Culture / France

Quand les écrivains pour la jeunesse retournent à l'école

Temps de lecture : 5 min

Certains romanciers vont régulièrement à la rencontre des jeunes dans les écoles, pour aborder via la fiction des questions parfois subversives: le rapport à la religion par exemple.

Le 8 janvier 2015 à Paris. REUTERS/Charles Platiau
Le 8 janvier 2015 à Paris. REUTERS/Charles Platiau

«Même si ce n'est pas mon métier, c'est une activité que j'aime bien, reconnaît dans un sourire l'écrivain Karim Ressouni-Demigneux. Ca fait vivre mes livres et ça me donne le courage de continuer.»

Comme certains de ses condisciples, cet auteur-jeunesse (Je suis un gros menteur, La Cité), connu par le bouche-à-oreille dans les Salons du livre jeunesse, part volontiers se frotter aux élèves des écoles publiques (CP, CM1, CM2), pour animer des rencontres ou des ateliers d'écriture, ponctuellement ou plusieurs fois, à la faveur d'une résidence d'auteur.

Un exercice pas forcément de tout repos, même pour un militant de la littérature: «Il faut une grosse énergie pour se retrouver face à des gamins qui vous bombardent de questions du genre "Pourquoi tu écris?", "C'est vrai ce que tu racontes?"…Les profs ont travaillé avant, les gamins aussi, je n'y vais pas en dilettante il faut une grosse énergie. Et je les préviens: "Vous avez le droit de me demander tout ce que vous voulez" et moi, j'ai le droit de ne pas répondre."»

Karim Ressouni-Demigneux

Ainsi, partant de l'ouvrage Je suis un gros menteur, histoire d'un petit arabe qui se fait passer pour un juif, il peut élargir le propos, expliquant qu'il pu faire ce mensonge à une période de sa vie mais que selon l'époque, cet acte n'a pas la même conséquence…

Ce livre, l'auteur l'a écrit pendant le conflit israëlo-palestinien. L'ogre, un album illustré au texte court, plus sombre, parle de tolérance et de différence dans la vie des cités. Son petit roman Je ne pense qu'à ça! est une réflexion subtile autour des premiers questionnements d'ado sur la sexualité… Karim Ressouni-Demigneux construit depuis douze ans ses «petits» romans à l'écriture légère et aux sujets graves: identité, racisme, différence, homosexualité… jusqu'au dernier, La cité, série labyrinthique et haletante sur les enjeux de la réalité virtuelle.

Des débats passionnants pour aborder avec les enfants, d'une autre manière, via la fiction, des problèmes d'actualité.

«Chaque fois, j'essaie de ramener à la littérature, de donner un point de vue. On peut aborder tous les sujets avec eux, même les plus complexes. Les enfants ont plus d'un neurone!» Echange direct, sans fard, propre à rappeler aux enfants qu'un auteur, c'est quelqu''un de vivant avec lequel ils peuvent discuter et échanger.

D'autres romanciers profitent de la même opportunité pour aller vers leurs lecteurs en herbe. «J'adore participer à ces rencontres, c'est énergisant, avoue Olivier de Solminihac (C'est quoi, mort?, Le dragon dans les dunes). «On est confrontés à la réalité des enfants, on peut les observer, partager avec eux. Ca nous permet d'avoir un retour direct sur les textes et c' est toujours un moment privilégié».

Ce jeune romancier, qui écrit aussi bien pour la jeunesse que pour les adultes, vit à Dunkerque et intervient donc dans les écoles de sa région et dans différents salons.

Les rencontres les plus fructueuses sont, à ses yeux, celles qui sont préparées très en amont, en vue d'une «production» des élèves (écrit ou illustration) en lien avec la bibliographie de l'invité.

