Christian Benner, candidat FN à Selongey, en Côte-d’Or).
Selon un sondage Harris Interactive publié à l'été 2013, 95% des sympathisants FN se considèrent préoccupés par la présence de Roms en France et 97% s'opposeraient à l'installation d'un campement de Roms près de chez eux dans un endroit non prévu à cet effet, contre respectivement 70% et 86% de la population. Des chiffres qui ne sont pas très éloignés de ceux des sympathisants UMP.
5.Quelle influence?
Fin 2013, l'institut PollingVox revenait sur l'influence de ces sorties sur le vote:
«Dans l’hypothèse où une des personnes figurant sur la liste pour laquelle on souhaite voter tiendrait des propos racistes ou antisémites, la modification du choix est fréquente, du moins au niveau déclaratif: 43% des Français changeraient alors leur vote pour le porter sur une autre liste, et 26% choisiraient de s’abstenir, 30% maintenant leur intention de vote.»
Sauf chez les électeurs du FN. PollingVox expliqueait que 64% des anciens électeurs de Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle maintiendraient leur intention de vote.