Pour être totalement franc, on voulait vraiment parler de libido avec Dominique A. Le chanteur, Victoire de l’interprète masculin 2013, grâce à l’énervé Vers les lueurs, a toujours su instiller une tension sexuelle certaine dans ses chansons. On a bien essayé de trouver des passages sexuellement explicites dans Eléor, son nouvel effort qui sort le 16 mars.
Mais Dominique A, 46 ans, semble en avoir fini avec cette période:
«Ça m’a pas mal travaillé au début des années 2000, c’était une période de remise en cause dans tous les domaines... Auguri ne parlait que de ça, le rapport au corps.»
Il y aura quelques réminiscences dans les disques suivants… Mais dans Eléor, le chanteur balaie toute allusion croustillante et joue la carte d’un chaste premier degré (ou alors, il se paye notre tête). Les désirs sont ailleurs…
«J’avais envie d’être ample et lyrique, avec un orchestre à cordes dans les arrangements, tout en restant en formation resserrée pour les compostions parce que j’aime jouer en trio.»
L’homme reste habité par un sentiment d’urgence et par la violence des sentiments. Le désir purement charnel qui a pu habiter certains de ses morceaux est remplacé par des sentiments tout aussi violents: être à nouveau père, avoir peur de manquer de temps et vouloir boucler cet album à tout prix avant l’arrivée d’un nouveau.
«Cet état d’esprit, ajouté au fait que je suis parti en voyage, a fait que les vannes se sont ouvertes. L’album a commencé à se construire comme cela.»
J’étais très anxieux lors de la sortie de Au revoir mon amour, pendant Charlie. J’avais peur que ce son-là n’apparaisse complètement déplacé.
On est assez loin de l’urgence «rock’n roll» ou «incendiaire» comme on dit parfois. Dominique A l’énervé, celui des colères froides et sourdes, n’a jamais semblé ici aussi apaisé.
«J’ai réécouté mes disques il n’y a pas longtemps pour des histoires de remasterisation [ses disques sont tous à nouveau édités en vinyles]. Et j’ai été assez agacé par la fébrilité de mon chant sur certains morceaux, notamment sur le dernier album, Vers le bleu ou Close West.»
Le chanteur a cherché à arrondir sa voix, à être plus chaleureux, sans penser à ce que les chansons pourraient donner sur une scène où tous les sentiments sont exacerbés.
«La douceur a été mon cheval de bataille. J’avais envie de beau. Je tends ça, à un moment faut pas se leurrer, c’est ce que j’ai toujours cherché chez les autres: le beau, la douceur, la simplicité...»
Comme si, réconcilié avec le monde (et surtout avec lui), le chanteur pouvait enfin se débarrasser de sa colère et s’inspirer pleinement du chant apaisé de Molly Drake, la mère de Nick...
Illustration parfaite de cette idée forte: Au revoir mon amour, paru le 15 janvier 2015.
Le clip a câliné les internautes après le traumatisme des attentats contre les journalistes de Charlie Hebdo et des clients de l’Hyper Cacher à Paris.
«J’étais très anxieux lors de la sortie. Comment les gens allaient prendre cette chanson dans ce contexte? Tout ce que l’on fait apparaît un peu dérisoire dans ce contexte, j’avais peur que ça arrive comme un cheveu sur la soupe. J’avais peur que ce son-là n’apparaisse complètement déplacé.»
Pour le chanteur, la musique est un baume contre le durcissement actuel. Les sentiments, les positions de durcissent. L’époque est violente. Dominique A revendique sa douceur en réaction.
«Même la musique populaire est agressive. Les sons que j’entends m’agressent vraiment, fortement.»
Plus que dans les années 1990 pendant lesquelles, le même Dominique A n’était pas spécialement tendre?
«C’est vrai, mais mes disques ont toujours eu, globalement, un son assez doux. Sur scène mon énergie est plus fébrile que dure.»
Cette chanson? Je me demande encore ce que j’ai voulu dire!
La scène, le disque... ce sont deux métiers en un. Les deux facettes d’une même pièce, si bien que l’on se demande ce que les nouveaux morceaux vont donner sur scène avec un trio énergique.
Dominique A ne se pose pas la question: il y a d’un côté le travail d’enregistrement et d’interprétation pour le disque dans un cadre fermé. Et ensuite, il y a la représentation publique et la scène. C’est quasiment de la réinterprétation à chaque fois.
