Le 5 mars, les lecteurs du New York Times ont découvert un nouveau mot: «choreplay», une contraction entre les mots anglais «chore» (tâche ménagère) et «foreplay» (préliminaires). En français, on pourrait parler de «préliminagère».
Tout est parti d'une bonne intention: Sheryl Sandberg, la numéro 2 de Facebook devenue auteure féministe à succès, a co-écrit un éditorial pour montrer que l'égalité homme-femme a des conséquences positives pour les hommes, que ce soit au travail ou à la maison. Son article (écrit avec Adam Grant, un professeur de management) cite plusieurs études: une selon laquelle les couples dans lesquels les hommes aident à la maison ont moins tendance à divorcer, et une autre de 2010 qui montre qu'ils ont plus de rapports sexuels.
«Sheryl a conseillé aux hommes qui veulent faire un petit geste pour leurs partenaires de faire la lessive au lieu d'acheter des fleurs. Un soir, une femme a demandé à son mari, qui avait entendu le conseil de Sheryl, de faire la lessive. Plein d'espoir, celui-ci a pris le panier à linge et demandé: c'est la lessive Lean in? [du titre du best seller de Sandberg]. Le “choreplay” existe vraiment.»
Cette petite anecdote et ce néologisme ont suscité de nombreuses moqueries aux Etats-Unis. Ce couple a-t-il vraiment passé une nuit torride parce que le mari avait fait la lessive recommandée par Sheryl Sandberg? Au-delà du côté peu crédible du «choreplay», il y a un problème éthique: ce concept semble en effet présupposer que pour passer l'aspirateur, les hommes ont besoin de la promesse d'une récompense sexuelle.
Dans The Guardian, Jessica Valenti résume les choses ainsi:
«Mon mari ne fait pas la lessive parce qu'il veut qu'on fasse l'amour. Il fait la lessive pour une raison assez simple: parce que les habits sont sales... Est-ce que nous voulons vraiment vivre dans un monde où les hommes ne font le ménage que pour avoir plus de rapports sexuels?»
Le fait que Sheryl Sandberg considère que les hommes ont besoin de la promesse d'avantages concrets (moins de disputes, plus de sexe) pour être convaincus de faire le ménage montre à quel point leur participation active aux tâches ménagères demeure inhabituelle.
Dans Slate.com, Hanna Rosin souligne que l'étude citée par Sheryl Sandberg sur les rapports sexuels et le ménage a été contredite par d'autres recherches qui ont trouvé qu'à l'inverse, les hommes qui plient le linge et font la vaisselle font moins l'amour avec leur femme que ceux qui aident moins.
Après avoir étudié 4.500 couples hétérosexuels mariés, les chercheurs avaient conclu que «les couples où les hommes participent davantage aux tâches ménagères effectuées habituellement par les femmes déclarent avoir des relations sexuelles moins fréquentes. De même, les couples où les hommes effectuent des tâches traditionnellement plus masculines –jardinage, factures, entretien de la voiture– témoignent de relations sexuelles plus fréquentes».
De plus, la propagande autour du choreplay semble confondre «sympa» et «sexy». L'homme qui fait la vaisselle est respectueux, c'est bien, mais est-ce qu'il est vraiment plus excitant?
Pour Hanna Rosin, présupposer que les femmes sont émoustillées par un homme qui lave les toilettes est un contresens sur la libido féminine. Elle cite notamment une chercheuse en psychologie selon laquelle un fantasme féminin récurrent est celui d'un «gentleman prédateur» qui désire tellement une femme qu'il perd tout contrôle de lui-même. On est loin de l'image de l'homme qui repasse gentiment le linge.
Cette idée du choreplay a fait beaucoup parler d'elle, mais ce n'est qu'un détail de la nouvelle campagne de Sandberg «Lean in together» (avancer ensemble), qui célèbre les hommes qui aident leurs femmes à la maison.
Il y a notamment une vidéo avec des stars du basket, dont LeBron James, et sous le hashtag #LeanInTogether, plusieurs célébrités ont tweeté des messages sur la coopération dans le couple. La créatrice de la série Girls Lena Dunham, par exemple, est contente que son copain s'occupe du chien quand elle travaille, mais elle ne précise pas si voir son partenaire remplir la gamelle était particulièrement excitant...