Dans ce qu’un observateur de longue date de Cuba appelle «le jour le plus important des relations américano-cubaines depuis cinquante ans», les deux gouvernements ont annoncé, mercredi 17 décembre, un échange de prisonniers, mettant ainsi fin à un des obstacles majeurs à des relations diplomatiques normales entre ces adversaires de longue date. Barack Obama et Raul Castro ont prononcé des allocutions télévisées en ce sens et le président américain a annoncé que des négociations allaient s'ouvrir au Sénat pour lever l’embargo sur Cuba et que les Etats-Unis allaient ouvrir une ambassade à La Havane.
Alan Gross, un Américain arrêté et inculpé pour des «actes contre l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Etat» en 2009, alors qu’il essayait de livrer des équipements de télécommunication à des groupes religieux sur l’île en tant que sous-contracteur de l'agence gouvernementale USAID, a été libéré et est de retour aux Etats-Unis. Sa santé était mauvaise et Obama avait suggéré, plus tôt ce mois-ci, que sa libération «enlèverait un obstacle à des relations plus constructives».
Coïncidence intéressante, cette actualité survient alors que le directeur d’USAID Rajiv Shah quitte son poste. En plus de l’affaire Alan Gross, l’agence a récemment été impliquée dans des tentatives burlesques de promotion de la démocratie à Cuba, dont la création d’un réseau social à la Twitter et une campagne d’infiltration de la communauté hip-hop de l’île.
Les Etats-Unis, de leur côté, ont relâché trois membres des «Cuban Five», un groupe d’hommes condamnés en 2001 pour avoir tenté d’espionner des groupes d’exilés à Miami. Deux des cinq hommes ont déjà été libérés après avoir purgé leur peine de prison.
Taux de soutien bas à l'embargo
On spéculait depuis longtemps sur la possibilité qu’Obama, qui a déjà assoupli les restrictions de voyage et d’envoi d’argent pour les familles cubaines, et avait, de manière très remarquée, serré la main de Castro aux funérailles de Nelson Mandela l’an dernier, fasse quelque chose de théâtral envers Cuba pendant ce qui reste de sa présidence. Ses prédécesseurs démocrates, Jimmy Carter et Bill Clinton, avaient tous deux essayé sans succès d’améliorer les relations américano-cubaines, mais on peut penser qu’Obama aura plus de chance.
D’abord parce que le taux de soutien à l’embargo n’a jamais été aussi bas, même parmi les électeurs en Floride et les électeurs d’origine cubaine. Les responsables politiques importants, dont Hillary Clinton, sont beaucoup plus à l’aise avec le fait de s’opposer à l’embargo.
Et puis, même si on ne peut pas dire que Cuba soit en route vers la démocratie, le gouvernement de Raul Castro a mené plusieurs réformes d’importance, par exemple en assouplissant des règles sur le voyage et la propriété privée. Même le dissident anti-Castro le plus connu du pays, Yoani Sanchez, pense que l’embargo est désormais contre-productif.
Ce qu'Obama peut faire
Ce qui ne va pas changer, c’est le Congrès, ce qui limite jusqu’où Obama peut aller quant à Cuba. Les Républicains, et des Démocrates comme le Cubano-Américain Robert Menedez, n’ont pas l’air d’être prêts à changer leurs vues sur l’embargo.
La loi Helms-Burton de 1996 a gravé celui-ci dans la législation américaine –avant cela, il s’était maintenu à travers une série de décrets présidentiels. Le représentant Dan Burton, un des cosignataires de la loi, prédisait qu’elle serait «le dernier clou dans le cercueil» de Castro. Presque vingt ans plus tard, Castro est toujours vivant et cette loi restreint la politique étrangère américaine.
Il existe, cependant, un certain nombre de choses qu’Obama –qui conduit de plus en plus sa politique étrangère comme si le Congrès n’existait pas– peut faire seul. Comme l’avait suggéré une récente tribune de The Economist, il va demander au département d’Etat de retirer Cuba de la liste des Etats soutenant le terrorisme, où le pays figure toujours, aussi anachronique que cela puisse paraître. Il veut aussi autoriser des entreprises américaines à acheter des produits d’entreprises cubaines non contrôlées par l’Etat, élargir les autorisations de voyage à Cuba pour inclure les voyages à but professionnel, autoriser les Américains en voyage là-bas à accéder aux services financiers américains et autoriser la vente d’équipement de télécommunications à Cuba.
Il est désormais clair que la normalisation des relations avec Cuba fait partie des objectifs d’Obama. Ses efforts pourraient quand même capoter, comme ce fut le cas de ceux de Bill Clinton après que Cuba avait tiré sur deux avions américains en 1996. Mais, plus probablement, nous sommes face au début de la fin d’une des initiatives de politique étrangère les moins efficaces de l’histoire américaine.