«Quand je suis sur scène, il y a tout de suite des petites notes qui vont se balader, ma voix va changer un peu...»
Sa chanson Le courage des oiseaux (originalement sortie en 1991) connaîtra ainsi de multiples versions: disco, électro ou rock qui transformera de nombreuses salles de concerts en boîtes de nuit...
Dans Eléor, on suit le chanteur dans ses pérégrinations, comme sur certains de ses précédents efforts. Mais Central Otago, Cap Farvel, le Canada ou l’Espagne (Semana Santa) sont surtout des décors qui servent de cadres aux chansons. Tout est dans le rapport entre l’histoire racontée et le cadre dans lequel cette histoire se déroule.
«Le cadre est souvent le révélateur d’un état d’esprit ou d’un sentiment», justifie le chanteur. Parfois, c’est simplement l’évocation du lieu ou sa sonorité qui inspirent le grand A:
«Central Otago est un coin magnifique de Nouvelle-Zélande, mais ces deux mots m’ont électrisé. Le thème musical m’est venu tout de suite et la chanson ne parle pas du lieu mais de la puissance même de ces mots.»
Je me dis qu’un mauvais texte, ça s’entend mais qu’un bon texte sait se faire oublier.
Cette sensibilité est assez nouvelle chez le chanteur qui s’était toujours interdit d’utiliser les noms propres. «A ce niveau-là, j’étais un anti-Delerm dans ma démarche», s’amuse-t-il. On est bien loin de l’incarnation du chanteur-voyageur-baroudeur type Bernard Lavilliers, mais Dominique A met ici ses voyages en scène, peut-être un peu plus que d’habitude. «Le risque, c’est la caricature», reconnaît-il volontiers.
Mais ça faisait des années que ces lieux trottaient dans sa tête. Le texte de Cap Farvel aurait dû être une chanson pour Radiosofa ou Pauline Croze... Les choses ont traîné:
«Et puis une nouvelle musique m’est venue avec ces cordes très amples qui collaient bien aux mots...»
Les thèmes de cordes sont ouvertement lyriques et harmoniquement épurés. Tout doit être au service de la chanson et du propos. Et quand Pauline Croze s’est rappelée du texte pour son prochain album, c’était trop tard…
Pour Dominique A, la violence des sentiments est également très présente sur Eléor:
«Nouvelle Vague ou Celle qui ne me quittera jamais évoque l’idée obsessionnelle de l’amour. On ne sait plus qui enferme l’autre.»
Les thématiques apparaissent souvent après coup. Les chansons sont écrites dans un laps de temps assez court, dans l’impulsion. Ce n’est que plus tard que l’on retrouve les obsessions du moment de l’auteur.
«Je suis toujours dans la position du narrateur, mais je me soigne. Je cherche à être plus présent. Et ça se traduit dans mon chant, enfin, j’espère.»

Dominique A © Richard Dumas
Eléor, le morceau-titre va encore plus loin dans le délire. Après nous avoir amené au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Espagne, au bord de l’eau, Dominique A nous demande de le rejoindre à Eléor, île imaginaire que l’on fantasme bien au nord de l’Europe et un peu à l’est des Terre du Milieu.
«Cette chanson? Je me demande encore ce que j’ai voulu dire! Tant mieux, elle va me suivre quelques années... Sa marge d’interprétation est assez large. En tant qu’interprète ça va être un régal.»
D’autant que, régulièrement, l’auditeur zappe le texte pour se laisser bercer par la musicalité de l’ensemble.
«Ça m’arrive aussi, déculpabilise le chanteur. Je me dis qu’un mauvais texte, ça s’entend mais qu’un bon texte sait se faire oublier.»
Et parfois des morceaux de textes se détachent comme dans Au revoir mon amour. Le passage «Mieux vaut ne pas s’aimer / Qu’un jour ne plus s’aimer» reste en mémoire. Certaines phrases déboulent comme ça... et quand on les relit on se dit «ça c’est bien»... Et c’est ce qui fait que les chansons de Dominique A entrent dans la vie des gens. Chacun se les approprie, les fait écouter à ses parents, les chantent à ses enfants. Et 25 ans plus tard, Dominique A n’est peut-être pas un chanteur ultra populaire, mais son public s’est élargi aux seniors et aux juniors.
«Des enfants et ados viennent me parler de mes chansons, c’est étonnant, non?»
Il est déjà devenu un classique.