Si, comme une large majorité de Français, vous redoutez Noël, c’est peut-être à cause de ce moment angoissant où vous pénétrez dans le magasin de jouets. Les grands royaumes du jouet (aussi connus sous le nom de Toys’R’Us, La Grande Récré...) ont balisé votre chemin sur leurs terres. A gauche, un rayon plus rose que rose où les filles sont censées trouver leurs Barbies et leur nécessaire à dînette, et à droite, un rayon bleu foncé où les garçons doivent forcément se transformer en super-héros ou en bricoleur. Chaque année, c’est la même chose, les jouets sont markétés de façon genrée, histoire de pouvoir éviter toute liberté confusion.
Or, comme l’a indiqué un récent rapport du Sénat sur le sujet, les jeux pour enfants «sont caractérisés par des stéréotypes masculins et féminins et par des inégalités entre les sexes plus forts que ce que les enfants peuvent observer dans la réalité sociale qui les entoure». A chaque Noël, on permet donc à son enfant d’ajouter une nouvelle pierre de sexisme à son petit monde.
Ce rapport, remis par la délégation sénatoriale aux droits des femmes, détaille comment enfants et parents sont confrontés, de l’emballage aux catalogues de Noël en passant par le jouet en lui-même, à des valeurs sexistes. «Les univers "féminins" sont essentiellement centrés sur le maternage, le ménage, le travail de son apparence physique ainsi que l'apprentissage de relations sociales (entre copines)», expliquent les rapporteurs. A l’inverse, les valeurs transmises aux garçons sont évidemment viriles: «la technique», «le combat», «la violence», «le dépassement de soi»... Le parfait attirail pour sauver le monde et rentrer le soir, poser les pieds sous la table et déguster la blanquette cuisinée avec amour par une princesse. L’association Adéquations, qui défend notamment l’égalité femmes-hommes, explique que l’activité «jouer au papa et à la maman» est la plus discriminatoire:

Extrait du catalogue de Noël de Toys'R'Us
Selon l’analyse effectuée pour le rapport sénatorial par Astrid Leray, du cabinet Trezego, seuls les livres et les activités autour du dessin échappent un peu près ce mouvement global (et pour les livres, on n'est pas vraiment d'accord).
«Les jouets les plus franchement sexistes sont ceux dits d’imitation (des parents). Les catalogues proposent "comme maman": fer à repasser, robot ménager, kit de la caissière; "comme papa": table complète de bricolage, jeux de constructions...»
C’est d’autant plus inquiétant que le sexisme dans le monde des jouets s’accentue depuis la fin des années 1990 et le début de la mondialisation du marché. Si des effets positifs se font sentir, notamment au niveau des activités sportives, le rapport parlementaire souligne que «la période actuelle semble caractérisée, si l'on se réfère au reflet qu'en propose le monde des jouets, par une dégradation évidente par rapport à un idéal de société d'égalité où filles et garçons se verraient proposer les mêmes opportunités».
Quand on sait que l'identité sexuée chez l'enfant se construit très jeune et construira sa vision du rapport homme-femme, on comprend l'ampleur du problème. Entre 5 et 7 ans, «la valeur accordée aux stéréotypes de sexe est à son apogée chez les enfants», expliquait en 2005 le psychopédagogue Nicolas Murcier lors d'un atelier organisé à Bruxelles. «La segmentation marketing des jouets ne permet pas aux filles d'accéder à certains apprentissages: elle est donc porteuse d'inégalités», notent les rapporteurs du Sénat.
Il faut noter que la prise de conscience autour des jouets sexistes se fait aussi chez les enfants, qui eux-mêmes commencent à se poser des questions. Pourquoi un garçon ne pourrait-il pas jouer avec une poussette, pour imiter son père? Pourquoi une petite fille devrait se concentrer sur son faux bébé plutôt que de jouer avec des vaisseaux Lego Star Wars?
Il y a quelques semaines, dans un magasin Tesco en Angleterre, Maggie fait les courses avec sa mère. Au détour d'un rayon, elle tombe sur le coin «jouets». Et là, c'est le drame.
My superhero loving 7yo daughter not impressed when she spotted this sign in @Tesco today @LetToysBeToys pic.twitter.com/8F3bsRv6PK
— Karen Cole (@karlou) 22 Novembre 2014
«Ma fille de 7 ans, fan de super-héros, pas impressionnée quand elle a repéré ce signe chez Tesco.»
Selon sa mère, contactée par Buzzfeed, la petite fille aurait vite repéré ce panneau et se serait exclamé:
«C'est pas bien ! N'importe qui peut aimer les super-héros, ils sont [dans ce magasin, NDLR] bêtes non?» Avant d'ajouter: "Je peux aimer ce que je veux."»

Extrait du catalogue de Noël de la Grande Récré.
Mais pointer des responsables du doigt reste compliqué: les parents dénoncent les choix marketing des fabricants et les fabricants répliquent en disant que les parents achètent ces jouets à leurs enfants.
