France

Apologie du terrorisme, la justice doit protéger les mineurs

Temps de lecture : 7 min

Depuis l'attentat contre Charlie Hebdo, plusieurs enfants et adolescents ont été entendus pour «apologie du terrorisme», après des propos tenus dans la rue ou en classe. Mais la justice des mineurs se veut éducative, loin des comparutions immédiates qui s'enchaînent pour les adultes.

Rentrée des classes à Denain, le 3 septembre 2013. REUTERS/Pascal Rossignol (Photo d'illustration)
Rentrée des classes à Denain, le 3 septembre 2013. REUTERS/Pascal Rossignol (Photo d'illustration)

Depuis novembre 2014, provoquer ou faire l’apologie d’actes de terrorisme est un délit au regard du Code pénal, alors qu’auparavant ce délit était associé à la loi sur la liberté de la presse. Et le 12 janvier dernier, à la suite de l’attentat contre Charlie Hebdo et de la prise d’otages porte de Vincennes, le ministère de la Justice a diffusé des consignes en direction des magistrats du parquet (qui décident si oui ou non l’affaire va devant la justice) en parlant de «systématisme» et «d’application ferme de la loi». Un systématisme qui soulève des questions telles qu’Amnesty International s’est fendue d’un communiqué pour s’inquiéter des excès de la justice française.

S’en sont suivies des procédures judiciaires à la pelle, avec entre le 7 et le 22 janvier 117 procédures pour «apologie du terrorisme» et «provocation à la haine raciale». Une ampleur qui s’explique –entre autres– par les nombreuses comparutions immédiates, comme nous l’expliquions dans un article revenant sur la logique judiciaire enclenchée dans les cas d’«apologie du terrorisme».

Parmi les inquiétudes, certaines touchent les mineurs, dont plusieurs ont été interpellés pour des propos tenus dans la rue ou en classe. Voici quelques exemples:

«La jeune fille a pris le tramway, lundi, avec deux sœurs et une amie, à Nantes. Des contrôleurs de la Semitan sont montés dans le tram. Ils ont demandé à ces quatre jeunes femmes de présenter leur titre de transport. Le contrôle s’est mal passé: l’une des sœurs a outragé les agents et les a menacés de mort. A cet instant, l’une des adolescentes a répliqué, sur un ton menaçant, en direction des contrôleurs: "On est les sœurs Kouachi, on va sortir les kalachnikov".»

L’article précise qu’une mesure de réparation a été décidée.

«"Je vais prendre une Kalach et aller dans les rues de Bastia", a par exemple déclaré, en cours, un lycéen corse de 17 ans. Des paroles qui valent à ces deux mineurs, parmi d’autres à Nice ou Lons-le-Saulnier d'être poursuivis devant la justice pour apologie du terrorisme.»

  • A Serris, rapporté par Le Parisien du 22 janvier:

«Quatre adolescents ont été interpelés à Serris (Seine-et-Marne) suite à des propos publiés sur Facebook».

Elle raconte l’histoire d’un enfant de 14 ans qui a déclaré «ils ont eu raison» pendant un débat lancé par le prof, au lendemain de la minute de silence effectuée en classe (qu'il a respectée). Un enfant contre qui le principal du collège, une fois l’exclusion temporaire décidée, une fois le conseil de discipline programmé, a porté plainte. L’enfant qui, comme le précise l’auteure du témoignage, vient d’une famille sans problème et n’a pas d’antécédents, a même été menotté, mis en garde à vue avant de passer devant le juge des enfants...

Autre histoire, qui nous est racontée par Guillaume* enseignant dans un collège d’un quartier «plutôt populaire» de banlieue parisienne. Elle concerne deux de ses élèves qui auraient tenu des propos relevant d’apologie d’acte de terrorisme. Des propos relevant d’après lui de la pure provocation.

«Des mesures pour dire que le collège est tenu»

Là aussi, un signalement a été déposé au commissariat après les sanctions scolaires «classiques» (convocations dans le bureau du CPE, puis du principal, mesures conservatoires c’est-à-dire exclusions temporaires). Et un élève de 14 ans s’est retrouvé en garde à vue. Guillaume s’interroge sur le comportement du principal du collège:

«Il a décidé de mesures très dures pour rassurer les familles et pour communiquer sur le fait qu’il prend les choses en main, que le collège est tenu.»

Avec un contexte scolaire dans lequel les établissements sont jugés et parfois évités sur leur réputation, certains principaux n’hésiteront pas à agir vite et fort. Et la machine s’emballe: CPE, principal, exclusion, garde à vue, tribunal.

