En économie, le signal donné par les prix est généralement très important. Même si l’on ne croit pas à la fable de la concurrence pure et parfaite et du caractère quasiment scientifique du prix qui se forme sur les marché lors de la rencontre de l’offre et de la demande, on doit admettre que la meilleure façon (la plus efficace en tout cas, à défaut d’être la plus juste) de freiner la consommation d’un bien que l’on estime nuisible (pétrole, cigarette, etc.), c’est d’en relever le prix.
En raisonnant ainsi, on est amené à penser que la meilleure façon de freiner la consommation de produits pétroliers est d’avoir un pétrole cher et que, en sens inverse, tout recul des prix dans ce secteur va faire repartir la consommation.
Vrai: les ventes de voitures repartent aux Etats-Unis
A court terme, cela se vérifie. L’exemple le plus évident est donné, on ne s’en étonnera pas, par les Etats-Unis.
Le prix moyen de l’essence ordinaire a chuté de 1 dollar le gallon (3,78 litres) en moins de six mois, passant de 3,63 dollars le 30 juin à 2,63 dollars le 8 décembre. Les constructeurs automobiles s’en sont servi dans leurs campagnes publicitaires de fin d’année et l’argument a porté. Les ventes de voitures et d’utilitaires légers ont grimpé de 4,6% en novembre; en rythme annuel, elles ont atteint le niveau de 17,2 millions de véhicules, très près du niveau de 17,5 millions enregistré au mois d’août qui marquait le point le plus haut depuis décembre 2007, avant la crise financière, et les vendeurs ont pu constater un regain d’intérêt pour les pick-ups et autres SUV.
Ce constat peut-il permettre de clore la discussion et de montrer que la baisse des cours du pétrole est une mauvaise nouvelle pour l’environnement? Ce serait trop simple.
Que se passe-t-il en effet au niveau mondial, tous usages du pétrole confondus? En 2002, le prix moyen du prix du baril de brut s’établissait juste un peu au-dessus de 24 dollars; il a ensuite doublé entre 2002 et 2005 (plus de 50 dollars) et plus que doublé entre 2005 et 2011 (plus de 107 dollars), après avoir atteint des sommets juste avant la crise financière et la récession qui a suivi (ces chiffres sont ceux du panier de l’Opep, mais le brent européen et le WTI américain ont suivi la même tendance et enregistré des cours comparables, à quelques dollars près). Au total, la moyenne des cours 2013 a été 4,6 fois plus élevée que celle de 2001.
Sur longue période, les prix augmentent, la consommation aussi
Si l’on s’en tient au discours sommaire selon lequel la consommation évolue en sens inverse des prix, la demande de pétrole aurait dû baisser violemment depuis le début de ce siècle. Il n’en a rien été.
La demande mondiale est estimée par l’AIE (Agence internationale de l’énergie) à plus de 92 millions de barils par jour, alors qu’elle dépassait juste 75 millions de barils par jour en 2000. Si les pays développés stabilisent leur consommation, les pays émergents, Chine en tête, sont encore en phase de progression rapide de leur consommation d’énergie.
Les prix plongent actuellement parce qu’il y a une hésitation conjoncturelle, un ralentissement dans le rythme de hausse de la demande, alors que la production est très dynamique, mais il ne faut pas se tromper sur la tendance de fond: elle est toujours à la hausse de la demande, quels que soient les prix. Une baisse ou une hausse des cours du pétrole peut avoir un impact sur le comportement des consommateurs en Amérique du Nord ou en Europe, mais ce n’est pas le plus important. L’élément fondamental, c’est la montée en puissance des économies émergentes et leur besoin d’énergie.
Plus le pétrole est cher, plus on pollue!
En fait, au lieu de se lamenter face à la baisse des cours du prix du pétrole, les véritables écologistes devraient s’en réjouir. Car plus le pétrole se vend cher, plus les compagnies sont incitées à aller le chercher dans des endroits difficilement accessibles, par des forages en mer de plus en plus profonds ou de plus en plus proches des régions polaires.
Le pétrole cher a un autre inconvénient: les gros consommateurs ont alors intérêt à se tourner vers le charbon, beaucoup moins coûteux, mais beaucoup plus polluant. Depuis le premier choc pétrolier de 1973, la part du charbon dans les sources d’énergie n’a cessé d’augmenter.
Avec la récente baisse des cours du baril de pétrole brut, des compagnies ont annoncé qu’elles allaient renoncer en 2015 à certains de leurs projets comme Chevron en mer du Nord ou Statoil en mer de Norvège. D’autres projets –particulièrement destructeurs de l’environnement– d’exploitation de gaz bitumineux au Canada vont être reportés: en octobre dernier, le directeur financier de Royal Dutch Shell affirmait qu’une baisse du baril au-dessous de 80 dollars conduirait le groupe à reconsidérer des investissements de ce type et le baril est venu tester le cours de 60 dollars...
Cela dit, cela ne fait que reporter les problèmes. Si les compagnies pétrolières investissent moins maintenant, le décalage actuel entre une offre abondante et une demande faiblarde va se résorber progressivement et les projets abandonnés aujourd’hui seront remis sur la table d’ici quelques années.
La solution: le prix du carbone
En apparence, on se trouve là en face d’un problème insoluble. Pour que les industriels ou les consommateurs soient incités à ralentir leur consommation d’énergie fossile, il faut que cette énergie soit chère. Mais le fait qu’elle soit chère pénalise l’activité économique sans pour autant préserver l’environnement.
Quelle peut être la solution? Avoir une énergie fossile chère non pas parce qu’on paie un prix élevé aux producteurs, mais parce qu’on paie un droit à la collectivité (sous la forme de permis d’émission ou de taxe carbone).
Avec l’argent ainsi perçu, l’Etat peut, soit engager des actions de protection de l’environnement (encouragement apporté aux énergies renouvelables par exemple), soit alléger la pression fiscale sur les facteurs de production (capital ou travail).
L’idéal serait évidemment un prix unique du carbone établi sur un marché mondial des droits d’émission, comme le suggèrent depuis longtemps notre prix Nobel d’économie Jean Tirole et Christian de Perthuis, président du conseil scientifique de la chaire Economie du climat ou une taxe internationale, mais il ne faut pas trop rêver.
Une taxe carbone présente un grand avantage: on peut la programmer sur plusieurs années et ainsi les industriels peuvent planifier leur action.
Pour qui l’aurait oublié, rappelons que la France a une taxe carbone, encore modeste, mais dont la progression est programmée pour 2015 et 2016. On ne sait pas ce qui se passera ensuite, mais un président de la République qui se découvre des préoccupations écologiques à un an de la conférence de Paris sur le climat devrait s’engager publiquement pour la poursuite de la montée en puissance de cette taxe, quelles que soient les variations du prix du pétrole brut sur le marché.