Pour présenter le cabinet de François Hollande, récemment remanié, l’Obs a choisi un axe assez usé mais au charme inépuisable: la jeunesse. Ce choix a probablement été dicté par le nouveau conseiller en charge de la communication, Gaspard Gantzer (36 ans), directement concerné par ce florilège de trentenaires, et de fait agréablement mis en valeur dans la galerie de portraits. En une, une photo très posée, un portrait de groupe maniéré style «tableau pour la postérité».
Que nous dit cette image de la jeunesse qui nous gouverne?
Cet entourage est-il original, inattendu? L’enquête que j’ai effectuée en 1981-1982 avec Dominique Mehl sur les cabinets ministériels (L'Elite rose, Ramsay, 1982) permet une comparaison sur le long terme.
En 2015, par rapport à l’époque mitterrandienne, le cabinet du président de la République comprend plus de membres, 44[1] contre 32: cette donnée ne surprendra personne, l’Etat n’a cessé d’étendre son emprise tous azimuts, le rôle du Président empiète sans cesse davantage sur l’activité gouvernementale, et la communication, érigée en art de gouverner, mobilise beaucoup plus de conseillers qu’en 1982. Songeons qu’à l’époque, nous avions ôté les «attachés de presse» de notre échantillon, «afin de retenir surtout les conseillers participant à la décision dans l’activité du cabinet»: pour cette raison Nathalie Duhamel, attachée de presse de François Mitterrand, avait disparu de notre écran-radar.
Une marque de fabrique du PS
D’autre part, figure aujourd’hui une proportion plus élevée de femmes, 29% contre 15%, ce dernier chiffre étant sensiblement le même dans tous les états-majors ministériels de 1982. La féminisation des hauteurs de la fonction publique et notamment de l’ENA (plus du tiers des recrutées), trouve ici son expression.
Autre différence: l’Elysée 2015 comprend davantage d’énarques qu’il y a trente-trois ans, 17 contre 8, soit une proportion de 38% contre 25%.
De plus, y figurent davantage de membre d’un corps prestigieux d’Etat[2] (23) qu’autrefois (12), soit 53% contre 37%.
Tous les travaux sur les cabinets ministériels insistent sur cette présence des hauts fonctionnaires engagés –soit dans des groupes d’expertise, comme aujourd’hui Constance Rivière, conseillère d’Etat qui a piloté le groupe des experts lors de la campagne de François Hollande en 2012, soit en suivant la carrière d’un responsable politique, comme Cyril Piquemal, énarque proche de Ségolène Royal, ou comme Philippe Vinçon, ingénieur des Eaux et Forêts dont la carrière a pris un tournant politique par sa nomination dans les cabinets des ministres de l’Agriculture de Lionel Jospin.
Ces profils incarnent la permanence d’un mode d’imbrication entre sphère partisane et sphère politico-administrative, une marque de fabrique du Parti socialiste: cette tendance que nous avions notée en 1982 a perduré bien au-delà, comme le soulignent les recherches de Frédéric Sawicki et Pierre Mathiot (Les membres des cabinets ministériels socialistes en France [1981-1993]: recrutement et reconversion, Revue française de Science politique n ° 1, 1999).
Un entourage de Président est toujours coloré par son itinéraire personnel. Outre des proches, François Mitterrand avait amené dans son sillage des hommes de lettres et des enseignants. François Hollande lui aussi a importé ses fidèles, comme Isabelle Sima, de longue date sa collaboratrice au PS, ou Bernard Combes, qui a détenu diverses fonctions politiques en Corrèze, mais son univers d’affinité, c’est de loin la haute fonction publique.
Enfin, le cabinet du président de la République est en moyenne plus âgé que celui de François Mitterrand en 1982 (34% de «moins de 39 ans» contre 40%), cénacle pourtant lui-même plus âgé que l’ensemble des conseillers de l’époque (59% de «moins de 39 ans»).
Comme tous les autres jeunes...
