Culture / Monde

Le blasphème, provocation inutile ou pratique essentielle à la démocratie? Aux Etats-Unis, l'attentat contre Charlie Hebdo relance le débat

Temps de lecture : 2 min

REUTERS/Régis Duvignau.
REUTERS/Régis Duvignau.

Après l'attentat contre Charlie Hebdo, les journalistes et intellectuels américains s'accordent pour défendre le droit au blasphème, mais certains se posent la question de l'intérêt d'utiliser ce droit à la manière du journal satirique français.

Pour le journaliste Matthew Yglesias dans Vox, on peut condamner la barbarie de l'attaque contre l'hebdomadaire tout en jugeant que ses dessins satiriques étaient des provocations islamophobes. Dans son article, Yglesias explique qu'il n'est pas tout à fait à l'aise avec l'idée que des caricatures vulgaires de Mahomet soient devenues les symboles absolus de la liberté d'expression. L'attentat contre le journal le place dans une situation où il est en quelque sorte contraint de «louer le courage de dessins scabreux et offensants». Il souligne aussi l'importance des dynamiques en jeu vis-à-vis des musulmans européens:

«Ces images moqueuses et blasphématoires peuvent causer de la souffrance dans ces communautés marginalisées. Faire de ces images le symbole même de la liberté n'améliorera pas la situation.»

Dans Slate.com, Jordan Weissmann souligne aussi la nécessité de critiquer ces dessins –dont certains sont selon lui «puérils et racistes»– tout en rendant hommage au courage de leurs auteurs. Pour lui, il est important de faire la différence entre une oeuvre critique de l'islam comme Les Versets sataniques de Salman Rushdie et des caricatures insultantes. C'est d'ailleurs en suivant ce type de distinction que de nombreux médias américains ont préféré flouter les dessins de Charlie Hebdo sur l'islam («Nous ne publions pas d'images intentionnellement créées pour heurter les sensibilités religieuses», avait-expliqué le New York Times).

Dans le New York Magazine, Jonathan Chait rétorque à l'inverse que ce genre de position revient en fait à nier le droit au blasphème. En effet, si l'on ne soutient pas la possibilité de publier ce genre de dessins –même de mauvais goût, même dans un contexte où on sait que leur diffusion va mettre le feu aux poudres–, alors le droit au blasphème est réduit à néant. «On ne peut pas défendre le droit sans défendre la pratique», résume-t-il.

Ironiquement, c'est le chroniqueur conservateur du New York Times Ross Douthat qui a émergé comme le principal défenseur américain de Charlie Hebdo et du blasphème. Pour lui, s'il y a bien un type de blasphème à défendre, c'est particulièrement celui qui était pratiqué par Charb et ses collègues:

«Si un groupe important de gens est prêt à vous tuer parce que vous avez dit quelque chose, il est alors presque certain que ce quelque chose doit être dit, parce que sinon, les personnes violentes ont un droit de veto sur la civilisation démocratique, et si elles gagnent ce droit, il n'y a plus de civilisation démocratique.»

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