France

Manifestations pour Charlie Hebdo: A chaque moment historique son Delacroix?

Temps de lecture : 3 min

Comme encore ce dimanche, avec plusieurs clichés rappelant «La liberté guidant le peuple».

Photographie de Stéphane Mahé / REUTERS - Montage Slate.fr
Photographie de Stéphane Mahé / REUTERS - Montage Slate.fr

Ce sont deux photographies semblables. Nous sommes place de la Nation à Paris. Une foule fière, drapeau à la main, jonche la statue du Triomphe de la République. Nous sommes le 11 janvier 2015 et la France manifeste.

La première de ces images est de Stéphane Mahé, photographe de l'agence Reuters. Elle est largement partagée par les internautes le soir même de la manifestation. Lundi matin, elle fait la Une de plusieurs titres (Le Monde, The Times, La Libre Belgique...), dans le monde entier.

La seconde a été prise par Martin Argyroglo, photographe indépendant. Mais elle n'émerge que le lendemain. Presque au même endroit avec un cadrage similaire, elle a été prise plus tard dans la soirée.

Pour France TV Info, Stéphane Mahé explique:

«Je suis arrivé vers 17 heures, la lumière était très douce. J'ai dû rester trois quarts d'heure, j'ai tourné autour de la statue en attendant que la photographie se compose, en rassemblant différents éléments... le crayon, le drapeau français, la statue. C'est rentré dans l'image.»

Comme il l'énonce lui-même, le photographe a «attend[u]» que les principaux élements fassent partie de l'image avant de déclencher: le symbole de la République (la statue), le rassemblement, le drapeau, et pour ce cas précis le crayon.

«Composée comme une proue de navire fendant les flots, cette photographie fournit une synthèse visuelle parfaite de la vision républicaine de la réponse à l'attentat, aussi chargée symboliquement qu'un discours politique ou une peinture d'histoire», constate André Gunthert, chercheur en histoire culturelle et en études visuelles et blogueur sur L'image sociale.

Allégories

Ces deux photographies fonctionnent comme des allégories. Ces représentations convoquent d'autres images de notre imagerie collective, qui plus est symboliques, comme La liberté guidant le peuple, ce tableau d'Eugène Delacroix qui illustre Les Trois Glorieuses, la révolution du 27, 28 et 29 juillet 1830. Certains sites/internautes ont même rebaptisé la première image «Le crayon guidant le peuple».

Le même montage a été effectué avec la seconde image qui reprend les mêmes codes.

Les uns brandissent les armes, les autres le crayon. Marianne, dans les trois cas, surplombe chaque individu dans une structure pyramidale. Le spectateur se trouve en position inférieure par rapport à la scène. Enfin, les atmopshères sont similaires (les nuages/les fumigènes, le soleil couchant).

D'autres photographes ont fait les mêmes images.

Manifestation à Paris, le 11 janvier 2015 - © Corentin Fohlen/Divergence

«Le retour de cette perspective montre son caractère emblématique, tranchant parmi une manifestation qui manquait un peu de symboles visuels», continue André Gunthert.

Les manifestations elles-mêmes, par leur importance, sont devenues symboliques. En quelques heures, ce potentiel contenu également dans les images de Stéphane Mahé et Martin Argyroglo a été surdéveloppé au détriment de leur valeur informative. On a cherché, en une image, à condenser l'évenement (d'où leurs utilisations par les éditeurs photo en Une de différents titres).

Icônes

La photographie de presse a recourt à cette symbolique très régulièrement.

Comme le 30 avril 2002 en Une de Libération, au lendemain du premier tour des élections présidentielles.

Ou pour illustrer un article du Figaro.fr sur Léonarda Dibrani, en 2013.

On a aussi parlé à posteriori de «Marianne» pour la fameuse photographie de Jean-Pierre Rey, prise le 13 mai 1968 place Edmond Rostand. Cette image est ensuite devenue une sorte d'icône de mai 68.

Beaucoup n'hésitent pas à parler déjà des images de Stéphane Mahé et Martin Argyroglo comme de «photographies icôniques». C'est oublier que la viralité d'une image au lendemain d'un évenement n'est pas suffisante.

Le processus d'icônisation dépend de la vitesse et du nombre de publications (viralité sur les réseaux sociaux, Une de journaux et de magazines...). La première image provient de l'agence Reuters, ce qui lui garantit une plus large diffusion –au moins dans la presse–, à la différence de la seconde vendue en excluvité papier et numérique à L'Obs qui en fait sa couverture mercredi.

Un récit prend ensuite forme autour de chaque image. Elles ne deviennent réellement icôniques que si leur circulation n'est pas interrompue et qu'elles ressortent lors d'évemenents comme les commémorations, les remises de prix (World Press Photo par exemple)... etc.

Ni la valeur symbolique d'une image, ni sa ressemblance avec un tableau ne sont suffisantes pour en faire des icônes.

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