Tandis que les représentants politiques et les commentateurs tendent à pencher pour la théorie selon laquelle les auteurs de la tuerie du mercredi 7 janvier dans les locaux de Charlie Hebdo n’ont pu agir qu’avec le soutien d’une importante organisation terroriste, aucun groupe ne l’a revendiquée. Cela accréditerait-il la thèse selon laquelle les tireurs étaient des loups solitaires, opérant seuls?
Certainement pas. Déjà, parce que l’attentat a eu lieu avant-hier. Les tireurs sont pour l’instant introuvables et il n’est pas rare de voir des groupes attendre avant de revendiquer une action majeure. Comme l’évoquait Foreign Policy après les attentats de Boston en 2013, Oussama ben Laden avait attendu près de deux mois avant de revendiquer les attentats du 11 septembre. Et comme mon collègue Brian Palmer l’avait fait remarquer lors des spéculations entourant la disparition du vol 370 de la Malaysia Airlines, seules 14% des attaques terroristes sont revendiquées.
Les groupes islamistes, responsables de la majorité des attaques terroristes dans le monde ces dernières années, ont moins tendance à revendiquer des attentats que des groupes nationalistes, d’extrême droite ou d’extrême gauche, car ils cherchent généralement moins à obtenir des concessions de leurs adversaires qu’à les détruire. «Les attentats non revendiqués sont souvent considérés comme l’indication que des groupes ne cherchent pas à obtenir un soutien en profondeur de leur mouvement et qu’ils sont rétifs à tout compromis politique» écrivait, dans un article pour le Journal of Peace Research, le politologue Aaron Hoffman.
Malgré tout, si un groupe terroriste international est derrière cette attaque, il est assez probable que nous finirons par entendre parler de lui. Dans un article présenté devant l’American Political Science Association lors de son dernier colloque l’an dernier, le politologue Eric Min, de Stanford, avait désigné plusieurs facteurs qui poussaient des groupes terroristes à revendiquer un attentat. Les revendications, affirmait-il, se produisent le plus souvent «quand le bilan humain est lourd (suicide et pertes), face à des Etats pourvus d’une Constitution contraignante (démocraties) et dans un environnement compétitif».
La France est une démocratie et l’attentat a été meurtrier, mais c’est bien le troisième facteur qui pourrait être déterminant. Les groupes terroristes ont davantage tendance à revendiquer des attentats quand ils sont en compétition avec d’autres groupes terroristes. Dans certains cas, cela peut aboutir à des revendications multiples. Au mois de novembre dernier, au moins trois groupes de jihadistes pakistanais ont ainsi revendiqué un attentat à la bombe ayant tué près de 60 personnes près de la frontière entre l’Inde et le Pakistan.
A l’heure actuelle, al-Qaida est en compétition avec l’organisation Etat islamique sur les champs de bataille de Syrie pour tenter d’obtenir la loyauté des groupes djihadistes autour du monde et sur les recrues –dont les jeunes musulmans désabusés vivant en Occident, comme les suspects de la tuerie de Charlie Hebdo. Un certain délai dans la revendication correspondrait assez aux méthodes d’al-Qaida dans la Péninsule arabique, le sous-groupe que les responsables français et américains ont désigné comme les commanditaires les plus probables. AQPA avait attendu plusieurs jours avant de revendiquer l’attentat de Fort Hood et la tentative d’attentat à la chaussure piégée de Noël 2009, les opérations les plus célèbres perpétrées par le groupe en Occident.
Et si al-Qaida est effectivement impliqué dans une opération aussi spectaculaire contre un adversaire haï de longue date, il est probable qu’il fera en sorte que ce soit lui –et pas l’Etat islamique– qui le revendique.