Jean-Christophe Lagarde est encore largement inconnu du grand public, mais il y a fort à parier qu’il ne va pas le rester longtemps. La chance du nouveau chef de file de l’Union des démocrates et des indépendants (UDI), au delà de son propre mérite, est qu’il s’avance à la lumière au moment où le temps s’accélère, à droite, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2017, où se déploient les grandes manœuvres de l’UMP, avec le retour de Nicolas Sarkozy et les candidatures déjà déclarées d’Alain Juppé et de François Fillon. Où, enfin, la famille centriste va être l’objet de toutes les sollicitations jusqu’aux primaires de 2016, puisque ses électeurs et ses sympathisants devraient être conviés, selon toute probabilité, à participer à celles-ci.
Alain Juppé en tête, qui indexe ses possibilités de remporter ce «premier tour» de 2016 sur les voix des modérés de son parti, et au moins autant, sans doute, sur celles des réformateurs, des radicaux de tous poils et autres anti-sarkozystes qui ne se sont jamais résolus à rejoindre l’UMP, les responsables de l’opposition ont donc intérêt à se familiariser rapidement avec celui qui succède au très populaire Jean-Louis Borloo, désormais en retrait de la vie politique.
Ils savaient Jean-Christophe Lagarde volontariste, volontiers bravache, même. Un pur produit du clientélisme un peu voyou, trait commun à certains élus de l’opposition en Ile-de-France, une culture qu’il a apprise de ses adversaires du parti communiste auxquels il est parvenu à arracher de haute lutte la mairie de Drancy (Seine-Saint-Denis), en 2001, puis la circonscription environnante, l’année suivante. Deux succès qui constituaient encore, à l’époque, une certaine performance, en terre de conquête périphérique. A preuve: lors de la présidentielle de 2012, les mêmes électeurs de Drancy donnaient toujours une confortable avance à François Hollande (61,87%).
«Je ne suis pas un centriste couilles-molles»
Jean-Christophe Lagarde était cependant resté ce qu’en politique on nomme désagréablement «un second couteau», loin derrière Jean-Louis Borloo et François Bayrou, les seuls centristes à figurer en bonne place dans les baromètres de popularité –avec Simone Veil, la marraine des centristes, longtemps figure politique «préférée des Français». Deux semaines avant son sacre à l’UDI, avec un score estimable (53%), les sondés n’étaient d’ailleurs toujours pas invités à se prononcer sur son avenir politique dans le sondage TNS/Sofres du Figaro Magazine. Il faisait partie de ces chefs de sous-partis (le sien se nomme Force européenne démocrate) qui valent à peu près automatiquement à leurs fondateurs un titre de vice-président ou de porte-parole de l’UDI. C’est donc avec surprise que les différents cercles centristes l’ont vu concourir contre Hervé Morin (Nouveau Centre), Yves Jego (Parti radical) et Jean-Christophe Fromantin (Territoire en mouvement). Avec plus d’étonnement encore qu’ils ont validé sa victoire au second tour, le 13 novembre dernier, sur Hervé Morin, lequel était pourtant donné gagnant par tous les pronostics.
Jean-Christophe Lagarde entreprend donc de corriger son déficit d’image, et comme le temps presse et que son tempérament l’y pousse, il y met une véhémence assez peu dans la manière centriste, plutôt onctueuse. Ainsi, sur les ondes d’Europe 1, comme il émettait récemment des réserves sur la volonté de François Hollande de faire reculer l'organisation Etat islamique (EI) en Syrie et en Irak, et comme il lui était demandé ce que le président pouvait bien faire de plus, le nouveau chef de file de l’UDI a eu cette très offensive réponse: «Quand on fait la guerre, monsieur Elkabbach, on la fait à 100%!» Bigre. Tout est un peu comme ça, ces mois-ci, Jean-Christophe Lagarde ferraille tous azimuts: contre les 35 heures, dont il dit que la première génération de leurs bénéficiaires avait profité de «loisirs offerts»; contre la politique du gouvernement, et ce, à peu près avec des arguments aussi tranchés que ceux de l’UMP; mais aussi contre cette même UMP, qu’il accuse de glissements vers le Front national, notamment à travers «la droitisation extrême» de Laurent Wauquiez .
