La nuit dernière, deux immenses fresques du célèbre artiste de street art italien Blu qui bordaient depuis 2008 un des tout derniers terrains vagues du quartier branché de Kreuzberg ont été entièrement recouvertes de peinture noire. La première, qui représentait le buste d'un homme en costard-cravate portant deux montres en or entravant ses poignets comme des menottes, n'est plus qu'une sordide silhouette noire, tandis que la seconde, deux personnages aux visages encagoulés, a entièrement disparu sous un rectangle noir.
Death of a piece of art. #sad #blu #streetart #xberg #berlin #cuvrybrache pic.twitter.com/EOlWt8cmuw
— Joel Espi (@arthurcabot) December 11, 2014
Débutée jeudi à la tombée du jour, cette action spectaculaire menée à l'aide de deux camions-grues a été largement documentée sur Twitter sous le hashtag #blu et a suscité une foule de commentaires de la part d'internautes désolés de voir disparaître ces œuvres qui étaient devenues cultes, au point d'être mentionnées dans les guides touristiques et d'orner les cartes postales.
Heartbreaking #cuvry #xberg #berlin #cuvrybrache #blu #graffiti #streetart #destruction pic.twitter.com/EzcqZA1UZa
— Marc Honninger (@MarcHonninger) December 11, 2014
D'après le quotidien local Der Tagesspiegel, c'est «visiblement l'artiste lui-même» qui est derrière la destruction des fresques. Il se réfère à plusieurs blogs allemands, tels Metronaut et Blogrebellen, qui ont documenté l'action et reproduit un communiqué en anglais qui émanerait de l'entourage de l'artiste, dans lequel il est expliqué que Blu aurait consenti à ce que son œuvre soit détruite afin d'empêcher qu'un promoteur immobilier puisse en tirer profit.
Baptisé «Cuvrybrache» (la «friche de Cuvry», du nom d'une rue voisine) par les Berlinois, le terrain vague situé au bord de la rivière Spree et le long duquel s'étalaient les deux fresques appartient en effet à un investisseur munichois, Artur Süsskind, qui prévoit d'y faire construire un ensemble de logements luxueux, comme le rapportait Der Spiegel en septembre dernier.
Ces dernières années, le projet immobilier était en suspens car la friche était squattée par près de 150 sans-abri. En raison des conditions de vie des personnes qui se partageaient tant bien que mal le terrain, celui-ci était surnommé «la première favela d'Allemagne» par la presse. Mais en septembre dernier, la friche a été évacuée après qu'un incendie s'y est déclaré, puis immédiatement grillagée.
Pour éviter que les fresques de Blu ne disparaissent derrière de nouvelles constructions, un berlinois avait alors lancé une pétition en ligne pour les faire protéger. Signée par 7.607 personnes, la pétition n'a pas atteint le seuil des 10.000 signatures nécessaires.
Seule une partie de l'inscription qui accompagnait la deuxième fresque a été épargnée par ceux qui ont recouvert hier les œuvres de Blu: «RECLAIM YOUR CITY» est devenue «YOUR CITY», comme si leur message s'adressait désormais non plus aux Berlinois mais aux promoteurs immobiliers qui bétonnent la ville sans vergogne. Un baroud d'honneur avant que n'arrivent les premières grues, dans un quartier où flotte de plus en plus une atmosphère de deuil.