Cette moindre jeunesse relative nous ramène à l’article de Serge Raffy, biographe de François Hollande. L’article cible quelques trentenaires (Gaspard Gantzer, Constance Rivière, Boris Vallaud, Jean-Jacques Barberis), sans omettre de citer beaucoup d’autres conseillers plus âgés, et brosse une équipe présidentielle galvanisée par la génération Y: comme si cette dernière avait pris le pouvoir, au moins au niveau des symboles. Quel est ce souffle de modernité qui traverse l’Elysée?
D’abord ces jeunes fonctionnent à la frénésie numérique («il maîtrise parfaitement le monde de la télé numérique», «il tweete plus vite que son ombre», mène «Hollande 24 heures chrono», etc.) bref, ils font comme tous les autres jeunes de leur âge, et même quantité de vieux.
On n’est donc pas saisi de stupéfaction: l’original aurait été qu’ils s’enivrent de la lecture du Figaro papier, ou convoquent leur assistante patentée pour lui dicter leur courrier sur une Remington. Mais non.
On apprend aussi que ces jeunes sont des bourreaux de travail, sont «durs au mal», soumis «aux heures sup et pression», bref qu’ils bossent sans arrêt.
Autre information: ils tutoient le Président, partagent avec lui avec des plateaux-repas, il les écoute et prend des notes (il est «obsédé par le sort de la jeunesse française», c’est pourquoi il donne sa chance à cette nouvelle génération), mais souvent aussi il les tance, les oblige à revoir leur copie.
Bref, c’est une vraie famille qui régit la machine élyséenne, une famille qui colle à l’idéal type préconisé depuis quarante ans par les psychologues: chaleureuse et interactive, avec une autorité qui se manifeste aux moments opportuns.
On apprend aussi que ces jeunes sont des boute-en-train, toujours de bonne humeur, prêts à faire la fête, dotés de talents originaux (l’un est spécialiste de la soul music et du hip-hop, l’autre de rugby) et cuirassés d’un humour jamais pris en défaut –autrement dit, ils semblent des copies conformes du Président.
Le plus curieux n’est pas cet article en soi, mais plutôt la façon dont il s’emboîte avec des centaines d’articles qui décrivent ce même storytelling des premiers de la classe avec un enthousiasme respectueux, le Monde et le Figaro détenant la palme du Trombinoscope extatique.
Les problèmes posés par une élite monocorde
Les membres des cabinets ministériels sont dépeints par les journalistes selon une mythologie ritualisée: performants, bourreaux de travail, sérieux et pointus, pleins d’humour, avec des violons d’Ingres inattendus. Des têtes bien faites, avec ce je ne sais quoi d’esprit de répartie et de minuscule décalage qui signe l’élite à la française. L’uniformité absolue agrémentée d’une brindille de singularité, ce qui est sans doute proche de la vérité, mais qui mériterait alors une investigation approfondie (que pensent-ils vraiment?) et sûrement plus critique: une élite monocorde qui se resserre sur son pré carré peut-elle efficacement piloter une société soumise aux soubresauts de la globalisation, avec tant de changements culturels et économiques?
Comment ensuite dissiper l’image de la complicité entre monde des médias et monde du pouvoir? Comment opère en miroir ce stéréotype flatteur des super gagnants de la compétition scolaire face à des millions de jeunes dont le destin social, beaucoup moins prometteur, est déjà bien scellé à 20-30 ans, et dont beaucoup sont frappés d’un profond scepticisme à l’égard de la politique?
Visiblement, personne ne s’est posé ces questions à l’Elysée. Rien d’étonnant alors que ce reportage opère comme un boomerang. Dans quelques années, les conseillers qui n’y figurent pas s’en féliciteront. Même si le ridicule ne tue pas dans ces sphères stratosphériques, gageons que certains qui ont pris la pose pour la photo demanderont un jour à Google et autres «un droit à l’oubli numérique».
1 — Comme en 1982, je n’ai pas retenu les membres du cabinet militaire. La liste des membres du cabinet 2015 figure sur le site de l’Elysée. Retourner à l'article
2 — J’ai retenu: l’Inspection des finances, le Conseil d'Etat, la Cour des comptes, le corps diplomatique, la préfectorale, les administrateurs civils, la magistrature et d’autres corps comme l’Igas, les Eaux et Forêts, ou l’ENSAE. Bien entendu, une hiérarchie existe entre ces corps. Retourner à l'article