L'Association REEL (Recherche à l'école pour écrire et lire) organise chaque année en mai, en marge du Salon du livre de Montauban, la venue d'écrivains et d'illustrateurs dans une centaine d'établissements scolaires du Tarn et Garonne. «Les livres peuvent être un moyen de mettre des mots sur des sentiments que les élèves peinent à formuler, continue Olivier de Solminihac, des ressentis en lien avec l'intime, l'amour, la jalousie, la différence, la cruauté…»

Une mère est venue raconter en classe que son fils avait retrouvé le sommeil après avoir lu et étudié un de mes livres

Olivier de Solminihac

Cet homme de l'écrit, qui fréquente les écoles depuis une dizaine d'années, fait état de «petits miracles» survenant pour certains enfants qui se révèlent auprès de leur professeur ou de leurs camarades. «Ainsi, une mère est venue raconter en classe que son fils avait retrouvé le sommeil après avoir lu et étudié un de mes livres, Debout la nuit! Magique!»

Même sentiment pour Nathalie Brisac, responsable de la communication à L'Ecole des loisirs, elle-même auteure (Le plus joli des rêves).

«Par la fiction, les enfants arrivent à comprendre et à dire des choses sur des problèmes importants, en parlant à la place du héros, remarque t-elle. Les livres sont toujours sujets à discussion, et suscite des questionnements sur le vivre ensemble, la justice, l'antisémitisme…Et il y a parfois des jolis moments. Je me souviens d'un garçon ayant un sévère handicap en matière de vue, qui portait des grosses lunettes. Il m'avait dit: "Nathalie, c'est incroyable! Dans tes livres, je vois"…»

Les enseignants, de leur coté, se servent de ces venues comme d'une ouverture à l'extérieur, et d'une manière de faire surgir l'imaginaire dans leurs classes. «On travaille plusieurs mois à l'avance en parallèle avec le Salon de Montauban autour d'un thème précis, explique Loïc Mabille, enseignant à l'école de Campsas en cycle 3 (CE2, CM1et CM2):

«C'est souvent un coup de cœur. Par exemple, on a choisi le livre de Frédérique Elbaz, Etre ou ne pas hêtre, une entrée à la philosophie… Partant du thème de cette année, Avec nos mains, nous avons travaillé à partir de leurs photos de mains, de textes qu'ils ont écrit… Pour nous, c'est l'occasion de nous renouveler, d'aborder les œuvres autrement, de profiter d'un apport pédagogique. L'an dernier, on a reçu un auteur-poète, Simon Martin (Dans ma maison) et les enfants ont créé des textes autour des métiers d'art. Quand il en a lu une dizaine à haute voix, on a tous eu l'impression de les redécouvrir. Puis, il a enregistré des voix d'enfants pour les diffuser plus tard dans l'émission d'une radio associative.»

Depuis huit ans, ces échanges qui montrent aux jeunes lecteurs qu'«il y a de gens bien vivants derrière les livres», lui servent de «fil conducteur» toute l'année dans ses classes. Le dispositif mis au point dans l'école Jules Vallès à Valence (Drôme) dans une soixantaine de classes est un peu différent.

«Nous recevons chaque année un auteur à l'occasion du Salon du livre de janvier, nous confie Lucile Boucharin, enseignante en CM2 et très favorable aux rencontres. C'est très stimulant pour eux de préparer sa venue dés septembre et de se plonger dans son univers

Avec Karim, le courant est vite passé: «Il met les gamins en situation, leur donne un coup de pouce pour élargir leur imaginaire.»

Bien préparée, la rencontre d'une heure trente entre une classe et un intervenant peut se révéler fructueuse. S'appuyant sur La Cité, série en cinq volumes, Karim Ressouni-Demigneux leur a proposé en janvier dernier deux exercices: écrire un portrait à la troisième personne du singulier, et créer un avatar avec des pouvoirs et un ami (comme dans son roman). «Je n'en aurais jamais eu l'idée, avoue simplement Lucile. Pourtant, ces jeux d'écriture peuvent constituer un déclic et ouvrir un monde de possibles. Un gamin pudique et un peu introverti a saisi l'occasion pour évoquer le divorce, à ses yeux douloureux, de ses parents. C'était une idée lumineuse qui a bien fonctionné! Quant au portrait sur le thème «Ce que les autres pensent de moi», il a révélé que les élèves avaient souvent une vision négative d'eux-mêmes. Une prise de conscience qui a débouché sur une grande discussion au sein de la classe!»

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