«Idiot», «antipathique», «naufrage», ce sont quelques uns des qualificatifs utilisés par la critique française pour parler de After Earth, le dernier blockbuster en date de Will Smith, sorti à l'été 2013. Aux Etats-Unis, le film n'a même pas franchi la barre symbolique des 100 millions de dollars de recettes, culminant à un petit 60 millions. L'acteur le dit lui-même au magazine Esquire:
«C'était l'échec le plus douloureux de ma carrière.»
Ce n'était pas la première fois que l'acteur connaissait un revers commercial. Mais c'était le plus spectaculaire. D'abord parce que le film a coûté la modique somme de 130 millions de dollars. Ensuite parce qu'il en était l'initiateur, celui qui avait conçu l'histoire pour lui et son fils Jaden. Surtout parce que Smith a chuté de très haut.
Une carrière en quatre temps
Contrairement à la carrière de beaucoup d'acteurs hollywoodiens qui fait sans cesse du yoyo, la carrière au cinéma du Fresh Prince est très simple: elle peut se résumer en quatre grandes phases.
La première, à partir de 1995 quand il enchaîne quatre gros succès d'affilée avec Bad Boys, Independence Day, Men In Black et Ennemi d'Etat. La deuxième à partir de 1999 quand, après le relatif échec de Wild Wild West, il part en quête de «respectabilité» en tournant avec Robert Redford (La Légende de Bagger Vance) et Michael Mann (Ali).

Will Smith et Eva Mendes dans Hitch
La troisième, à partir de 2002, quand il se transforme en machine de guerre du box-office mondial. Bad Boys 2, Men In Black 2, I,Robot, Hitch, Hancock, Je Suis Une Légende, A la Recherche du Bonheur: Will Smith enchaîne alors les succès, sans jamais défaillir. Peu importe le genre. Notez que Hitch est la sixième comédie romantique la plus vue de tous les temps dans le monde[1]!
L'ingrédient important: lui-même
Le Prince de Bel-Air semblait bel et bien avoir trouvé la recette infaillible pour amasser les dollars au box-office mondial. Et l'ingrédient principal de cette recette était clair: lui-même. Son style débonnaire, son charisme naturel, son impressionnant physique et une énergie de pile électrique qui semble ne jamais vouloir s'arrêter font des merveilles partout où il passe.
Partout, on en redemande! Il est parfait dans les talk-shows, qu'ils aient lieu chez David Letterman, Michel Denisot, Thomas Gottschalk ou Graham Norton. Il est parfait aussi dans les avant-premières, de Paris à Séoul, de Londres à Rio, de Los Angeles à Tokyo. Et bien sûr, (presque) aucune ombre au tableau de la presse people, l'homme étant marié depuis 18 ans avec Jada-Pinkett avec qui il a deux enfants.
A cette époque, Will Smith est tout puissant et chaque film à dépasser les 100 millions de dollars de recettes aux Etats-Unis assoit encore plus son pouvoir. En 6 ans, entre 2002 et 2008, il y en aura huit… d'affilée! Un record absolu[2]. Bref, il fait ce qu'il veut car, tous les ans, comme un rituel, les spectateurs vont, les yeux fermés, voir leur «Will Smith movie» comme certains vont voir leur Woody Allen annuel.
L'autre Tom Cruise
Will Smith est une méga-star, la star ultime et absolue, comme il y en a une, voire deux, par décennie. Dans l'histoire du box-office contemporain, le genre de succès qu'a connu Will Smith dans les années 2000, il n'y a qu'un seul autre acteur qui peut s'en vanter. Et c'est Tom Cruise (entre 2000 et 2006, ce dernier a passé la barre des 100 millions de dollars de recettes au box-office américain à sept reprises d'affilée).
D'ailleurs, les deux hommes ont ce point commun d'avoir choisi, à peu près à la même époque, de devenir producteur. A partir de 1997, Will Smith a ainsi créé Overbrook Entertainment, sa société de production. Et comme pour Cruise, comme pour toutes les stars hollywoodiennes qui créent leur société de production, l'objectif était clair: se forger les rôles parfaits, ne plus dépendre des studios pour lui envoyer les scénarios en allant les chercher lui-même, quitte à les faire écrire pour lui.