Guillaume s’effraie de l’absurdité de la situation et des conséquences sur les élèves:

«Depuis toujours, les élèves balancent des horreurs. Des trucs racistes, sexistes, j’en ai entendu des tonnes depuis que j’enseigne. Et j’interviens, je démonte, je discute et je convainc les enfants. Mais en l’occurrence, aujourd’hui, ces lourdes sanctions sont totalement inédites et inattendues. Il faut bien comprendre que certains élèves ne contrôlent pas leur langage, pas plus aujourd’hui qu’hier [...] Je trouve que les placer en garde à vue, pour des propos certes choquants mais qui restent des paroles, c’est totalement disproportionné et ce n’est pas éducatif! Comment leur parler de République, de démocratie et d’Etat de droit après tout cela? Je suis bouleversé par ce qui arrive à ces gamins. J’ai parlé à mon élève, c’est ce qu’on appelle une grande gueule, il a refusé d’évoquer ce qui s’est passé pendant sa garde à vue, il est dévasté.»

Il est aisé de préconiser la tolérance zéro, mais évalue-t-on bien le choc que peut constituer le fait de se retrouver en garde à vue à 14 ans? Est-ce productif pour la société? Qui cherche-t-on à réconforter, à part Christian Estrosi qui commente ainsi la garde à vue, que nous avons évoquée plus haut, du petit garçon de 8 ans:

Les anciens juges se veulent rassurants

Et le passage devant un juge n’est-il pas parfois totalement disproportionné? Nous avons posé la question à des juges pour enfants.

Des juges qui se montrent... rassurants. La première chose que nous rappelle Marie-Pierre Hourcade, présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille et conseillère près la cour d’appel de Paris, c’est que la justice des mineurs est une juridiction bien particulière, régie par l’ordonnance de 1945. La magistrate fait confiance au discernement du parquet quant à l’opportunité des poursuites. Et, plus encore, elle fait confiance aux juges:

«C’est au parquet d’apprécier la gravité des faits. La justice ne sera pas systématiquement saisie. Le rôle du juge, c’est de rappeler la loi. On n’enverra pas de mineurs en prison. Le juge va essayer de comprendre de quel mineur il s’agit, un jeune suiviste ou déjà engagé dans un mouvement radical. Le juge convoque aussi les familles, c’est une bonne chose. Quoi qu’il arrive, il reste dans le cadre légal qui est le sien. Ensuite il faudra que les mesures de réparation soient mises en place et que les éducateurs soient vigilants dans ce suivi.»

Martine de Maximy, magistrat honoraire, ancienne juge des enfants, ancienne présidente de la cour d’assises de Paris, en profite pour rappeler le sens de la justice des mineurs:

«Les sanctions doivent être adaptées à l’âge, au milieu familial, au niveau de réflexion du jeune. C’est toujours du cas par cas.»

Et des cas épineux, la juge en a rencontrés dans sa carrière. Par exemple, un jeune néonazi dont la chambre était décorée avec des croix gammées et des portraits d’Hitler:

«Ce garçon était dans la provocation totale. Il a fait l’objet d’une mesure éducative. Un éducateur s’occupait de lui, une grande partie de sa tâche consistait à rétablir le dialogue. Il a fallu un suivi long, c'est-à-dire sur deux ans. Il faut faire parler les jeunes et leur demander de produire une pensée ou d’écrire à une victime. C’est loin d’être inintéressant: on fait appel à l’intelligence. En l’occurrence cela a marché.»

Ce qui compte ce n'est pas la sanction, c'est l'éducation

Ce qui compte donc au yeux de cette justice, ce n’est pas la sanction, c’est l’éducation. Martine de Maximy souligne aussi que la justice des mineurs sert à les protéger d’eux-mêmes et à préparer le futur:

«La confrontation à la loi, c’est éducatif en soi. Il s’agit pour la société de rappeler clairement et fermement ce qui est permis ou non. Cela a du sens avec les adolescents. On ne parle jamais du travail que nous menons avec les jeunes pour lesquels des peines éducatives sont prononcées. Pourtant, il porte souvent ses fruits. Nous mettons par exemple des mesures dans des associations, assorties d’un travail pour la collectivité ou auprès des personnes en difficulté. Notre objectif étant d’amener le mineur à considérer "l’autre". C’est aussi l’occasion pour la société de rencontrer ces jeunes, de les prendre en compte. Et l’inverse est vrai. Le but premier n’est pas à nos yeux de sanctionner ces adolescents mais de faire en sorte qu’ils se sentent faire partie de notre société.»

L’avocat blogueur Maître Eolas, qui évoque une «folie qui frappe aveuglément» les prévenus qui passent en comparution immédiate pour des propos d’apologie d’actes de terrorisme, voit dans la justice des mineurs presque comme un modèle:

«Je rends grâce à l’ordonnance de 1945 qui encadre la justice des enfants et surtout, surtout, les protège. Dans ce système il n’y a pas de comparution immédiate (mais les procédures peuvent être accélérée, NDLR), on prend le temps de connaître qui sont les personnes, de les comprendre. Pour moi, ce régime et ses garanties procédurales mettent actuellement les mineurs à l’abri de l’hystérie collective.»

Un rappel du fait que la justice des mineurs est éducative, et qu’elle reste éducative quand l’école et la police disjonctent et répondent de manière totalement disproportionnée à des propos d’enfants.

* — Prénom modifié. Retourner à l'article

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