Culture

«A Love Supreme»: cinquante ans après, on est toujours amoureux du chef-d'œuvre de Coltrane

Temps de lecture : 3 min

Exploration en trois étapes de l'héritage d'un des plus célèbres albums de jazz de l'histoire.

Détail de la pochette de «A Love Supreme» de John Coltrane (Impulse, 1965). Photo: Bob Thiele.
Détail de la pochette de «A Love Supreme» de John Coltrane (Impulse, 1965). Photo: Bob Thiele.

Le motif de quatre notes est gravé dans la mémoire des mélomanes, de même que le titre répété comme un mantra: «A Love Supreme. A Love Supreme. A Love Supreme...» Il y a cinquante ans, en février 1965, sortait A Love Supreme de John Coltrane, un des albums les plus célébrés et les plus influents de l'histoire du jazz.

33 minutes de musique divisées en quatre morceaux et jouées seulement une fois en concert par leur auteur, en juillet 1965 à Antibes, mais qui constituèrent un temps fort de l'une des années les plus révolutionnaires de l'histoire de la musique, de Rubber Soul à My Generation en passant par les premiers grands tubes de James Brown et le virage électrique de Dylan. Retour en trois étapes –l'enregistrement, la signification, l'influence– sur ce disque dont l'anniversaire est célébré par les médias et les jazzmen du monde entier depuis plusieurs semaines déjà.

1.L'enregistrement – «Le jazz est un sport d'équipe, comme le basketball»

En attendant un documentaire filmé en cours de production, la radio britannique BBC 4 a consacré un documentaire de 30 minutes au disque, où le saxophoniste britannique Courtney Pine raconte sa genèse et la façon dont il a «parlé à toutes les générations, chacune y découvrant davantage de choses».

Le Cleveland Plain Dealer a également publié un intéressant récit de l'enregistrement du disque, le 9 décembre 1964 à Englewood Cliffs, dans le New Jersey. Le pianiste McCoy Tyner, qui faisait partie du quartette de Coltrane aux côtés du contrebassiste Jimmy Garrison et du batteur Elvin Jones, y a cette jolie comparaison:

«Je l'écoutais jouer quelque chose, ou Elvin ou Jimmy, et je répondais. Le jazz est un sport d'équipe, comme le basketball. Certaines personnes peuvent dunker, mais vous devez être capable de passer la balle à vos partenaires, comme ce type que vous avez chez vous, LeBron.»


Le magazine Inside Jersey a lui aussi consacré un long article à l'enregistrement du disque, interrogeant notamment l'ingénieur du son Rudy Van Gelder, le propriétaire du studio, qui souligne la dimension religieuse du lieu comme de l'album:

«Quand j'étais en train de construire ce nouveau studio, le voisinage n'avait aucune idée de quel type de structure il s'agissait. Au bout d'un moment, tout le monde s'est imaginé qu'il s'agissait d'une église. [...] Son apparence et son atmosphère étaient ceux d'une église. Rétrospectivement, quand je me rends compte de la direction que prenait sa musique, je réalise qu'elle avait un aspect sacré qui collait parfaitement avec l'atmosphère du nouveau studio.»

2.La signification – Faut-il entendre «Allah Supreme»?


Cette dimension religieuse est d'ailleurs au cœur d'une chronique publiée sur al-Jazeera par l'universitaire Hisham Aidi sous le titre «Coltrane disait-il "Allah Supreme"?»: «L'analyse habituelle est que, en 1964, Coltrane s'était éloigné de son éducation méthodiste pour adopter une vision "pan-religieuse" marquée par un intérêt particulier pour le mysticisme oriental.»

Le saxophoniste Yusef Lateef, qui a travaillé avec Coltrane, a noté que la prière écrite pour Psalm, le dernier morceau du disque, par le saxophoniste, qui était marié à une musulmane pratiquante, se rapproche de al-Fatiha, la sourate d'ouverture du Coran. D'autres observateurs ont pointé que le mantra «A Love Supreme», récité dans le premier morceau Acknowledgement, pouvait s'entendre comme «Allah Supreme».

Ce croisement entre la culture chrétienne (il existe une église orthodoxe au nom de Coltrane à San Francisco) et musulmane est d'ailleurs celui qui marquait le mouvement noir à l'époque: comme le notait récemment Salon, des échos du message de Martin Luther King (de confession baptiste) peuvent être entendus dans le disque, qui est sorti le mois où Malcom X (converti au sunnisme) est mort assassiné.

3.L'influence – «Je connais des gens qui ont conçu leurs enfants au son de A Love Supreme»

L'écho du saxophone de A Love Supreme ne cesse de se faire entendre aujourd'hui, chez les musiciens comme chez les mélomanes: «Je connais des gens qui ont conçu leurs enfants au son de A Love Supreme. Je connais des gens qui ont écrit leur thèse de doctorat au son de A Love Supreme. Je connais des gens qui marquent les étapes les plus importantes de leur vie au son de A Love Supreme», a expliqué au site de la radio bostonienne WBUR l'universitaire et jazzman Leonard Brown.


Et puisqu'on parle d'enfants, on trouve, parmi les nombreux musiciens qui ont tenté de recréer la magie du disque sur scène ces dernières semaines, Ravi Coltrane, le propre fils de John, né huit mois après l'enregistrement de A Love Supreme. «Pour nous, c'est de la musique sacrée», a-t-il expliqué à Newsweek, son collègue saxophoniste Joe Lovano ajoutant que les deux hommes avaient été tellement intimidés par la puissance de l'album qu'ils n'avaient même pas osé répéter les mots de la prière que récitait Coltrane.

Newsletters

«Los Reyes del mundo», fantastique et réaliste

«Los Reyes del mundo», fantastique et réaliste

Le film de Laura Mora accompagne avec vigueur et inventivité le voyage de jeunes gens lancés dans une quête vitale qui leur fait traverser leur pays, la Colombie marquée par la violence et la misère.

Les reels d'Instagram, un sous-TikTok de l'enfer

Les reels d'Instagram, un sous-TikTok de l'enfer

Le pire mode de voyage dans le temps –et surtout le plus con.

«Sept hivers à Téhéran», les saisons de l'injustice

«Sept hivers à Téhéran», les saisons de l'injustice

Grâce au montage d'éléments très variés, le documentaire de Steffi Niederzoll devient récit à suspens doublé d'un bouleversant réquisitoire contre un État répressif et misogyne.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio