France

A quoi ressemblerait un conseil départemental FN?

Temps de lecture : 6 min

Des élus frontistes pourraient-ils vraiment diriger les départements en appliquant le programme du parti de Marine Le Pen?

Une urne.  REUTERS/Charles Platiau
Une urne. REUTERS/Charles Platiau

«Vous verrez quand le tuteur légal des mineurs étrangers isolés sera un président de conseil départemental Front national!», s’alarmait en privé une ministre socialiste il y a quelques semaines face à la montée du FN à l’approche des élections départementales.

RSA, aide sociale à l'enfance...

Pour la première fois, le Gard, le Vaucluse, le Var ou l’Aisne semblent à la portée du parti de Marine Le Pen. Et même si la conquête de l’un de ces départements reste encore très improbable, beaucoup à gauche comme à droite s’inquiètent déjà de voir les nombreuses compétences sociales des conseils départementaux (les anciens conseils généraux) entre les mais d’élus Front national.

C’est en effet au niveau du département que sont distribués le RSA, l’allocation personnalisée d’autonomie ou encore la prestation de compensation du handicap. Les conseils départementaux sont également chargés de l’aide sociale à l’enfance (dont dépendent les mineurs étrangers isolés), de la construction et de l’entretien des collèges, et ont la capacité de distribuer des subventions dans les domaines du sport et de la culture. «Je n’ai aucun doute que lorsqu’ils auront entre leurs mains l’ensemble de la politique sociale, ils seront intraitables», prévient Elsa Di Meo, secrétaire nationale du PS qui publiera à la fin mars un Journal de bord d’une élue en pays FN nourri par son expérience d’opposante au sénateur-maire de Fréjus, David Rachline.

En cas de victoire en mars, faut-il vraiment s’attendre à ce que des élus FN gèrent l’attribution du RSA ou la protection de l’enfance selon l’idéologie de leur parti?

Malgré les mises en garde formulées à droite et à gauche, la question est plus compliquée. Car la longue liste des compétences sociales des départements est strictement encadrée par l’Etat. «Environ 80% de leurs budgets sont définis par le législateur, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas de marge de manoeuvre réglementaire. Ils doivent simplement signer des chèques pour des allocataires ou des associations qui vont rendre des services en matière de politique sociale», explique Romain Pasquier, professeur à Sciences Po Rennes et spécialiste de gouvernance territoriale.

«Le conseil départemental n’est qu’un opérateur. S’il dévie du chemin tracé par le législateur, c’est la justice administrative qui se chargera de faire appliquer la ligne.»

Peu de marges de manoeuvres

Cette omniprésence de l’Etat irrite d’ailleurs bon nombre de présidents des actuels conseils généraux. Le patron socialiste des Landes, Henri Emmanuelli, s’en plaignait encore en octobre 2014 devant la Commission des Finances de l’Assemblée nationale:

«Le financement des prestations universelles par les départements est une aberration: ces prestations sont décidées par le Parlement, les conditions de leur versement sont fixées par décret; les assemblées départementales n'ont aucune marge de manoeuvre. Les quelques fois où, comme président de conseil général, j'ai voulu refuser une demande de revenu de solidarité active –RSA–, je me suis retrouvé au tribunal administratif, et j'ai perdu!»

Paradoxalement, ce qui indigne Henri Emmanuelli est aussi ce qui pourrait rassurer les opposants au Front national en cas de conquête d’un département. «Il peut y avoir une espèce d’ambiance locale qui fera que les agents seront incités à adopter une jurisprudence plutôt qu’une autre, un certain type de comportement, mais cela ne peut être qu’à la marge. Autrement ce serait trop voyant, et l’institution se mettrait dans l’illégalité», poursuit Romain Pasquier. Sans oublier que le périmètre d’action des départements va se réduire comme peau de chagrin avec la loi NOTRe (pour Nouvelle organisation territoriale de la République) actuellement discutée au Parlement, avec la disparition programmée de la clause de compétence générale qui permettait jusqu’ici aux départements de s’investir dans des domaines qui ne dépendent pas directement de leurs attributions.

«Certes, la loi encadre l’activité des collectivités locales, mais elles gardent quand même une marge de manoeuvre. Ce ne sont pas simplement des machines qui appliquent des politiques», fait valoir le numéro 2 du FN, Florian Philippot.

«Les compétences des départements sont ce qu’elles sont, mais on peut jouer dessus, comme on le fait déjà dans les communes.»

Le programme du Front national pour les élections départementales met l’accent sur quelques attributions symboliques des conseils départementaux. Ils proposent par exemple de compléter l’allocation personnalisée d’autonomie pour les personnes âgées, de renforcer la sécurité à l’intérieur et aux abords des collèges, et de lutter contre la fraude au RSA. Le tout en baissant les dépenses de communication et le train de vie des élus.

