France

Et si 2015 était l'année de la réconciliation?

Temps de lecture : 5 min

Petit rêve de fin de trêve des confiseurs, après une année 2014 qui aura été celle du défouraillage général.

Dieudonné lors d'une conférence de presse, en janvier 2014. REUTERS/Gonzalo Fuentes.
Dieudonné lors d'une conférence de presse, en janvier 2014. REUTERS/Gonzalo Fuentes.

Le Père Noël n’existe pas, mais il doit bien y avoir tout de même un petit quelque chose. Un peu de magie dans l’air, un climat propice aux bons sentiments, une incitation à la bienveillance générale qui justifierait notre foi en une «trêve des confiseurs», le temps des fêtes de fin d’année. Car sinon, comment expliquer une telle nouvelle? L’humoriste «anti-système» Dieudonné, auquel beaucoup de gens, à commencer par le ministère de l’Intérieur et la justice, reprochent sa dérive antisémite, a récemment fait une offre de «réconciliation» à la communauté juive et à la Licra.

Dans une lettre du 12 décembre, ses avocats, MM° Sanjay Mirabeau et David de Stefano, sollicitent du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, et du délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, Gilles Clavreul, l’organisation d’une rencontre avec «les représentants de la communauté juive de France». «Dans cette affaire, notent-ils, il y a eu trop de dégâts et de blessures. Trop de blessures pour une communauté. Trop de dégâts pour un humoriste qui a perdu des amitiés. […] Il est temps que cette situation cesse, il est temps que chacun prenne ses responsabilités, car il n’est plus question de défaite ou de victoire. Il est question de paix et de dignité.»

Trop angélique pour être vrai? Les incrédules se diront que Dieudonné, par un contre-feu, tente surtout de s’assurer la paix des autorités et des mouvements antiracistes, au moment où il entame une tournée avec son nouveau spectacle, inaugurée le 27 décembre, à Nantes, là même où son précédent one-man-show avait été interdit, en 2013. Les mêmes noteront que l’humoriste donne plutôt l’impression de glisser, ces temps-ci, un peu plus vers l’extrémisme, notamment en s’associant avec l’activiste d’extrême-droite Alain Soral, avec lequel il vient de fonder un nouveau parti politique, Réconciliation nationale (!!!). Une évolution qui lui vaudrait aussi les règlements de comptes d’anciens disciples de «la Dieudosphère».

Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) n’a pas réagi à la proposition de conciliation. Dans un communiqué publié le 24 décembre –que l’humoriste reproduit sur son site–, l’institution se contente de rappeler le danger des tournées de Dieudonné et «les propos antisémites, négationnistes, racistes, homophobes du spectacle précédent». Ce à quoi Dieudonné répond: «Nous ne souhaitons pas rompre le dialogue, tout en poursuivant notre démarche de paix et d’apaisement, et nous ne perdons pas espoir d’arriver à établir un climat de confiance, de respect et de désescalade l’un envers l’autre.» Quant à la Licra, elle va recevoir un chèque de 5.000 euros: Dieudonné lui règle ses dettes de dommages et intérêts, et retire ses plaintes –la photocopie du chèque figure aussi sur le site. Le solde, sur les 24.669 euros dus, devrait être réglé «début 2015».

Il faudra attendre pour savoir si l’annonce faite n’est qu’un mauvais conte de Noël, une histoire à dormir debout, provocatrice et odieuse, ou si Dieudonné s’avance vraiment main tendue. Le Crif, la Licra et le ministère de l’Intérieur vont certainement traquer le moindre dérapage sémantique dans les prochaines semaines. Mais en attendant, vraie ou fausse, la nouvelle vient se ranger, entre Noël et l’Epiphanie, dans les drôles de nuits de la période, ouatées, lumineuses, lourdes de signes d’enfance et de merveilleux.

Une année riche en détestations en tous genres

Alors, rêvons un peu, au-delà de Dieudonné, à ce qu’on pourrait vouloir se réaliser, sans y croire, dans ce que l’année a laissé derrière elle de querelles et de désamours publics. La mémoire nous manque vite, mais sans trop y réfléchir, il est fort à parier que 2014 a été riche en détestations en tous genres. Valérie Trierweiler, Eric Zemmour, Thierry Lepaon, Aquilino Morelle… ils sont nombreux ceux à qui on aimerait proposer, là, pour l’an neuf, de s’alléger d’un peu de colère ou d’aigreur. Par des lettres au ministre de l’Intérieur, par tweet ou par communiqué; tiens, à la télé. Audience garantie. Pour leur propre sauvegarde, aussi pour la nôtre.

