Précision: La publication de cet article n’a évidemment rien à voir avec la mise hors service du site Pirate Bay. Rien. Du tout.
Etant pourvue d’appendices autonomes, également nommés enfants, je vais nettement [1] moins au cinéma qu’au temps de ma folle jeunesse. D'abord, ça demande de s’organiser, et puis 2 places de ciné + baby-sitting = une soirée à 60 euros. Disons 70 si tu décides de boire un verre. Et si tu veux aussi manger, l’addition finale sera de 100 euros. A ce prix, faut pas se rater.
Mais tant pis, me suis-je dit, il y a désormais la vidéo à la demande. Je note donc les films qui m’intéressent pour les voir plus tard. A l’heure actuelle, le décalage est de 4 mois entre la sortie en salle et celle dans votre chambre. Le CSA préconise trois mois, répondant aux exploitants de salles de ciné que la plupart des films ne sont plus à l’affiche trois mois après leur sortie, ce qui, pour une fois, est plutôt bien vu.
Donc ce soir-là, après ma journée de boulot, les couches, le dîner, l’histoire du soir (La petite Taupe qui voulait savoir qui lui avait fait caca sur la tête -un titre que je vois désormais comme prémonitoire), je décide que j’ai bien mérité de regarder un film en pyjama. Je choisis The Immigrant.
Comme je profite d’un abonnement Netflix, je cherche sur le site. Ils ne l’ont pas. En même temps, ils n’ont que des films des années 80. Je le saurai pour la prochaine fois: Netflix = séries. J’ai aussi OCS. Je cherche donc, ils ne l’ont pas. Pas grave, j’ai aussi mon fournisseur d'accès à Internet, Orange, qui me propose de louer des films sur ma télé. Ils ne l’ont pas non plus dans leur catalogue. (Sachez aussi qu'Orange vous propose de louer ou d’acheter un film. A l’achat, le prix est dans les 20 euros... Faites donc attention.)
Je cherche sur TF1. Ils ne l’ont pas. J’essaye le service de VOD de Canal+, c’est LA chaîne du cinéma, ils vont l’avoir. En fait, il faut d’abord s’inscrire. Ok, je m’inscris. Je suis hyper motivée. Ce film a intérêt à être vraiment bien. Et là, je le trouve mais je vois ça:
13,99 EUROS LES MECS? Vous avez sucé des barres de crystal-meth ou quoi? Je me dis que c’est l’offre pour l’acheter. Moi je veux juste le louer pour le regarder une fois, ce soir, maintenant, même si là, il est déjà 22h. Mais je ne trouve pas où on clique pour louer. J’abandonne.
Je décide de me tourner vers François Hollande. Enfin... Vers le gouvernement quoi. Pour la modique somme de 8000 euros avait été mis en place un site qui référence les offres légales: Offrelegale.fr. Ils me disent d’aller voir Arte. J’y vais. Quand je leur demande The Immigrant, ils me proposent ça:
Je retourne sur Offre légale. Chez Offre légale, ils n’ont pas fait le ménage, ils me proposent absolument tout et n’importe quoi. Apprenez qu’il existe un service de VOD spécialisé dans les séries coréennes, ça s’appelle dramapassion. Vous avez les services vod qui fonctionnent par genre (la série coréenne ou les clips de rap ou les courts-métrages ou les documentaires ou les films d’auteur etc), mais aussi ceux qui fonctionnent par distributeur. Par exemple les films distribués par la Metropolitan se trouvent sur cinemasalademande.com (toi aussi tu as lu salade dans l’url?). Mais bon, je veux juste regarder un film, je ne sais pas quel est son distributeur. Je vais sur un site légal généraliste: Virgin mega.
Non seulement il coûte 9,99 euros, mais en plus on me prévient:
«ATTENTION, le format WMV de cette vidéo n’est pas compatible avec votre système d’exploitation: Mac OS ou Linux, Vous pouvez par contre la télécharger et la visionner sur un PC équipé des systèmes d’exploitation Microsoft (WINDOWS toutes versions).»
Je le trouve également sur Filmotv, autre site adoubé par notre gouvernement, mais qui le propose au tarif unique de 11,99 euros. Ah ah ah...
Je décide de revenir vers les géants américains qui sont super méchants mais quand même bien pratiques. Sur Google Play, je le trouve à 9,99 euros, mais uniquement à l'achat et en VF. But why?
Je me rappelle brusquement que nous avons un service public qui s’appelle France Télévision. Et, miracle, je découvre que France TV a un site de vod, doté d’une url calculée exactement pour qu’on oublie qu’elle existe (14 consonnes pour 4 voyelles): pluzzvad.francetv.fr. Je trouve le film pour 10,99 euros en accès illimité.