Pour moi,
être centriste,
c’est convaincre
et conquérir
Jean-Christophe Lagarde, à L'Express,
le 23 décembre 2014
«Je ne suis pas un centriste couilles-molles», répète-t-il quand on s’étonne de ses actuelles prises de position. Rien à voir, à l’entendre, avec ces modérés parisiens et barons de province, qui se détestent cordialement, mais s’arrangent toujours pour être au mieux avec tout le monde, alliés et adversaires. «Dans leur idée, être centriste, c’est hériter. Pour moi, c’est convaincre et conquérir.» Au point d’ambitionner, affirme-t-il, de hisser l’UDI au rang de «grand parti». De «premier parti de France», même. Ses nombreux rivaux modérés, comme les spécialistes, à l’UMP, des velléités du cousin centriste, n’entendent là que chimères et grandiloquence. Le discours obligé du nouvel arrivant sur l’existence d’un centre réellement indépendant… avant d’aller s’accommoder, comme ses aînés, de l’hégémonie du parti dominant, à droite.
Libéral économiquement et sociétalement
Jean-Christophe Lagarde les rajeunit, depuis son élection: il rappelle un peu les élans de François Bayrou, rêvant, au sortir de l’UDF, à l’aube du millénaire, d’une candidature systématiquement maintenue d’un troisième homme à l’élection présidentielle, entre la gauche et la droite. Après un score honorable en 2007 (18,6%), une telle tentative était retombée à 9,1%, en 2012. Pour son insolence stratégique, aussi pour avoir déclaré qu’il voterait François Hollande, à titre personnel, au second tour de 2012, François Bayrou avait été sévèrement puni par l’UMP, les électeurs, et le peu de reconnaissance de François Hollande: perte de son mandat parlementaire, à l’occasion d’une triangulaire UMP/PS; son parti, le Modem (Mouvement démocrate) réduit à la taille d’un groupuscule; pour lui, une rude traversée du désert, malgré une popularité sauvegardée...
Depuis, François Bayrou a été autorisé à rejoindre le troupeau. Mais à droite. Il a été élu, en 2014, maire de Pau, grâce à l’intervention d’Alain Juppé, qui a obtenu de Jean-François Copé que l’UMP ne présente pas de candidat contre lui, malgré l’hostilité de Nicolas Sarkozy à toute idée de pardon. Juste avant l’arrivée de Jean-Christophe Lagarde, le traditionnel dispositif était donc redevenu homogène: le centre est conservateur, et les centristes, malgré leurs pas de deux, s’inclinent toujours devant l’UMP avant les grandes échéances électorales, pour sauvegarder les mandats de leurs parlementaires et locaux et quelques chances de figurer dans un gouvernement en cas de victoire. Preuves à charge supplémentaires: Jean-Louis Borloo avait renoncé, en 2012, à lancer la jeune UDI dans l’aventure présidentielle, et Hervé Morin, qui avait ensuite voulu tenter sa chance, n’avait même pas été en mesure de réunir les 500 signatures nécessaires à une candidature.
Jean-Christophe Lagarde n’encourt pas, comme François Bayrou, le soupçon d’écarts possibles vers la gauche. C’est un centriste naturellement de droite, comme la majorité des responsables de l’UDI. Un modéré UMP-compatible en tout cas, tant que l’UMP ne dérive pas vers l’extrémisme. Pendant que le fondateur du Modem menait sa course solitaire, en 2007 et 2012, lui choisissait de soutenir Nicolas Sarkozy dès le premier tour. Son profil est assez proche du morphotype centriste: tolérant sur les questions de société, favorable, par exemple, au mariage gay, et même à la dépénalisation du cannabis. Fédéraliste européen et résolument libéral en économie. Il faut, dit-il, «libérer le marché du travail, l’économie, l’investissement, tout en conservant un bon niveau de protection sociale». L’éternelle volonté de tenir les deux bouts de la chaîne. L’histoire des réformateurs, opposés aux révolutionnaires de 1789, que les Montagnards traitaient déjà de «marais», arrangeants, humanistes mais stériles, allergiques aux idées engagées et aux chefs charismatiques, mais qui finissent toujours par se rallier aux unes et aux autres.
Disposition des astres
Le nouveau président de l’UDI peut-il faire mentir la chronique? Le desserrement actuel du bipartisme, l’introduction du Front national au premier rang du jeu politique, les fractures idéologiques au sein de l’UMP comme du PS lui laisse en tout cas entrevoir une disposition plus favorable des astres. La nécessité de primaires pour désigner le candidat de l’UMP à l’élection présidentielle donne mécaniquement davantage de poids au rôle, que son manque de notoriété ne lui confère pas, ou pas encore, que pourrait jouer Jean-Christophe Lagarde.
