Culture

«Man Seeking Woman», le surréalisme manifeste

Temps de lecture : 5 min

Simon Rich, peut-être «l'homme le plus drôle d'Amérique» selon The Guardian, signe une série destinée à devenir culte.

L’année 2015 a d’ores et déjà enfanté deux nouvelles comédies américaines prometteuses, The Last Man on Earth diffusée sur la Fox et Man Seeking Woman sur FXX, une des chaînes dérivées de la Fox. Ce n’est d’ailleurs pas leur seul point commun, puisque les deux programmes font souffler, certes de manière différente, un même vent de liberté créative réjouissant et qu’ils auraient presque pu partager un titre étonnamment proche, Man Seeking Woman étant inspiré du recueil de nouvelles de son créateur Simon Rich… The Last Girlfriend on Earth (Homme cherche femme et autres histoires d’amour pour la traduction parue au Seuil).

S’il est toutefois encore trop tôt pour se prononcer définitivement sur la confirmation du potentiel comique de la première, nous pouvons en revanche nous pencher sur la réussite indéniable de la seconde, promise à un statut de série culte amplement mérité.

La série suit les hilarants déboires tragi-comiques de Josh (Jay Baruchel) dans sa quête d’une nouvelle vie amoureuse. Ce loser attachant vient en effet de se faire larguer par sa petite amie partie dans les bras d’Hitler (non, ne partez pas, nous allons tout vous expliquer!). Au gré de ses aventures (une dans chaque épisode sauf le neuvième que nous tairons pour ménager la surprise), il sera conseillé plus ou moins bien par son meilleur ami Mike (Eric André) et sa sœur Liz (Britt Lower) pour un résultat allant du gênant au catastrophique!


La réussite de Man Seeking Woman est due en premier lieu à un seul homme, bien qu’il soit difficile de l’appeler ainsi lorsque l’on voit son visage étrangement juvénile, aux faux airs du King Joffrey de Game of Thrones.

Simon Rich, 30 ans, est aussi précoce que le sinistre souverain puisqu’il a déjà publié deux romans et quatre recueils de nouvelles, collaboré à de nombreux magazines dont le New Yorker, participé à un projet encore secret pour les studios Pixar, écrit des sketches pour le mythique Saturday Night Live (il fut le plus jeune auteur jamais embauché par l’émission) et il dirige donc le développement de Man Seeking Woman. Petit frère du romancier Nathaniel Rich et fils d’une ancienne fine plume du New York Times, Frank Rich, Simon est en train d’éclipser la concurrence familiale.

Tandis que les éloges n’en finissent plus de pleuvoir (The Guardian se demandait même s’il n’était pas l’homme le plus drôle d’Amérique), le cinéaste Jason Reitman a acquis les droits de son premier roman et l’acteur Seth Rogen va produire l’adaptation d’une de ses nouvelles.

Qu’est-ce qui séduit autant dans son écriture et pourquoi celle-ci s’accorde-t-elle parfaitement avec le traitement télévisuel? Les courtes nouvelles de Simon Rich sont des petites vignettes faussement candides qui fonctionnent comme de longues blagues métaphoriques imprégnées par les réalités parfois triviales, souvent cruelles, de relations amoureuses défectueuses.

En voici un bon exemple lu par l’auteur:


Avec le sens aigu d’une narration désarmante de fluidité –qui nous rappelle d’ailleurs The Gift, ce morceau du Velvet Underground dans lequel John Cale narre la mésaventure tragique d’un jeune homme pour reconquérir sa copine– Rich utilise des figures aussi basiques que Dieu, le Diable, Cupidon, Frankenstein et les intègre naturellement à ses petits récits comme s’ils étaient des personnages comme les autres. L’emploi de ces figures universelles s’accorde alors avec l’universalité du propos: les galères amoureuses.

Man Seeking Woman © George Kraychyk/FXX

Le tour de force de Rich est de prendre au pied de la lettre et de représenter des métaphores et comparaisons du quotidien dans lesquelles ses personnages vont évoluer sans sourciller. Ces «images» mentales ne demandaient qu’à s’incarner sur un écran, pour un résultat encore plus probant.

Ainsi, dans Man Seeking Woman, «être cuisiné par sa mère» au sujet de sa nouvelle copine revient à se faire torturer dans une scène digne de 24h Chrono; «sortir avec un troll» revient à sortir avec un vrai troll; «charmer les filles» revient à les envoûter grâce à des yeux en forme de spirales hypnotiques; être un «couple fusionnel» revient à vivre comme deux siamois; si assister à un mariage après s’être fait larguer «c’est l’enfer», qu’à cela ne tienne, le mariage se déroule… en Enfer; et lorsque l’on hait a priori le nouveau fiancé de son ex, qui mieux qu’Hitler pour l’interpréter?!

Cet humour littéral, non dénué de profondeur ni de tristesse notamment grâce à la prestation fragile de l’excellent Jay Baruchel, trouve son inspiration dans plusieurs sources.

L’influence la plus évidente est celle de Lorne Michaels et du Saturday Night Live. L’émission culte américaine vient de fêter ses 40 ans et a vu défiler, dans des sketches dotés d’une liberté de ton remarquable, de nombreux talents comiques. On en retrouve un nombre incalculable au générique de la série, à l’écriture, devant et derrière la caméra.

L’inventivité de Charlie Kaufman, scénariste entre autres du film de Spike Jonze Dans la peau de John Malkovich semble être également un repère pour le jeune auteur. Dans un épisode, le langage «Tanaka» parlé par un monstre japonais en forme de pénis (!) nous a d’ailleurs fait penser immédiatement au langage «Malkovich» du film:


Rich ne cache pas non plus sa dette envers les sitcoms cartoonesques comme Les Simpson (on retrouve à l’écriture l’un des producteurs exécutifs) et South Park, dans lesquelles tout peut arriver:

«J’ai toujours rêvé de faire une sitcom live qui incorporerait le même type de surréalisme et d’absurdité que mes sitcoms animées préférées.»

«Surréalisme», le mot est lâché, et repris d’ailleurs par la plupart des critiques. Pas un surréalisme caricatural, sans queue ni tête, mais un surréalisme qui s’approcherait de ses véritables origines, celles définies par André Breton et qui s’apparentent à «un mouvement ininterrompu où la poésie vient se confondre avec la vie» (Marguerite Bonnet, André Breton, naissance du surréalisme).

Etre au-dessus du réel, sans le quitter des yeux, le déformer selon ses sentiments grâce aux mécanismes d’une pensée et d’un imaginaire qui le débordent et l’éclaboussent de visions poétiques accueillantes ou terrifiantes, voilà le véritable hommage rendu par Man Seeking Woman au courant artistique de Breton.

Coïncidence étonnante mais ô combien révélatrice: dans la page des remerciements à la fin de The Last Girlfriend on Earth, Simon Rich cite comme source d’inspiration l’album 69 Love Songs du groupe de Stephin Merritt, The Magnetic Fields, un nom provenant des Champs Magnétiques, le recueil d’André Breton et Philippe Soupault qui allait lancer le mouvement surréaliste en 1920, quatre ans avant la parution du célèbre Manifeste!

Cette coïncidence se poursuit dans le générique de Man Seeking Woman puisque le nom de Simon Rich est attiré par un aimant…


Un pouvoir magnétique contagieux qui fait de Rich et sa série des attractions que l’on suivra jusqu’au bout.

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