Les deux hommes ont beaucoup en commun (à part leur enthousiasme plus ou moins modéré pour la Scientologie) mais Will Smith a commis une erreur que Tom Cruise, grand cinéphile, ne s'est jamais permise: il n'a jamais pris de risques. Will Smith est, en un peu plus de 20 ans de carrière au cinéma, toujours resté dans une certaine zone de confort, celle des grosses productions hollywoodiennes et du divertissement à tout prix.
Le manque de légitimité artistique
Quand Tom Cruise a tourné avec Kubrick, Spielberg, Mann, Scorsese, Scott, De Palma, Woo, Coppola, Reiner, Stone, Crowe etc., se réinventant en permanence, Smith aligne faiblement Michael Mann et Robert Redford dans un registre différent de celui particulièrement apprécié par Michael Bay et Roland Emmerich, grands architectes du pur divertissement hollywoodien avec qui il a fait ses premières armes (dans Bad Boys et Independence Day).
Bande-annonce d'Ali
Et même quand il tourne Ali avec Michael Mann, rôle qui lui a valu l'une de ses deux nominations aux Oscars (avec A La Recherche Du Bonheur), il est difficile de considérer un biopic d'une figure universellement admirée, comme particulièrement audacieux. On est loin du vampire homosexuel de Entretien avec un Vampire, du mari frustré de Eyes Wide Shut ou du gourou masculiniste de Magnolia.
Will Smith n'a jamais montré d'intérêt à se réinventer, à tourner avec un metteur en scène qui aurait pu le challenger et le remuer, comme Tom Cruise l'avait, par exemple, fait avec Stanley Kubrick en restant à sa disposition pendant 15 mois.
Plutôt que de se mettre à leur service, Will Smith préfère en effet aller chercher des réalisateurs qui se mettront à son service, comme il a pu le faire avec l'italien Gabriele Muccino sur A La Recherche du Bonheur et Sept Vies.
Une frilosité qui a explosé au grand jour quand, en 2013, il révéla au magazine Entertainment Weekly la vraie raison qui l'avait poussé à finalement refuser le rôle-titre dans le film de Quentin Tarantino, Django Unchained:
«Django n'était pas le personnage principal; c'est comme ça, j'ai besoin d'être le personnage principal. L'autre personnage était le rôle titre.»
Il préférera donc partir sur le tournage de After Earth –avec les conséquences que vous connaissez.
Celui qu'on admirait pour sa coolitude apparaît donc de plus en plus comme calculateur et mégalomaniaque
Le «système» Will Smith tourne en rond. Sans la légitimité artistique que peuvent avoir Cruise, Pitt, Hanks ou Damon, celui qu'on admirait pour sa coolitude, son attitude décontractée et débonnaire, apparaît donc de plus en plus comme calculateur et mégalomaniaque, à l'image de cette immense loge de 106 m2, installée en plein New York pour le tournage de Men In Black 3, qui n'a pas beaucoup plue aux riverains. Certes une anecdote de tabloïd mais assez révélatrice d'un certain état d'esprit.
Et la mise en lumière, très tôt, de ses enfants, Jaden au cinéma avec A la Recherche du Bonheur, After Earth et Karate Kid, et Willow dans la musique avec le tube Whip My Hair, n'a pas aidé non plus à améliorer son image dans le cœur de ceux qui ont grandi avec Le Prince de Bel-Air.
En direct des années 90
Du coup, comme une tentative désespérée de regagner des points de coolitude, le Fresh Prince préfère se repencher sur sa glorieuse jeunesse, au lieu de s'inventer un nouveau futur. Ainsi, dans les talk-shows, Will Smith vient désormais faire son numéro. En direct des années 90!
