France / Monde

Résister à la panique, c'est faire échouer le terrorisme

Temps de lecture : 3 min

Selon la journaliste américaine Anne Applebaum, les Européens ne doivent pas surestimer la nouveauté des attentats qui les frappent, ni surréagir en multipliant les mesures d'exception.

Keep Calm and Charlie On (via Wikimedia Commons).
Keep Calm and Charlie On (via Wikimedia Commons).

Depuis le meurtre de dix-sept personnes à Paris il y a presque trois semaines –dessinateurs, policiers, clients d’une épicerie juive–, un bon nombre de pays européens appellent à la mise en œuvre de contre-mesures visant à combattre le terrorisme. Manuel Valls a annoncé le lancement de toute une série de nouvelles politiques. Les Britanniques veulent mettre en place des bases de données pour surveiller les déplacements en Europe et au-dehors. Lors de réunions d’urgence, les représentants européens ont discuté de ce qu’un journal britannique a qualifié de «nouvelle ère de surveillance des voyages».

Mais avant d’adopter l’un ou l’autre de ces projets, il faut absolument s’interroger sur un sujet bien différent: le massacre à Charlie Hebdo représente-t-il vraiment quelque chose de nouveau?

En posant cette question, je n’entends en rien atténuer l’horreur des événements. Il y a quelque chose de particulièrement grotesque à assassiner des gens qui dessinent pour vivre et la chasse à l’homme qui s’est ensuivie fut terrifiante. Une de mes amies parisienne a passé la journée enfermée dans son appartement à appeler le reste de sa famille pour s’assurer qu’ils étaient bien chez eux.

Ce n’était pourtant pas la première fois qu’une telle chose se produisait en France ou en Europe. Les attentats dans le métro de Londres en 2005 ont été bien plus mortels et ses auteurs étaient bien mieux préparés que ceux de Charlie Hebdo, qui ont commencé par se tromper d’adresse. En 2004, les bombes posées dans les trains de banlieue de Madrid s’inscrivaient dans une attaque coordonnée et soigneusement préparée. En 2012 à Toulouse, Mohamed Merah s’en était pris à des policiers et à des enfants juifs, incitant les Français à fermer les rues devant les écoles juives.

L’Europe a déjà survécu à d'autres formes de terrorisme. L’Irish Republican Army (IRA) a tué plus de 2.000 personnes en trente ans. Dans les années 1960 et 1970, les Brigades rouges italiennes ont signé des milliers d’attentats, de meurtres et d’enlèvements. A l’automne 1977, la Fraction armée rouge a fait des ravages en menant une campagne de terreur en Allemagne. Certes, ces groupes étaient animés par une idéologie bien différente, mais ils avaient davantage de points communs avec les djihadistes actuels que vous ne le pensez. A l’instar de la génération actuelle de terroristes, presque tous recevaient aide et formations de l’étranger: pas de Syrie mais de Cuba, de Libye et d’Union soviétique. L’IRA recevait des pains de plastic de la Tchécoslovaquie communiste. La Fraction armée rouge collaborait avec les Palestiniens.

Le fait que la nouvelle vague de terroristes français soit islamiste –chacun se réclamant d’une branche différente d’al-Qaida, ce qui ne simplifie pas les choses– ne signifie pas que leurs tactiques soient différentes. Au contraire, ils ont quelque chose de classiquement anarchiste, de XIXe siècle même. Pensez à l’objectif des terroristes de Paris: ils voulaient faire des ravages, déstabiliser l’ordre établi, exacerber les divisions sociales, détruire le système. Des objectifs fort peu différents de ceux de Gavrilo Princip, l’homme qui abattit l’archiduc François-Ferdinand et déclencha une guerre mondiale.

C’est bien pour cela que la première réaction spontanée des Français –l’immense marche d’unité nationale qui s’est tenue dans tout le pays– fut la meilleure possible. Des gens qui manifestent pour défendre les valeurs de leur pays ne se laissent pas intimider ou diviser par la violence nihiliste. Si de nombreux articles ont prédit une augmentation du soutien à l’extrême droite française, il est également possible que les marches aident François Hollande, ne serait-ce que parce qu’il représente l’Etat français. Peu importent les chefs d’Etat étrangers qui sont venus (ou pas), ce qui compte c’est que les Français soient, eux, sortis marcher, y compris les musulmans français. Sous cet angle, les terroristes ont échoué parce qu’ils n’ont pas réussi à détruire le système.

En revanche, si les Français devaient adopter toute une flopée de nouvelles restrictions, changer leur politique étrangère, gaspiller de gigantesques sommes en «sécurité nationale» ou créer de nouvelles instances qui ne riment à rien du style de la Transportation Security Administration américaine, aussi inutile que chronophage, alors les terroristes auront atteint certains de leurs objectifs. Les Européens ont besoin de services de police et de contre-espionnage efficaces. Peut-être leur faut-il davantage d’argent et de personnel, mais les institutions susceptibles de stimuler ces efforts existent déjà. J’ai récemment entendu un responsable de la sécurité britannique citer une longue liste de complots terroristes désamorcés. Et la police belge en a déjoué un autre le 16 janvier.

Il est inévitable que de temps à autre, les autorités en ratent un. Cela n’a rien de surprenant, puisque par définition, les actes d’extrémistes sont difficiles à prévoir: les auteurs de ces attentats ne sont pas seulement pétris d’idéologie, ce sont aussi des sociopathes suicidaires. Quoi qu’il en soit, le risque de se faire tuer dans l’explosion d’une bombe d’origine terroriste reste moindre que celui de se faire renverser par une voiture en traversant la rue.

Au final, le terrorisme ne fonctionne que s’il provoque la terreur. Une réaction excessive est précisément ce que cherchent les djihadistes. Nous devons leur refuser ce plaisir en reprenant une vie normale le plus tôt possible.

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