Ce n’est certes pas un «miracle anti-sida». Pour autant, c’est incontestablement un chiffre marquant: 86% de réduction du risque de contamination par le VIH. Les résultats de l’essai clinique français Ipergay ont été communiqués, mardi 24 février, lors de la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes organisée à Seattle. Ils marquent une nouvelle étape dans la nouvelle utilisation qui pourrait être faite de médicaments actifs contre l’infection par le VIH: non plus une utilisation thérapeutique (chez des personnes infectées) mais bien en prévention, chez des personnes qui savent qu’elles seront exposée à un risque potentiellement élevé de contamination. Les spécialistes parlent ici de «prophylaxie pré-exposition» (ou Prep).
Lancé début 2012, l’essai clinique Ipergay était mené sur 414 hommes en France et au Canada à partir du Truvada®, une association de deux médicaments antirétroviraux fabriqué par la firme américaine Gilead Sciences. Avec un essai britannique voisin (PROUD Study), Ipergay proposait à des homosexuels séronégatifs volontaires de participer à une étude Truvada® contre placebo. Objectif: évaluer l’efficacité protectrice de la molécule face à des risques potentiels mais bien réels de contamination virale par voie sexuelle. Et ce en prenant du Truvada® (ou le placebo) dans les heures précédant des rapports à risque, puis dans les 24 heures suivant ces rapports. Les volontaires devaient être âgés de plus de 18 ans, avoir des rapports sexuels avec des hommes ainsi que «des rapports sexuels anaux avec au moins des partenaires sexuels différents dans les six derniers mois sans utilisation systématique de préservatif». Les volontaires avaient un âge moyen de 35 ans et déclaraient une dizaine de rapports homosexuels mensuels, le plus souvent sans préservatif et avec plusieurs partenaires.
Une campagne d'essais agitée
Ce travail n’a pas été de tout repos: le principe même d’essais contre placebo était contesté depuis le départ puisqu’en 2012, les autorités sanitaires américaines avaient donné un feu vert à l’utilisation préventive de ce médicament contre l’infection par le VIH. Les promoteurs d’Ipergay faisaient toutefois valoir l’originalité de leur essai: des prises «à la demande», alors que les autres expériences prophylactiques étaient menées avec des prises continues, plus difficile à suivre régulièrement sur de longues périodes. En 2011, une étude internationale (l’essai «iPrEx») avait ainsi montré sur plus d'un an une réduction moyenne de 44% de l'infection par le VIH dans un groupe d'homosexuels prenant quotidiennement un comprimé de Truvada®, par rapport au groupe placebo.
En pratique, les responsables d’Ipergay ont rencontré des difficultés de recrutement. Et l’étude fut interrompue avant son terme: en octobre dernier, le comité indépendant de l'essai Ipergay recommandait que tous les participants de l'essai puissent bénéficier de la Prep. Il venait de prendre connaissance des données sur le nombre des contaminations dans les deux groupes de participants, celui recevant le Truvada® et celui recevant son placebo. Poursuivre l’étude avait alors été jugé contraire à l’éthique. Ces données chiffrées n’avaient pas été rendues publiques. Le comité de pilotage de l’étude PROUD avait également annoncé, le 16 octobre dernier, que tous les participants auraient désormais la possibilité de commencer la Prep.
Les données chiffrées finales (et celles des contaminations respectives) viennent d’être communiquées à Seattle. On a recensé au total seize cas de contamination: quatorze dans le groupe placebo contre deux dans le groupe médicament, des hommes qui avaient cessé de prendre le Truvada® depuis plusieurs semaines. Le traitement par Truvada® a été globalement «bien toléré», avec néanmoins un certains nombre d’effets indésirables (nausées, douleurs abdominales). Les résultats sont comparables dans l’essai PROUD.
Une prévention moins efficace que le port du préservatif
L’étape scientifique est achevée. Reste désormais la somme des questions qui restent à résoudre avant que la prévention médicamenteuse puisse être proposée en pratique. Comment, notamment, proposer une prévention moins efficace, globalement, que ne l’est le port du préservatif? Le Pr Jean-Michel Molina (Université Paris 7–Hôpital Saint-Louis, AP-HP, Paris) qui a coordonné ce travail, souligne ainsi que 34% des participants ont contracté au cours de l'étude une autre infection sexuellement transmissible, la gonorrhée, la syphilis, l'hépatite C ou une infection à Chlamydiae.
Des infections qui peuvent également être transmises si elles ne sont pas immédiatement diagnostiquées et traitées. «Il est important de ne pas relâcher les politiques de prévention qui ont fait leurs preuves: utilisation systématique du préservatif, dépistages réguliers du VIH et des autres IST et leur traitement», prévient-il. Mais, dès lors, quel est le bénéfice exact du Truvada® dans le dispositif? Comment, en pratique, imaginer que l’on pourra aisément développer des stratégies de prévention où coexisteront différents outils permettant de limiter ses risques d'infection en fonction de son niveau d'exposition?
A cette question médicale s’ajoutent les difficultés réglementaires et économiques. Le Truvada® n’est actuellement disponible que pour les personnes infectées par le VIH. Il est commercialisé par la firme américaine 500 euros les 30 comprimés et pris en charge à 100%. Le gouvernement jugera-t-il que les personnes séronégatives prenant le risque d’une contamination sexuelle devront payer le prix de leur prévention? Où que le remboursement peut être économiquement justifié? Des études médico-économiques devront ici être menées. Aux Etats-Unis (où elle est autorisée depuis 2012), cette méthode n’est pas rentrée dans la pratique, selon les derniers chiffres donnés par Bloomberg Business.
«Accélérer le processus»
Les associations Aides et Warning ont demandé aux autorités françaises en charge du médicament que soit au plus vite accordée une recommandation temporaire d'utilisation (RTU) élargissant les conditions d’accès au Truvada® pour les personnes vulnérables au VIH. «Il serait maintenant scandaleux, tant du point de vue de la santé publique que de l'intérêt des personnes concernées, que cette prévention ne soit pas, désormais, rapidement accessible», a déclaré à Slate.fr Olivier Jablonski, président de Warning. Pour sa part Bruno Spire, président d’Aides, et coresponsable de l’essai Ipergay, dit «espérer que ces résultats vont accélérer le processus».
Plusieurs fois interrogée sur ce sujet par les associations, la ministre de la Santé Marisol Touraine s’est toujours prudemment refusée à prendre position. On annonce désormais des décisions gouvernementales durant l’été ou à l’automne. L’une des questions de fond est d’ores et déjà connue: l’assurance maladie acceptera-t-elle de prendre en charge une dépense qui, officiellement, est destinée à prévenir une maladie –et ce alors même qu’il existe d’autres moyens (non pris en charge par la collectivité) de prévention?