Depuis ce moment chez Graham Norton en 2012 où il a repris le fameux thème de la série qui l'a révélé, il a remis ça chez le même Graham Norton en 2013 et chez Ellen en 2015. Rajoutez son tube Summertime chez Jimmy Kimmel, son tube Gettin Jiggy With It chez David Letterman et la Carlton Dance chez Jimmy Fallon et vous avez le portrait d'un acteur clairement désemparé qui tente d'attraper le présent en se raccrochant à son passé. Le signe des fins de règne.
Car, si l'acteur avoue aujourd'hui dans une interview confession au magazine Esquire que l'échec After Earth lui a fait relativiser son rapport presque maladif à la réussite, concernant son choix de films et sa carrière, il semble juste avoir pris en compte l'évolution du marché. Rien dans ses projets à venir n'indique en effet autre chose que des films très hollywoodiens avec des réalisateurs peu connus pour leurs films «d'auteur».
Will Smith a désormais une forme d'audace qui pourrait aussi ressembler à une forme de résignation
Seule différence visible entre le Will Smith de 2015 et celui de 2005, il accepte désormais d'être «une des roues du carrosse» en intégrant la troupe des super-vilains Suicide Squad aux côtés de Jared Leto, Margot Robbie, Joel Kinnaman et Jai Courtney. Une forme d'audace qui pourrait aussi ressembler à une forme de résignation.
La fin de l'ère de la méga-star
Devenir un personnage de comic-book dans une super-production estivale amenée à concurrencer les tout-puissants Avengers de Marvel, c'est en effet accepter une réalité pas tendre avec les acteurs de sa trempe: l'ère de la méga-star est terminée.
Bienvenue dans l'ère de la franchise et des super-héros interchangeables. Une ère dans laquelle Spider-Man va être rebooté une deuxième fois trois ans à peine après le dernier volet. Une ère dans laquelle un acteur (Robert Downey Jr.) ayant rapporté 2,5 milliards de dollars en trois films n'est capable d'en rapporter que 83 millions dès lors qu'il sort de sa combinaison en fer (Le Juge, sorti en 2014). Une ère dans laquelle (presque) personne n'est réellement capable de se souvenir du nom de l'acteur (Sam Worthington) qui jouait le héros du plus gros film de tous les temps au box-office mondial (Avatar et ses 2,8 milliards de recettes mondiales).

Will Smith et Margot Robbie
Une ère dans laquelle un acteur (Channing Tatum) capable d'aligner trois énormes succès la même année dans des genres diamétralement opposés (La Promesse, 21 Jump Street et Magic Mike) se prend un énorme bide avec la super-production qui aurait dû faire de lui la nouvelle méga-star du box-office mondial (White House Down, ironiquement réalisé par celui qui a fait de Will Smith une méga-star en 1995 avec Independence Day).
Une ère dans laquelle neuf des dix plus gros films de ces quatre dernières années sont des suites, produits dérivés de best-sellers, jouets ou parcs d'attraction.
Une ère durant laquelle le dernier film avec l'ex-méga-star Will Smith, Diversion, rapporte à peine 19 millions de dollars lors de son premier week-end d'exploitation américain. A budget de production comparable, on est 8 millions en-dessous d'A La Recherche du Bonheur– qui avait 500 copies de moins! Bref, pas un démarrage déshonorant (d'autant qu'il se place à la première place du box-office) mais très loin des standards établis la décennie précédente.
La grande mystique de la méga-star intouchable n'est plus ce qu'elle était. Les acteurs et actrices qui parviennent à faire payer au plus grand nombre une place de cinéma à 10 euros les yeux fermés, ne sont plus. Reste des stars, des gens que l'on aime retrouver dans les talk-shows et suivre sur Twitter, des gens auxquels on aime s'identifier et dont on aime découvrir les films de temps en temps.
Un statut auquel Will Smith devra désormais s'habituer.
1 — Un calcul réalisé par Slate, en prenant les chiffres monde et en les ajustant à l'inflation, à partir des chiffres de Box Office Mojo. Retourner à l'article
2 — En se référant encore à Box Office Mojo, et en comparant avec les autres stars des années 80 à nos jours (Tom Cruise, Brad Pitt, Julia Roberts, Matt Damon, Tom Hanks etc.) Retourner à l'article