Là, prise d’un doute terrible, je tape en tremblant «The immigrant dvd Amazon» dans Google et paf:
La vérité éclate. Le DVD est à 9,99 euros. Symboliquement, je ne peux pas payer plus cher une version numérique. Désolée, mais c’est au-dessus de mes forces.
Finalement, en VOD, la meilleure offre –toujours en achat, rien n'est trouvable en location– est sur Itunes, à 9,99 euros en version originale sous-titrée basse qualité. (La version en haute définition est à 11,99 euros. Soit plus cher que la place de ciné et le DVD.)
Arrivés à ce stade, j’aimerais que nous nous arrêtions une seconde pour pousser ensemble un cri d’indignation: non mais 10 EUROS LA LOCATION NUMERIQUE?! Le prix d’une place de ciné, vous êtes sérieux? Alors, OK, on peut le regarder à plusieurs, c’est plus rentable, mais quand même.
Il faut savoir qu’environ 41% du prix d’un ticket de cinéma va aux exploitants, c’est-à-dire les salles de cinéma (environ, puisqu'après cela dépend des accords signés.) 41% qui n’ont donc rien à voir avec la VOD. Le prix de la VOD devrait donc être moins cher –et ce de façon significative– que le prix d’un billet de cinéma. Parce qu’entretenir une plate-forme de VOD ça ne coûte pas la même chose qu’un réseau de salles de cinéma.
Autre comparatif: vous vous souvenez du prix des locations de DVD? Sachant qu’il y avait à payer le support physique du DVD + le transport + le magasin ou la borne (bail à payer + électricité + chauffage) + les salaires des employés, les nouveautés étaient à 5 euros! Là, vous supprimez tout ça et vous doublez le prix. C’est un truc de chiens galeux.
Alors il se passe quoi? Il se passe que les ayants-droits ont décidé de tuer le marché qui devait les faire vivre. Ils touchent près de 60% du prix d’une VOD, soit nettement plus que sur une entrée cinéma ou un dvd. C’est bien de les financer, OK, mais j’aimerais qu’ils m’expliquent leur logique. Ils se sont dit «tiens, on en a marre de se faire plumer sur les places de ciné, alors on va se venger sur la vod plutôt que de renégocier sur les tickets et dvd?» Ou alors «tiens, les gens peuvent regarder gratuitement (et illégalement) des films alors on va leur proposer à un tarif rédhibitoire»?
Un prix trop cher et un système pas clair
Je n'ai pas fait d’école de commerce, mais il me semble que la logique aurait voulu de diminuer les prix pour convaincre les spectateurs de revenir dans le droit chemin de l’offre légale. Là, j’ai l’impression qu’on me dit «va-t’en, retourne chez tes copains pirates, on ne veut pas de toi ici». Pourtant, je suis prête à faire un effort, mais entre télécharger illégalement et gratuitement un film ou raquer l’équivalent d’une place de ciné pour une version basse définition, j’ai l’impression qu’on aurait pu trouver un terrain d’entente.
Sans compter que pour arriver à ce prix exorbitant, j’ai perdu deux heures à comparer tous les sites, à tenter de comprendre comment fonctionnaient les différentes offres. Celui qui n’a jamais essayé d’acheter un film en VOD ne peut pas savoir quel enfer c’est. J’ai beau me tenir au courant, je n’y comprends rien. Entre le gratuit, c’est-à-dire les replays des chaines, ce que propose votre fournisseur d’accès internet, les abonnements (netflix, canalplay, mubi, jook etc), la myriade de sites spécialisés, les films tombés dans le domaine public, les initiatives comme Vodkaster dont je n’ai toujours pas saisi le principe (désolée), c’est à devenir dingue. Et je ne suis pas la seule à qui ça arrive, comme en témoigne le tumblr Jvoulaispaspirater. Mais il parait qu’il est envisagé de peut-être faire un jour un catalogue commun pour toutes les offres légales en France...
En tout cas, il y a une chose que je comprends: on s’est bien foutu de nous. Il y a quelques années, pas si lointaines, mais ça parait désormais préhistorique, circulait l’idée d’une licence globale. On nous a dit «c’est pas possible». Résultat, de nos jours, il y a des licences plus ou moins globales partout, proposées par des opérateurs privés, avec un marché éclaté dans lequel tout le monde se perd. Bien joué les gars! Décidément, ça me rappelle beaucoup l’histoire de la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait caca sur la tête.
1 — Tu as des enfants ? Tu sais ce que sous-entend ce pudique adverbe... Retourner à l'article