L’intérêt de Nicolas Sarkozy, comme celui d’Alain Juppé, est d’obtenir que l’UDI ne demande pas à concourir aux primaires en tant que telle. Le président de l’UMP n’a pas renoncé à un tel projet, habitué qu’il est à vider le centre de ses figures et à les enrôler les unes après les autres dans son écurie. Mais si l’UDI résiste jusqu’en 2016, elle peut même revendiquer le droit de se présenter. Ou celui de de soutenir officiellement, en bon ordre, au second tour des primaires, l’un des deux candidats restants. Sociologiquement, elle est plus proche des thèses et de la personnalité d’Alain Juppé. Ses animateurs raisonnent d’ailleurs, sur ce point, comme François Bayrou, qui, de son côté, a déjà annoncé qu’il soutiendrait l'ancien Premier ministre de Jacques Chirac.
Pendant leur rapprochement, en 2013, François Bayrou et Jean-Louis Borloo avaient convenu de présenter un candidat commun en 2017. Mais l’histoire avance plus vite que les visées tactiques. Jean-Louis Borloo s’est éloigné et François Bayrou est encore dans sa phase de reconnaissance à l’égard d’Alain Juppé. Le centre, façon Modem, est engagé aux côtés d’un des candidats néo-gaullistes, et se prive pour l’instant de son vœu d’autonomie. Un pacte qui s’annulerait en cas de défaite d'Alain Juppé, et laisserait dès lors le chef du Modem à nouveau maître de sa destinée.
Un centre qui tire à droite
Jean-Christophe Lagarde, depuis l’UDI, fait le même calcul. Toutefois, moins que jamais sous la Ve République, un parti ne contrôle ses électeurs. Politiquement, sondage après sondage, il apparaît que les sympathisants centristes glissent eux aussi vers la droite. Ils sont 86% à se sentir du centre, au Modem. Seulement 58% dorénavant, à l’UDI. On le sait, beaucoup des élus UDI ne résisteraient sans doute que peu aux sirènes sarkozystes, après les accords que les deux formations ont conclu ou vont conclure pour les élections départementales de mars et régionales de décembre.
Le pourcentage de sympathisants de l'UDI qui se sentent centristes, selon un sondage Ifop pour Atlantico d'octobre 2014
Rien n’est joué, et la vie politique est à l’aube de bouleversements dont les conséquences demeurent largement inconnues. Mais s’il manœuvre habilement et parvient à convaincre ses compagnons de lui laisser donner une réalité à l’idée d’indépendance, Jean-Christophe peut encore envisager de permettre au centre-droit de présenter un candidat, en 2017. Avec ou sans accord avec le Modem. Peut-être même, il n’en désespère pas, avec lui-même pour candidat. A la place d’un François Bayrou, populaire mais sans troupes, et qui ne tenterait pas sa chance, une fois de plus. Ou qui la jouerait en tandem, toujours avec Alain Juppé, si celui-ci, comme ses sympathisants le souhaitent souvent, se jetait tout de même dans la course présidentielle, malgré la désignation de Nicolas Sarkozy comme candidat officiel de l’UMP. Toutes ces configurations n’empêcheraient pas l’UDI de jouer le plus loin possible sa propre carte.
L’important, pour l’heure, est de tenir bon. Car ce que tout le monde cherche, justement, c’est cette social-démocratie modérée, jusqu’ici introuvable, ou non viable, qui pourrait se profiler enfin, avec la dérive des deux grands partis de gouvernement vers leur bord extrême. Par éclatement, l’UMP et le PS pourraient laisser une large place au milieu de l’échiquier politique, qui favoriserait les rapprochements du centre-gauche et de l’aile droite socialiste. Avec François Bayrou, Manuel Valls, et pourquoi pas Alain Juppé, et bien sûr, le président d’une UDI préservée, et sur la base d’un réformisme social et économique à la suédoise. A peu près le programme centriste. Un songe, encore, mais dont Jean-Christophe Lagarde, comme d’autres, à droite et à gauche, croit déjà deviner les contours. Qui pourrait se concrétiser, non en 2017, les jeux sont faits, mais cinq ans plus tard. 2022: un horizon pour hommes politiques assez jeunes. Cela tombe bien, il n’a que 47 ans.