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Au Mexique, pendant les fêtes, la violence continue

Temps de lecture : 6 min

Plus de trois mois après la disparition des quarante-trois étudiants d'Ayotzinapa, l'actualité reste rythmée par des faits divers qui alimentent un ras-le-bol général face à l'élite politique.

Un sapin de Noël décoré de photos des disparus d'Ayotzinapa.REUTERS/Jorge Dan Lopez.
Un sapin de Noël décoré de photos des disparus d'Ayotzinapa.REUTERS/Jorge Dan Lopez.

Plus de trois mois après la disparition des quarante-trois étudiants d'Ayotzinapa, le 26 septembre, quatre-vingt personnes ont été arrêtées, dont quarante policiers, ainsi que l'ex-maire d'Iguala. Le travail de la justice mexicaine est toutefois escorté de doutes et le Mexique ne tourne pas encore la page, même si, début décembre, le président Enrique Peña Nieto (PRI) a prié ses compatriotes de se «remettre» de la disparition des normaliens et «de passer à une nouvelle étape». Pendant les fêtes, les manifestations continuent, pour «Ayotzinapa», mais aussi car le Mexique continue de vivre un quotidien marqué par les assassinats, les disparitions et la corruption de ses élites.

Depuis la disparition des futurs professeurs, de nombreux reportages ont décrit la réalité de l'Etat du Guerrero, une zone parmi les plus pauvres du pays, où règnent les cartels comme l'impunité, et où divers fosses où reposaient des restes humains ont été découvertes lors des recherches effectuées pour retrouver les étudiants, mais aussi d'autres disparus de la région. Une terrible réalité qu'un simple déploiement de la police fédérale ne peut changer, d'autant qu'un reportage de l'hebdomadaire d'investigation Proceso, publié le 13 décembre, a impliqué la police fédérale et l'armée dans la tragique nuit d'Iguala.

Dans le Guerrero, difficile de «passer à une nouvelle étape». A Acapulco, grande station balnéaire de l'état, une vague d'enlèvements et de menaces a ainsi conduit, le 11 décembre, à la fermeture pour le reste du semestre de 190 établissements scolaires. Une décision qui touche plus de 31.000 élèves. Les délinquants exigeaient notamment des professeurs qu'ils leur remettent leurs étrennes, sous peine d'être kidnappés.

Toujours dans l'Etat du Guerrero, le curé de Ciudad Altamirano, Gregorio López Gorostieta, a été retrouvé mort, le 23 décembre, dans un fossé d'un village voisin, des traces de torture sur le corps. Selon les enquêteurs, il avait été kidnappé, la veille, par un commando armé. Enrique Peña Nieto, président du deuxième pays catholique de la planète, n'a pas encore réagi. Au moment d'Iguala, il avait déjà couru derrière l'indignation internationale en réagissant deux semaines après les faits.

«La justice s'applique aux pauvres, aux prostituées et aux idiots»

Altamirano est situé dans la région de la Tierra Caliente, à cheval sur les Etats du Guerrero, de Michoacan et de Mexico. Une zone ensanglantée par la lutte que s'y livrent les cartels pour le contrôle de la production et du transport de la drogue.

Selon le curé d'Apatzingan (Michoacan), le «padre Goyo» avait évoqué Ayotzinapa dans son homélie dominicale et s'en était pris au cartel Guerreros Unidos, celui à qui est imputé la disparition des normaliens en complicité avec la police municipale. Ses assassins seront-ils retrouvés? Rien n'est moins sûr. Au Mexique, 98% des meurtres restent non élucidés, selon un rapport publié en 2012. Ce qui permet de comprendre comment on peut penser faire disparaître 43 étudiants, sans risquer de passer devant un tribunal.

Témoins de l'absence de crédibilité du système judiciaire, les parents des normaliens refusent toujours de croire la version des autorités, selon laquelle les étudiants ont été brûlés dans une décharge et leurs restes jetés dans une rivière. Seuls les restes d'un étudiant ont pu être identifiés. «Au Mexique, la justice s'applique aux pauvres, aux prostituées et aux idiots», expliquait, le 18 décembre, l'analyste mexicain de Televisa Alfonso Zárate, également professeur de sociologie politique pour la London School of Economics and Political Science.

Zárate se référait alors au blanchiment par la justice, le 16 décembre, de Raul Salinas, frère de l'ex-président mexicain Carlos Salinas de Gortari (1988-1994), proche d'Enrique Peña Nieto, après dix-huit années de procédure. Il était notamment accusé d'avoir touché de manière illégale 226 millions de pesos (12 millions d'euros), détournés de la «cagnotte secrète» du gouvernement.

Mode de vie somptuaire

Pendant les fêtes, les manifestations ont continué au Mexique. Les protestataires sont moins nombreux mais continuent de «demander la réapparition des 42», tout en voulant mettre «dehors» Enrique Peña Nieto. Ce mouvement social né en réaction à la disparition des normaliens est bien loin de se circonscrire à cette question. Dans ses rangs s'exprime un ras-le-bol général face à l'élite politique mexicaine, sa complicité avec la délinquance organisée, sa désinvolture et l'opulence dans laquelle elle vit.

