Cet hérétique aurait mérité d’être pendu par les pieds dans un chai humide et fouetté avec un sarment de folle-blanche* jusqu’à ce que soif s’ensuive. Je parle de l’inventeur du verre à cognac, dont le nom s’est perdu dans les limbes de l’histoire viticole mais dont la création outrageusement ballonnée montée sur un pied court a survécu, jusqu’à symboliser à elle seule la dégustation de la dive eau-de-vie charentaise.
Et pourtant. Ce verre ballon trapu au col très resserré, dont on coince le pied entre deux phalanges pour en réchauffer le ventre sur la paume, est exclu des grandes maisons où s’élabore le Cognac. «IL FAUT BANNIR LE VERRE A COGNAC!, tonne Philippe Coste, le patron de Meukow en tirant sur sa clope. Ecrivez bien ça, surtout! Il concentre sur une grande surface l’alcool qui vous explose au nez en remontant et vous empêche de sentir autre chose. Sec, le cognac se déguste dans un verre tulipe. En long drink, avec de la glace, allongé de tonic, d’eau de Seltz ou de ginger ale, servez-le dans des verres à cocktail.»
Inutile de réchauffer votre verre au creux des mains –sauf si vous le goûtez à la morne saison dans les chais frisquets. «Autrefois, on tiédissait son verre parce qu’il faisait froid dans les maisons chauffées au feu de cheminée, observe Olivier Paultes, directeur des distilleries d’Hennessy. Mais en dégustation, le cognac se boit à température ambiante, autour de 20°C. Ici, à Cognac, on l’apprécie aussi avec un glaçon.» La glace neutralise les composés volatiles et libère d’autres arômes. Ce sera au passage la seule occasion de sortir du placard le mal aimé verre ballon hérité des aïeux.
Versez donc votre cognac dans un verre tulipe à pied, dont le corps qui se resserre vers le haut concentre les odeurs et les libère en douceur. Et ajustez la distance à votre nez (c’est très personnel, certains auront besoin de plonger le nez dedans, d’autres au contraire s’en approcheront plus ou moins) pour en sentir les arômes.

Le bon verre pour le cognac
Alexandre Gabriel, la tête et le cœur de la maison Pierre Ferrand, est intarissable sur le cognac, son histoire, sa fabrication, son art et, partant de là, sur à peu près tout ce qui se distille et se savoure en esthète. En avant pour une leçon de dégustation avec un passionné.
«On ne fait pas tournoyer pas son verre tulipe: le cognac est très volatile, et cela fait ressortir l’alcool. On cherche la distance de confort entre son nez et le verre, pour "scanner" les arômes du premier nez. Puis on revient dessus pour le deuxième nez. On se prend une petite gorgée en bouche –qu’on n’oxygène pas, contrairement au vin. Et on laisse se répandre la salive: c’est comme une fleur qui s’épanouit pour tapisser le palais. On prend son temps, pour sentir la succession d’arômes qui racontent l’histoire de l’eau-de-vie.»
L’arôme primaire puise dans le raisin, le vin qui a servi à l’élaboration du cognac. Les composés qui s’élaborent au cours de la fermentation (alcools, aldéhydes, esters...) forment l’arôme secondaire. Et les échanges nés du contact au fût de chêne lors de la maturation apportent l’arôme tertiaire. Avant de se fondre sous le palais dans une définition assez proche du bonheur, tous vont se succéder en séquences dans votre verre. Tulipe, le verre. Puisque vous aurez pris soin de casser les ballons.
* — L'un des cépages dont on fait le vin blanc qui, une fois distillé, donnera le cognac. Retourner à l'article