Monde

Les «tribunaux de la mort» de Sarah Palin

Temps de lecture : 4 min

Au beau milieu de l'été l'affaire n'a pas eu un grand écho sur le Vieux Continent. Elle ne manquait pourtant pas de piquant. Sarah Palin, l'ancienne et truculente candidate républicaine à la vice-présidence des Etats-Unis, a accusé le président Barack Obama de vouloir, au travers de sa douloureuse et périlleuse réforme du système de santé, ériger des «tribunaux de la mort». Nul dérapage vocal ici, nulle exagération malencontreuse conséquence de la fièvre montante d'un meeting politique partisan. Non. Mme Palin s'exprimait sous la forme d'un texte diffusé sur Facebook.

Et que dit Mme Palin à ses concitoyens? Par exemple que, bientôt, aux Etats-Unis une bureaucratie en gestation déciderait de qui a le droit, ou non, d'être soigné; que le président démocrate veut «nationaliser» le système américain de santé via un organisme public qui pourra refuser de payer les dépenses médicales des assurés. «Et qui souffrira le plus quand ils rationneront les soins? Les malades, les vieux et les handicapés, bien sûr», avertit l'ancienne candidate avant de peindre un tableau «orwellien» du système voulu par l'administration Obama. Il est heureux que George Orwell puisse ne pas entendre de tels propos.

Mme Palin:

«Mes parents ou mon bébé trisomique devront comparaître devant le «tribunal de la mort» d'Obama, où ses bureaucrates décideront subjectivement s'ils sont dignes de recevoir des soins en fonction de leur niveau de productivité dans la société. Un tel système serait l'incarnation du mal.»

Le temps à beau passer le fameux concept de l'incarnation du mal fait toujours recette aux Etats-Unis qui savent mieux que la plupart des autres pays faire le part entre le bien et le mal. Mme Palin appelle précisément ses fidèles «à se lever et s'engager dans ce débat crucial entre tous». «Nationaliser notre système de soins serait un point de non-retour dans l'ingérence de l'Etat dans la vie des citoyens» avertit-elle. Et Dieu sait qu'il n'y a pas droit plus sacré, aux Etats-Unis que de ne pas voir l'Etat se mêler de la vie privée des citoyens.

Rappelons ici que Mme Palin a abandonné son poste de gouverneur de l'Alaska, qu'elle pourrait préparer une candidature à l'élection présidentielle américaine de 2012 et qu'elle est mère de cinq enfants, dont le plus jeune, âgé d'un an, est atteint de trisomie 21. Rappelons aussi que la réforme du système américain d'assurance maladie, qui figurait au coeur de la campagne électorale de Barack Obama et qu'elle fait l'objet — c'est un euphémisme — de tractations délicates au Congrès.

Schématiquement, le projet ne vise rien moins que de fournir une ouverture maladie aux près de 50 millions d'Américains qui en sont aujourd'hui dépourvus. Vieil et noble objectif démocrate qui pourrait bien ne jamais être atteint sous l'effet conjoint des oppositions radicales de la minorité républicaine et des dissensions au sein de la majorité démocrate.

Toujours durant cet été Barack Obama a aussitôt répliqué à Mme Palin et à ses «tribunaux» d'un genre nouveau. Dans son allocution radiodiffusée hebdomadaire, le président américain a attaqué frontalement les adversaires de sa réforme: «Permettez-moi de démentir les folles rumeurs selon lesquelles la réforme va promouvoir l'euthanasie, réduire Medicaid [la couverture maladie des plus
pauvres] ou entraîner une nationalisation des soins. Ce n'est tout simplement pas vrai.» Mais comment parvenir à lutter efficacement contre de «folles rumeurs»?

«Est-ce que nous participons à une politique du cynisme ou à une politique de l'espoir?», avait lancé Barack Obama en 2004, lors d'un discours devenu célèbre; discours qui l'avait révélé devant la convention démocrate. Cinq ans plus tard l'interrogation demeure. «Ces luttes se sont toujours résumées à un combat entre l'espoir et la peur» vient de déclarer le président qualifiant d'alarmistes ceux qui dénoncent son plan visant à offrir une couverture maladie aux millions d'Américains qui en sont privés; un plan que ses ennemis politiques, Sarah Palin en tête, qualifient de «liberticide», «infernal» et «socialiste».

«L'Obama qui sortira de cette féroce bataille politique sera forcément un président différent», analyse l'Agence France Presse. Une victoire sur un tel projet, sur lequel ses prédécesseurs démocrates se sont tous cassé les dents, le conforterait dans sa volonté de réforme et entérinerait son image de marque d'homme du changement. Mais si sa réforme finit aux oubliettes, le président sera alors mis à rude épreuve. Certains affirmeront sans doute que sa croisade pour l'espoir et le changement n'est que «de la poudre aux yeux», comme l'avait affirmé son ancienne rivale Hillary Clinton au cours de la primaire démocrate. Et si le Congrès devait voter un compromis déshonorant, son aura politique ternirait.

Pour le Pr Andrew Dowdle, spécialiste de sciences politiques à l'Université de l'Arkansas Barack Obama, en croyant en sa capacité à cicatriser les divisions, a très largement sous-estimé la profondeur de la vieille déchirure qui coupe l'Amérique en deux.

Qui du cynisme ou de l'espoir, l'emportera? On pourrait sans doute, depuis cette rive de l'Atlantique (en France et en Suisse par exemple) rire des traits pour nous caricaturaux de la situation américaine. Nous pourrions sourire et nous aurions grand tort. Sans doute les situations n'ont-elles rien de véritablement comparables. Mais sur le fond? D'un côté le pays le plus riche et le plus puissant de la planète qui ne parvient pas à assurer une solidarité minimale dans le champ de la prise en charge de la maladie et de la souffrance; de l'autre une couverture solidaire qui menace chaque jour un peu plus de se déliter - et qui se délite déjà. Pas de purs scandales certes; pas de «tribunaux de la mort». Mais pas de véritables échanges démocratiques sur un sujet à ce point essentiel. Les Etats-Unis s'opposent au grand jour sur le fait de savoir s'ils doivent pour les uns — horreur! — «nationaliser» leur système, pour les autres -enfin! - «sortir de la jungle». Où est le cynisme? Où est l'espoir?

Et qui fera la part entre les «tribunaux de la mort» de Sarah Palin et la montée croissante, ici ou là de part le monde industriels, de ce nouveau droit revendiqué: celui de mourir, avec une assistance médicale de préférence à une obligation assurantielle? A qui aimerait répondre précisons que le deux branches de l'alternative n'ont rien d'exclusif.

Jean-Yves Nau

Lire également sur le même sujet: Combien pour une vie humaine?

Image de Une: Sarah Palin à Fairbanks en Alaska/Reuters

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