Le 9 novembre dernier, le scandale dit de «la Maison Blanche», la demeure luxueuse qui aurait appartenu, selon l'enquête du site Aristegui Noticias, au couple présidentiel, a jeté de l'huile sur le feu de la révolte. Selon ce média, le somptueux logement estimé à six millions d'euros avait été édifié par une entreprise appartenant au Grupo Higa, constructeur favori d'Enrique Peña Nieto quand il était gouverneur de l'Etat de Mexico (2005-2011), et qui venait d'hériter, au sein d'un consortium, du juteux chantier de la ligne de train Querétaro-Mexico, pour lequel, curieusement, un seul candidat s'était présenté... Le contrat a subitement été annulé trois jours avant la publication du reportage.

Lors d'une intervention télévisée, Angelica Rivera, épouse du chef de l'Etat et ex-actrice de telenovelas, a assuré que la maison lui appartenait et qu'il n'existait donc pas de conflit d'intérêt impliquant son mari. Comme elle n'avait rien à se reprocher, elle a également annoncé qu'elle allait vendre la maison. Sur les réseaux sociaux, le Mexique a ricané fort et jaune sur les cachets d'actrices d'Angelica Rivera. Quelques semaines plus tard, la presse a également révélé que Luis Videgaray, le secrétaire aux Finances publiques, avait acheté une maison à une entreprise appartenant au groupe Higa...

Chaque révélation sur le mode de vie somptuaire de la classe politique, dans un pays riche (14e PIB de la planète en 2013, selon le FMI) mais à la pauvreté endémique, alimente le hashtag «Yame cansé», «je me suis fatigué», phrase maladroite prononcée, le 7 novembre, par le ministre de la Justice, Jesús Murillo Karam, au terme de sa longue conférence de presse dédiée aux disparus d'Ayotzinapa.

Au cœur des fêtes, une publication sur Facebook d'Heliodoro Carlos Díaz Escárraga, homme politique (PRI) d'Oaxaca, troisième état le plus pauvre du pays, a ainsi provoqué une vague d'indignation sur les réseaux sociaux. L'ex secrétaire général du gouvernement de l'état se félicitait d'avoir offert, pour Noël, une Porsche Cayman à son fils d'une valeur de plus de 80.000 euros, photo à l'appui. Un cadeau qui ne peut qu'attiser des soupçons de corruption. Le fils, fonctionnaire d'une entreprise détenue majoritairement par l'Etat, a démissionné.

Groupes d'autodéfense

Avant le fatidique 26 septembre, les étudiants d'Ayotzinapa, établissement ancré très à gauche et à la culture contestataire, avaient déjà été la cible d'une répression féroce. Ainsi, en 2011, deux normaliens avaient été tués lors d'une manifestation. Plus généralement, le mode privilégié de résolution des conflits sociaux au Mexique reste la violence, d'autant plus dans les Etats pauvres et indiens, comme ceux du Guerrero, du Chiapas ou d'Oaxaca. Le 14 décembre, l'activiste de l'ethnie Mazateca Elisa Zepeda Lagunas a ainsi été violentée, son frère assassiné et sa maison brûlée. Selon la commission national des droits de l'homme, le maire d'Eloxochitlán, Alfredo Bolaños Pacheco (PRI), et la police municipale seraient impliqués dans l'agression. De juillet à novembre, 155 défenseurs des droits de l'homme et journalistes se sentant en danger n'ont eu d'autre recours que de demander la protection de l'Etat.

L'infiltration de corps entiers de forces de l'ordre par le crime organisé, dont les normaliens d'Ayotzinapa ont été victimes, a conduit des citoyens d'une région comme le Michoacan, voisine du Guerrero, à s'organiser en «auto-défenses», devenues «forces rurales d'état», pour assurer leur propre sécurité et pallier la faillite institutionnelle. Mais, là encore, la confusion règne, même si ce corps policier dépend directement du secrétariat à la sécurité publique du Michoacan, qui lui a fourni armes et uniformes.

Le 16 décembre, deux groupes de forces rurales se sont ainsi affrontés armes à la main, ce qui n'a fait qu'augmenter les soupçons d'infiltration de ces groupes par les cartels qui se disputent la région. Bilan: onze morts. Le commissaire spécial pour la sécurité du Michoacan, Alfredo Castillo, avait pourtant assuré que le calme était revenu dans l'Etat, ce que les chiffres ont toujours démenti (1.052 assassinats au 1er décembre selon le système national de sécurité publique, ce qui en fait le deuxième état le plus violent du pays).

La réalité est décidément têtue pour un exécutif mexicain qui voulait se vendre comme la destination à la mode pour les investisseurs étrangers, grâce à un ensemble de réformes structurelles impulsées par Enrique Peña Nieto. La disparition des normaliens d'Ayotzinapa a rappelé le pays à sa terrible réalité quotidienne qui ne connaît pas de trêve, même pendant les fêtes.

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