Le vacarme est grand, sous nos crânes, un peu d’air frais ferait du bien. Jérôme Cahuzac nous manque, ou plutôt nous manque toujours le récit, de l’intérieur, d’un mensonge qui vaut pour beaucoup dans le dégoût fiscal environnant. Pourchasser l’exil fiscal dans la position du ministre du Budget, tout en possédant soi-même un compte secret en Suisse… Chapeau! Gonflé. Mais se doute-il que sa forfaiture pèse toujours sur le pays? Un petit geste serait le bienvenu.

Rêvons encore. Déjà pour lester les souvenirs gris de cette année, avant qu’elle ne file au loin. De cette élue FN –avant d’en être exclue– qui a comparé Christiane Taubira à un singe. Elle rejoindrait la Garde des sceaux en Guyane, et toutes deux iraient voir les petits singes de la forêt amazonienne. Le secrétaire général de la CGT tiendrait un album-photo des appartements de ses adhérents. Ancien conseiller et porte-plume de François Hollande, Aquilino Morelle renoncerait au livre vengeur qu’il prépare contre son ancien patron. Cécile Duflot s’excuserait d’avoir écrit le sien. Les quadras du PS, anciens ministres sans reconnaissance, concéderaient un rien d’arrogance, et ceux de l’UMP un zeste d’impatience à savoir Nicolas Sarkozy toujours là.

Il y a plus de chances toutefois de voir Nabilla regretter publiquement d’avoir frappé son petit ami d’un coup de couteau. De ce côté-là, on peut déjà noter un progrès depuis sa récente sortie de prison: la famille de la jeune femme, dans son communiqué, «remercie vivement les médias et les journalistes de respecter le choix de Nabilla de se retirer momentanément de la scène médiatique». Comme quoi il ne faut pas désespérer de tout.

Fillon-Jouyet-Sarko contre Closer-Florian Philippot ou Closer-Julie Gayet. Les échos de l’année des personnalités/people paraissent de même intensité. La sphère publique se privatise et l’injonction à l’outing se systématise. Du coup, les philosophes se retrouvent avec leurs réflexions de fond sur les bras. Ou alors, les plus médiatiques, comme Alain Finkielkraut ou BHL, se font écharper de tous côtés, quel que soit le sujet. Pitié pour eux!

Le dérisoire et le scandaleux

En 2014, le défouraillage aura été général, avec des énervements qui témoignent de la lassitude morale et psychologique de l’élite autant que de celle du pays. Les écolos de EELV entre eux et contre à peu près tous; «les frondeurs» contre la majorité du PS; tous contre Manuel Valls. Pire encore sur la personne d’Emmanuel Macron, et son million d’euros mensuel. Le dernier ambitieux libéral à choisir tout de même le camp des perdants égalitaristes. Sarko-Juppé-Fillon, au jeu de la table tournante, et au-dessus d’eux, l’ombre portée du FN, qui fait reluire, tranquille et sûr de lui, son magasin à exclusions.

Dans son nouveau spectacle, Dieudonné s’avance revêtu de la salopette orange et alourdi des chaînes des détenus de Guantanamo. «La bête arrive dans votre ville», prévient-il. Assez bien trouvé. Assez marrant, malgré l’ambiguïté habituelle des symboliques de l’humoriste. Plus marrant, en tout cas, que tous ces sondages montrant la persistance envahissante de la «question musulmane» ou des «immigrés clandestins», nettement plébiscités par les Français.

C’est là que s’arrête notre rêve pour confiseurs en trêve. Toutes les situations, tous les personnages évoqués plus haut gardent quelque chose d’indirectement comique, même involontairement. Le dérisoire affleure, même sous le scandaleux, et on aurait tort de se priver d’en sourire –tant que c’est encore permis. On peut se moquer de la réaction des Alsaciens, qui veulent rompre, territorialement, le vieux pacte revanchard de «l’Alsace-Lorraine»; ou de Martine Aubry, effrayée de la perte possible de ses «beaux dimanches»; même des impuissances de Thomas Thevenoud, le député négligent, à régler ses factures.

Mais si le Père Noël existait, grands et petits enfants, feraient fête, sous les sapins éclairés, aux rois mages. Arrivée, le 6 janvier. Un Noir, un Arabe, un Blanc.

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