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Pourquoi Barack Obama ne dit pas «islam radical», «islamiste» ou «djihadiste»

Temps de lecture : 3 min

Le choix de vocabulaire correspond à des choix politiques.

Barack Obama le 9 février 2015. REUTERS/Kevin Lamarque
Barack Obama le 9 février 2015. REUTERS/Kevin Lamarque

Dans son discours du 13 janvier à l'Assemblée nationale, le Premier ministre Manuel Valls avait déclaré: «Il faut toujours dire les choses clairement: oui, la France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l'islamisme radical

Aux Etats-Unis, le président américain dit les choses autrement: pour parler des attentats contre Charlie Hebdo et Hyper Cacher, Barack Obama et son secrétaire d'Etat John Kerry parlent d'extrémisme violent et de terrorisme, mais pas de djihadisme, ni d'islamisme ou d'islam radical.

Le 13 janvier, une journaliste de la radio NPR avait demandé au porte-parole de la Maison Blanche pourquoi le président avait fait ce choix sémantique. Josh Earnest avait répondu:

«Ces individus sont des terroristes. Ils ont essayé d'invoquer leur interprétation pervertie et déformée de l'islam pour tenter de justifier leurs actes.»

La position défendue à plusieurs reprises par la Maison Blanche est que les terroristes utilisent la religion dans leur justification de la violence, mais que, comme il s'agit d'une vision déformée de la religion, ce serait tomber dans leur piège que de lier ces actes à la religion en parlant d'islamisme, de djihadisme ou d'islam radical.

Josh Earnest a résumé:

«Nous ne voulons pas être dans une situation où nous donnons de la légitimité à leur justification illégitime de cette violence.»

En 2010, l'actuel président de la CIA John Brennan tenait des propos similaires:

«Nous ne décrivons pas nos ennemis comme des djihadistes ou des islamistes car le djihad est un combat sacré, un principe légitime de l'islam, qui signifie se purifier ou purifier sa communauté, et il n'y a rien de sacré ou de légitime dans le fait de tuer des hommes, femmes et enfants innocents.»

Lors de son discours sur l'état de l'Union le 20 janvier, le président américain a ainsi dénoncé l'Etat islamique (en le désignant par l'acronyme américain ISIL, et non en disant «Etat islamique») et les attentats de Paris sans prononcer les mots islam radical ou islamisme, ce qui lui a valu de nombreuses critiques.

Un journaliste de CNN lui a récemment demandé pourquoi il ne disait pas ces mots et Obama a répondu:

«Nous sommes tous d'accord pour dire que ce problème a des racines dans des communautés musulmanes. Mais dans ce combat, je pense qu'il est important de prendre en compte le fait que l'immense majorité des musulmans rejette cette idéologie.»

Beaucoup d'observateurs rétorquent qu'ils sont d'accord pour dire que l'immense majorité des musulmans rejette cette idéologie, mais qu'il ne faut pas pour autant s'empêcher de dire que de nombreux terroristes ont quelque chose en commun: «Ils sont motivés par une interprétation stricte, littérale et puritaine de l'islam», comme l'expliquait le professeur de relations internationales Jeffrey Bale, interviewé par le journal canadien La Presse.

Au-delà de la volonté de ne pas faire d'amalgames entre islam et terrorisme, un article de Bloomberg View explique que ce choix des mots correspond aux alliances stratégiques des Etats-Unis. Le journaliste Eli Lake écrit que dans la guerre contre les terroristes «musulmans radicaux», les Etats-Unis ont besoin du soutien de nombreux pays «musulmans radicaux», comme l'Arabie Saoudite.

Il cite un expert de la CIA qui explique qu'après le 11-Septembre, l'administration Bush avait bien compris que même si l'idéologie rigoriste du wahhabisme avait inspiré al-Qaida, de nombreux soutiens du wahhabisme n'étaient pas en faveur d'attaques contre l'occident, et étaient, comme dans le cas de l'Arabie saoudite, des alliés contre le terorrisme.

Dire qu'on est en guerre contre l'islamisme radical est donc techniquement faux, lorsqu'on a des alliés comme les Saoudiens... Un raisonnement que l'on pourrait appliquer à la France, qui est alliée du Qatar, également un pays où règne l'islamisme wahhabite.

Contrairement à ce que laissent penser les conservateurs américains qui critiquent le choix sémantique d'Obama, Eli Lake rappelle que cette politique langagière était déjà en vigueur sous George W. Bush, qui préférait des termes généraux comme «guerre contre le mal», et évitait de parler d'islam radical.

Au sein du gouvernement français, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, logiquement plus sensible aux questions d'alliances diplomatiques, a une position similaire à celle de la Maison Blanche. Peu après les attentats de Paris, il avait déclaré:

«Je pense que l'expression islamiste[...] n'est probablement pas celle qu'il faut utiliser. J'appelle ça des terroristes. Parce que dès lors que vous utilisez le mot islam, vous favorisez une espèce de vision de continuité entre le musulman, qui pratique sa religion qui est une religion de paix, et puis quelque chose qui serait une certaine interprétation de la religion musulmane.»

Dans le même ordre d'idées, François Hollande prend soin de ne pas désigner l'organisation «Etat islamique» par ces termes mais d'utiliser l'acronyme arabe Daech.

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