France

Hara-Kiri et Charlie Hebdo, plus de cinquante ans d'impertinence et d'indignation

Temps de lecture : 4 min

Hara Kiri réinventa l’information satirique dans les années 1960 et ouvrit la voie à Charlie Hebdo, celle de l'humour comme défi à l’obscurantisme. Un demi-siècle après le lancement du premier, le second est devenu la cible d’un terrorisme qui s’attaque à la démocratie.

Dans les locaux de Charlie Hebdo, en 2006. REUTERS/Regis Duvignau
Dans les locaux de Charlie Hebdo, en 2006. REUTERS/Regis Duvignau

Hara-Kiri a été une école autant qu’un repaire pour toute une génération d’irréductibles révoltés et humoristes provocateurs. Il fut à l’origine d’un journalisme impertinent qui ne renonce jamais à s’indigner. Et si les deux pivots de l’aventure furent François Cavanna et Georges Bernier, alias le Professeur Choron, Cabu et Wolinski, qui ont tous deux péri dans l’attentat meurtrier de la rue Nicolas-Appert (Paris XIe) comptaient également parmi les piliers de la bande, avec d’autres qui les rejoignirent à l’époque comme Reiser et Frédéric-Othon Aristidès (dit Fred), Topor et Gébé, puis Delfeil de Ton et Willem…

Dans leur engagement, une seule arme: la dérision. Un seul terrain de combat: la satire. Et beaucoup de courage, comme l’écrivit Delfeil de Ton à propos de Cavanna lorsque celui-ci disparut, il y a juste un an.

Du courage et de la détermination, il en avait fallu effectivement beaucoup, en plus de l’humour et de l’insouciance, pour créer Hara Kiri en 1960 et revendiquer son statut de journal «bête et méchant».

Au départ, Cavanna, fils d’immigré italien, était juste un enfant curieux qui aimait autant la lecture que la rigolade. C’est par hasard, après avoir pratiqué maints métiers –dont celui de maçon– pour subsister qu’il s’improvise dessinateur humoriste, après son retour des camps de travail obligatoire pendant la Seconde Guerre mondiale. Le moral souvent dans les chaussettes et les poches vides, il se retrouve dans un journal satirique, Zéro, où il fait la connaissance de Bernier, l’un des colporteurs du journal, ex-para et ex-plâtrier… et qui deviendra le Professeur que l’on sait, disparu voilà dix ans.

Réunis, Cavanna et Bernier, ces deux anciens du bâtiment, se prennent au jeu de l’édition et de l’humour assassin. Le projet d’un journal satirique se construit; la maturation prendra six années. Il verra le jour en 1960 avec le lancement d’Hara Kiri. Un titre très explicite de la ligne éditoriale du journal, selon Cavanna dans un entretien au Monde: «Je m’ouvre le ventre et je vous emmerde».

Titre culte

Qui aurait pensé à l’époque que ce brûlot deviendrait un titre culte pour toute une génération de futurs soixante-huitards et au-delà? En tout cas, ni Fred, rencontré à Zéro et associé au projet, ni Bernier, entre délires et dérapages revendiqués, ni Cavanna lui-même. Une aventure commençait. Cabu et Wolinski, qui s’étaient fait les dents à L’Enragé, autre magazine où officiait également Siné, lui apportèrent leur talent. Jusqu’où irait-elle? On verrait bien, peut-être pas très loin d’autant que, à l’époque, l’initiative fut plutôt mal accueillie par la presse et l’intelligentsia politique.

Mais l’alchimie de cette équipe en fusion fut explosive, hors de toute chapelle politique et de tout contrôle extérieur, le mauvais goût disputant à la provocation l’expression d’un esprit libertaire en guerre contre le sabre et goupillon. De mensuel au départ, le journal devient hebdomadaire en 1969 alors que, parallèlement, Charlie fait son apparition comme mensuel de bandes dessinées.

La une de Hara-Kiri du 16 novembre 1970.

Tant qu’elle dura, cette équipe qui s’affranchissait de tout tabou joua au chat et à la souris avec la censure… jusqu’à l’interdiction qui frappa Hara-Kiri Hebdo en 1970 lorsque, à la mort du général De Gaulle, Reiser composa la une du magazine sur le thème «Bal tragique à Colombey: un mort». Trop irrévérencieux pour la mémoire du commandeur.

Qu’à cela ne tienne: dans la foulée, Charlie Hebdo prit la relève. L’aventure se poursuivait, dans le chahut. Entre coups de gueule et grosses colères, à la fois contre la publicité, l’armée, les religions, la chasse, les faux-cul et «les cons qui gagnent tout le temps parce qu’ils sont trop»

Mais le ton du magazine allait changer. Cavanna reprochera à Choron de détourner, à grand renfort de sexe et d’humour scatologique, l’esprit des origines. Dans son dernier livre, Lune de miel, l’écrivain s’en explique: salace pourquoi pas, si on reste dans la parodie de la connerie, mais pas dans la connerie au premier degré. En plus, Cavanna ayant pris du champ pour poursuivre une carrière d’écrivain en solo, le magazine passa sous la coupe Choron. L’équipe se scinda.

Mais même en mettant leur talent au service d’autres titres, Wolinski, Cabu et les autres n’eurent de cesse d’y revenir, jusqu’à sa disparition fin 1981.

Tel un phoenix...

Le ton Charlie, toutefois, les démangeait toujours. Au point que onze ans plus tard, en 1992, l’aventure redémarrait sous l’impulsion de Philippe Val, Cabu et Gébé. Un nouveau Charlie était relancé. On y retrouvait les signatures de Cavanna, Delfeil de Ton, Siné, Willem, Wolinski, rejoints par Charb et Tignous, deux autres victimes de l’attentat.

Pour ce Charlie Hebdo, entre impertinence et indignation, la voie était tracée dans la ligne de l’ancêtre Hara-Kiri, aussi satirique et libertaire. Mieux: pour damer le pion à la pensée unique économique, il accueillit un spécialiste dans son équipe, Bernard Maris, lui aussi tué dans l’attentat, qui fit la démonstration qu’il n’existe pas de frontière que l’anticonformisme ne puisse utilement franchir.

Chemin forcément compliqué, même au sein de l’équipe, avec par exemple la crise paroxystique déclenchée par le licenciement de Siné. Mais le titre a poursuivi sa route, revendiquant toujours le droit à la liberté d’expression dans tous ses engagements, notamment en 2006, lors de la publication des caricatures du prophète Mahomet, puis en 2012, lorsque l’annonce d’un nouveau numéro mettant en scène le prophète valut aux locaux du magazine d’être incendiés par un cocktail molotov.

Malgré tout, Charlie ne baissa pas les bras. Au nom de cette liberté d’expression consubstantielle de la démocratie et qui, à ce titre, est un bien commun non négociable pour tous les démocrates. Et la première cible de tous les terrorismes fondamentalistes, adversaires de la démocratie et de la liberté de pensée.

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