Face à ce constat, la présidente de la délégation Chantal Jouanno (UDI) et son équipe ont fait plusieurs recommandations, notamment:
- La mise en place d'une charte de bonne pratique pour pousser les fabricants et distributeurs de jouets à être les premiers initiateurs à l'égalité.
- Une vigilance accrue de la part du CSA à l'égard des publicités pour jouets afin d'éviter tout message sexiste.
- La pratique du «name and shame» pour dénoncer les mauvais pratiques (qui devrait prendre la forme d'un site internet).
- La mise en place de séance de prévention dans les écoles et à l'échelle nationale pour montrer l'influence des jouets sur les comportements des enfants et sensibiliser ces derniers aux valeurs d'égalité.
Vous ne pouvez pas attendre que le gouvernement prenne des mesures concrètes étant donné que Noël arrive, et vous n'êtes pas sûr de l'opinion des parents sur le rapport sexisme et jeux? Voici cinq idées cadeaux non genrés:
1.Les jeux de construction
Si on élimine les Lego (et ses coffrets bien différenciés pour les garçons et les filles), plusieurs constructeurs proposent des boîtes de construction où toute appartenance genrée est évitée. Certains packs de domino de la marque Domino Express ou de labyrinthes à billes permettent à chaque enfant de construire un parcours (et de le détruire ensuite, si l'envie lui prend). Citons aussi le Kapla, qui a fait peur aux investisseurs quand Jean-Daniel Van Der Bruggen, son créateur, s'est lancé dans l'aventure. Des centaines de petites planchettes (en pin des landes s'il vous plaît), rien de plus. Mais avec un coup de pouce de l'Education nationale, le Kapla fait figure de référence pour les garçons et les filles (et les parents aussi parfois).
Pas besoin de grand chose, juste d'un peu de place à la maison et d'imagination.
Un exemple de labyrinthe à billes.
2.Un cadeau de sportif
Libre cours à votre imagination, tout dépend des goûts de l'enfant. Pourquoi ne pas offrir un vélo (ni rose, ni bleu), des rollers ou un skateboard (et les protections qui vont avec, cela va de soi)? Ou une invitation à un match de football, de handball ou de basket. Les activités tournant autour du cirque sont aussi très intéressantes, et les filles comme les garçons aiment jongler avec des balles ou des cerceaux, jouer au diabolo, ou faire tourner des assiettes en plastique au dessus de leur tête.
3.Un livre (tout simplement)
Même si on a souvent l'impression que les personnages de livres et dessins-animés pour enfants les plus connus sont restés coincés quelques siècles en arrière, plusieurs initiatives existent qui racontent autre chose que des histoires de princesses en détresse libérée par des chevaliers forts qui ne pleurent jamais.
La maison d'édition Talents Hauts propose par exemple de nombreux livres «garantis 100% sans sexisme» dans lesquels «les héros peuvent être des héroïnes, les mères peuvent être maires (de la ville) et les pères des pères (au foyer), les garçons peuvent jouer à la cuisine et les grenouilles battre à plate couture les crapauds...»
L'association Adéquations a dressé une liste de livres se jouant des clichés sexistes. Ainsi, Je veux être une cow-girl présente une petite fille qui ne tient pas en place et entraîne son père dans ses aventures. De son côté, le livre Barbivore raconte la mission de Maxime, déterminé à sauver sa poupée des griffes d'un infâme monstre.
Dans les classiques, on peut aussi citer le livre Matilda, de Roald Dahl, l'histoire d'une petite fille surdouée délaissée par sa famille et qui, grâce à ses super-pouvoirs et sa maîtresse d'école va réussir à s'affirmer dans ce monde qui l'inquiète tant.
4.Un petit laboratoire de scientifique
Les chiffres chez les adultes sont inquiétants: «le pourcentage des femmes à la tête des institutions scientifiques est de 29% en France», expliquait le magazine Sciences & Avenirs en mars dernier. Pourquoi recréer le même fossé chez les enfants? De nombreux coffrets scientifiques existent pour initier garçons et filles à la compréhension du courant électrique, à la formation de cristaux, des plantes, aux réactions chimiques, etc. En toute sécurité, évidemment. Et si vous êtes gêné par la majorité de ces coffrets, qui montre un garçon seul en train de s'essayer à des expériences, rien ne vous empêche de sortir les jouets et les emballer vous-même (en plus ça fait plus de paquets cadeaux).
5.Un jeu de société
De nombreux jeux de sociétés, principalement des jeux de cartes, proposent de réunir deux joueurs ou plus, pour tester leurs réflexes ou leurs connaissances. Dans le genre, et sans tomber dans la publicité outrancière, la marque Asmodee propose de nombreux jeux à succès et surtout non genrés. Le site Toutalego propose par exemple le jeu Dobble. Ce jeu de rapidité, qui rassemble en général toute la famille, exige de chaque joueur de la rapidité pour réussir à associer deux symboles similaires le plus vite possible.
Pour résumer la problématique des jouets pour les garçons ou pour les filles, on a traduit ce schéma qui circule beaucoup sur Internet (ici, ici, ou encore là):