Quelques exemples

Un programme que l’ancien ministre et président UMP sortant du conseil général du Morbihan, François Goulard, démonte avec gourmandise.

Le FN promet d’être intraitable sur la fraude au RSA?

«On n’a pas besoin d’être au Front national pour lutter contre la fraude. Il y a déjà beaucoup de conventions mises en place, et on a déjà chaque mois des condamnations de fraudeurs.»

Le FN propose d’équiper les collèges des quartiers sensibles avec des portiques détecteurs de métaux?

«Les installer, c’est éventuellement du ressort du département. Les utiliser, c’est du ressort du directeur d’établissement, sur lequel le département n’a pas autorité.»

Quant à la volonté du FN d’instaurer un critère de maîtrise de la langue française pour les personnes travaillant dans des structures d’accueil de la petite enfance?

«Il y a un rôle strict d’agrément des crèches et des garderies qui ne porte absolument pas sur ces aspects. Ce ne sont que des vérifications techniques des locaux, et de ratio et de qualification des personnels. Si un département voulait mettre en place des tests de français pour les intervenants dans une crèche, ce serait immédiatement annulé par le tribunal administratif.»

Des exécutifs locaux FN n’auraient donc pas les mains libres pour exercer les compétences sociales des départements. Mais le parti compte bien transformer cette faiblesse en arme pour prendre la population à témoin et s’opposer symboliquement au pouvoir national.

«Dans la méthode –et je pense que cela peut être un instrument de pression politique important–, on souhaite utiliser la démocratie directe le plus possible, confie Florian Philippot. On peut imaginer des référendums départementaux, même si l’on sait qu’ils ne sont que consultatifs. La politique c’est aussi de faire bouger les choses par le rapport de force.»

Elsa Di Meo dénonce:

«Ils sont dans une double rhétorique: “Localement, je fais mon maximum pour durcir les conditions d’accès aux services et les réserver aux Français de souche. Mais en même temps, je n’ai pas le droit d’appliquer le programme du parti, donc vivement que Marine Le Pen prenne le pouvoir en France pour que l’on puisse inscrire notre programme dans la loi.” Ils sont gagnants sur tous les plans.»

A la marge, mais pas insignifiant

Même si les contraintes budgétaires pèsent de plus en plus lourd sur les finances des départements, avec des dépenses sociales qui explosent et des dotations de l’Etat qui s’amenuisent, un exécutif local FN pourrait toujours mettre en place quelques programmes symboliques pour marquer sa différence. En particulier dans les domaines du sport, de la culture et des subventions accordées aux associations. A l’image de la ville de Hénin-Beaumont qui s’est empressée de fermer un local de la Ligue des droits de l’homme, ou du maire de Beaucaire qui a coupé les vivres à un centre socio-culturel.

«On est dans quelque chose qui est compliqué à démontrer, mais on a vu clairement la différence, déplore Elsa Di Meo. Avec des baisses de subventions pour des centres sociaux où les populations accueillies sont majoritairement d’origine immigrée, en comparaison avec des centres équivalents où la population est plus blanche.»

«Il y aura toujours des possibilités d’orienter des subventions, mais ce n’est vraiment que la surface des choses. Dans mon département du Morbihan, par exemple le budget est de 765 millions d’euros, et on ne pourrait jouer que sur 10 millions d’euros», explique François Goulard. Cela suffit pourtant pour faire passer des messages.

Enfin, un conseil départemental conquis par le FN serait synonyme de places et de budgets à distribuer à des militants, entreprises ou associations appartenant à la galaxie frontiste, comme l’a montré une enquête de Mediapart en août 2014. «Le fait d’embaucher des proches pour des missions, dans un cabinet, sous forme de contractuels ou dans une association, dépend du pouvoir discrétionnaire de l’employeur qui est la collectivité locale. Cela se fait dans tous les partis politiques, cela se fera donc aussi au FN», commente Romain Pasquier. De quoi permettre au FN de continuer tranquillement sa croissance et de préparer avantageusement les prochaines échéances électorales:

«C’est un vecteur qui va donner beaucoup de force au FN car c’est la rémunération du militantisme. Cela change tout quand un engagement chronophage donne lieu à un retour sur investissement pour les militants les plus méritants. Le fait de gagner une institution permet de les rétribuer et de les professionnaliser. Cela permet aussi de motiver ceux qui ne l’ont pas encore été: “Si on continue à conquérir des bastions, voilà ce à quoi vous pourrez arriver.”»

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