France

Charlie Hebdo: quand va-t-on arrêter de demander aux musulmans de se désolidariser d’un acte terroriste?

Temps de lecture : 4 min

Quelques heures à peine après la tuerie au siège parisien du journal satirique, plusieurs personnalités ont demandé aux musulmans de «se désolidariser» de l'attentat. Une requête qui heurte beaucoup de gens.

Place de la République à Paris, le 7 janvier 2015 | Sarah Valente
Place de la République à Paris, le 7 janvier 2015 | Sarah Valente

Les premiers éléments de l’enquête sur l’attaque du 7 janvier contre Charlie Hebdo à Paris incriminent deux jeunes Français, les frères Kouachi, décrits comme deux islamistes dont l'un a été condamné par le passé pour son engagement dans le djihad en Irak.

Dans les médias, des personnalités, des proches des victimes, des politiques et des représentants du culte musulman ont vite pris la parole pour faire part de leur émotion et de leur effroi. Certains sont allés plus loin et en ont appelé à la communauté musulmane pour lui demander de se «désolidariser» des deux personnes soupçonnées d'être les auteurs de l'attentat. Par exemple, Philippe Val, ancien directeur de Charlie Hebdo qui témoignait sur France Inter jeudi matin, a déclaré:

«Les Anglais ont trouvé une belle formule, ils ont dit "Not In My Name", je pense qu'il faudrait qu'on entende ça en France.»

Il faisait référence à un mouvement, #NotInMyName («pas en mon nom»), lancé par des Britanniques musulmans sur les réseaux sociaux, pour dénoncer les décapitations perpétrées par un membre britannique du groupe terroriste Etat islamique en septembre 2014.

Nous mêmes sur Slate, à la suite de cet appel, nous avions publié un article de l’un de nos contributeurs, Jean-Marc Proust, qui proposait avec humour aux musulmans de «faire des journées portes ouvertes dans les mosquées, [tracter] dans les marchés en distribuant des pâtisseries, [porter] un tee-shirt avec "Je vais à la mosquée et je ne mords pas" ou bien "50 vierges, non merci, je préfère ma copine délurée"».

Après l'attentat perpétré contre Charlie Hebdo, ces appels se font plus sérieux et plus pressants, et sur RTL, dans l’émission On refait le monde de Marc-Olivier Fogiel, l'éditorialiste du Figaro Ivan Rioufol est allé plus loin:


Face à la militante et journaliste musulmane Rokhaya Diallo, il a demandé que soient levés tous les risques d'amalgames autour de l'islam:

«La gauche appelle aujourd'hui à manifester, c'est très bien et j'irai aussi manifester. Il faudrait également et urgemment que manifestent aujourd'hui les Français musulmans qui, évidemment, ne se reconnaissent pas dans cet attentat terroriste, sinon on va craindre effectivement les amalgames.»

S'en est suivi un échange très vif sur le plateau de l'émission, et Rokhaya Diallo s'est empressée de répondre:

«Quand j'entends dire que l'on somme les musulmans de se désolidariser d'un acte qui n'a rien d'humain, oui, effectivement, je me sens visée. J'ai le sentiment que toute ma famille et tous mes amis musulmans sont mis sur le banc des accusés. Est-ce que vous osez me dire, ici, que je suis solidaire? Vous avez vraiment besoin que je verbalise? Donc, moi, je suis la seule autour de la table à devoir dire que je n'ai rien à voir avec ça.»

La journaliste a eu du mal à cacher son émotion, et a fini en larmes sur le plateau, comme l'a fait remarquer Marc-Olivier Fogiel. Malgré la polémique qui a suivi ce débat, Ivan Rioufol a maintenu ses propos sur Twitter.

Comment peut-on demander aux musulmans de prendre la parole pour se désolidariser d’un comportement qu’il leur est étranger? N’est-ce pas là sous-entendre, comme le disait Rokhaya Diallo, qu’ils seraient par défaut favorables à ces actes de terreurs? Va-t-on finir par demander à chaque personne croyante, quelle que soit sa confession, de se désolidariser d'actes commis soi-disant au nom de sa foi?

Face à la peur d'une islamophobie grimpante en France, la réponse est venue, encore une fois, des réseaux sociaux. La journaliste de la chaîne Public Sénat Nora Hamadi a vivement réagi à ces demandes répétées de prise de position visant à séparer l'islam des actes terroristes:

Nordine Nabili, directeur du BondyBlog, exprimait déjà en septembre 2014 la colère de certains musulmans contre cette exigence de «désolidarisation». Dans les colonnes du journal Libération, il estimait que des mouvements comme #NotInMyName reviennent à «se sentir coupable» et à «enfermer les musulmans»:

«On n’a aucun compte à rendre sur les pratiques en Algérie, en Syrie ou en Irak, on ne les connaît pas plus qu’autre chose. [...] Si l’indignation doit s’exprimer publiquement, c’est une indignation républicaine, pas uniquement venant des musulmans.»

La comédienne et réalisatrice Amandine Gay (qui contribue aussi à Slate) a de son côté lancé le hashtag #voyageavecmoi sur Twitter. Ce mouvement est inspiré du #illridewithyou, lancé en soutien aux musulmans après la prise d'otages dans un café de Sydney en décembre 2014.

Est-ce que l'essence même de notre humanisme ne serait pas plutôt de ce côté-là? Souvent discriminés en France, les musulmans ne devraient pas avoir à faire ces efforts supplémentaires qu'on leur demande simplement à cause de leur religion, déjà salie par cette tragédie. Pourrait-on plutôt dire que c'est à la France toute entière, puisqu'on parle d'humanisme, de leur assurer de notre soutien, et de se tenir à leurs côtés?

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